Intelligence artificielle : « On est Français et on va le rester », assure Arthur Mensch, cofondateur de Mistral AI

« On a le contrôle de l’entreprise », assure devant le Sénat le directeur général de la start-up française spécialisé dans l’intelligence artificielle, alors que les fonds d’investissement américains sont plus actifs dans le domaine. Côté emploi, « la structure du marché du travail va profondément changer », prévient Arthur Mensch, avec « des changements profonds dans la production » et les « services ».
François Vignal

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Au lendemain d’un événement à l’Elysée sur l’intelligence artificielle (IA), où Emmanuel Macron a annoncé 400 millions d’euros pour financer la formation dans le domaine et alors que s’ouvre le salon VivaTech, la commission des affaires économiques du Sénat a reçu l’une des figures du milieu en France : Arthur Mensch, cofondateur et directeur général de Mistral AI, « start-up considérée aujourd’hui comme la pépite tricolore de l’intelligence artificielle », comme la décrit la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission. L’entreprise, que cet ancien de Google a fondée avec Timothée Lacroix et Guillaume Lample, a annoncé fin février le lancement de « Le Chat », son assistant virtuel conversationnel, une IA générative.

Mistral AI, qui a été fondé il y a seulement un an, emploie déjà 50 personnes, dont 35 en France, et a réussi à lever des millions d’euros en très peu de temps : une levée de fonds « d’amorçage » de 105 millions d’euros au bout d’un mois, suivi d’une autre de 385 millions. Une troisième « de plusieurs centaines de millions d’euros de dollars seraient en cours », ajoute Dominique Estrosi Sassone, « des chiffres pour le moins vertigineux ». La sénatrice LR souligne au passage que le partenariat conclu par Mistral avec Microsoft Azure « a fait réagir », d’autant « qu’ils ont aussi investi 10 milliards d’euros dans Open IA (entreprise derrière le leader Chat GPT, ndlr) et détient 49 % de son capital ».

« Aujourd’hui, 75 % du capital est français »

Interrogé sur la composition du capital et sur la question de savoir si Mistral AI était encore français, le dirigeant l’assure : « On a le contrôle de l’entreprise ». « Aujourd’hui, 75 % du capital est français, en comptant les employeurs, les fonds et les fondateurs. Le comité stratégique est sous contrôle des fondateurs, l’entreprise est incorporée en France et les trois fondateurs habitent en France. D’un point de vue gouvernance, on est complètement Français », soutient Arthur Mensch, qui insiste : « On est Français et on va le rester ».

En revanche, « on vient d’ouvrir une filiale aux Etats-Unis », d’où « la nécessité de s’allier avec les fonds américains ». S’ajoute une culture du risque plus forte outre-Atlantique. Il regrette que « les fonds d’investissement européens ne soient pas du tout structurés pour faire des paris avec forte conviction, c’est-à-dire signer un chèque de 50 ou 100 millions d’euros, sans voir le revenu de l’entreprise, ce qui est le cas des fonds américains ».

Les besoins d’investissements futurs sont gigantesques. « Le consensus, c’est que les investissements en IA seront de l’ordre de plusieurs trilliards d’euros. C’est beaucoup », dit pudiquement le patron de Mistral AI.

« Permettre aux employés de partir quand ils veulent de leur entreprise »

Pour faciliter sa croissance, le jeune responsable de 31 ans prône un allègement du droit du travail. « S’il fallait légiférer sur quelque chose, c’est de permettre aux employés de partir quand ils veulent de leur entreprise. En France, on a trois mois de préavis » s’adresse-t-il aux législateurs que sont les sénateurs. « Donner plus de liberté aux employés de partir de leur entreprise, ça nous accélérerait largement ». Autrement dit, Mistral a du mal à débaucher, du moins pas suffisamment vite.

La contrepartie, c’est que ce soit moins difficile aussi de se séparer d’un employé avec qui le « fit » n’est pas bon », ajoute le patron, selon qui « il faut adapter la protection aux revenus », avec « un peu moins de protection pour les employés quand les salaires sont élevés ».

« Il faudrait largement plus financer la recherche publique en IA »

Sur l’emploi, si « côté ingénieur, il y a beaucoup de talents, du côté marketing, c’est plus difficile de recruter », pointe-t-il. Et l’entreprise va encore avoir besoin d’embaucher. « On est trop petit, il faut qu’on grandisse. On a un besoin de croître rapidement », prévient le directeur général.

Dans le domaine crucial de la recherche, « le crédit impôt recherche nous est utile aujourd’hui. […] Il pourrait être plus grand, pour financer la capacité de calcul. Cela aurait un impact pour les petites start up », défend Arthur Mensch, qui ajoute qu’« il faudrait largement plus financer la recherche publique en IA ».

« Potentiellement des risques »

Croitre, mais pour faire quoi ? A la différence de ses concurrents américains qui proposent « des services fermés », Mistral défend de le faire « de manière ouverte, c’est-à-dire qu’on propose le logiciel à nos clients », qui peuvent ensuite le personnaliser. « On est une entreprise européenne qui se préoccupe certainement plus d’un certain nombre de sujets culturels », notamment « la maîtrise des langues européennes », ajoute-t-il.

Mais dans cette « révolution industrielle » qui s’opère, il y a « potentiellement des risques », reconnaît Arthur Mensch. « C’est une technologie qui est neutre par définition », soutient-il, mais tout dépend de ses potentielles « mauvaises utilisations ».

La question du risque pour certains métiers revient, dès qu’on parle IA. « La structure du marché du travail va profondément changer », prévient Arthur Mensch, « cela veut dire que pour beaucoup de métiers, y compris des métiers du service relativement bien paillés aujourd’hui, ce sont des métiers, je ne dirais pas qu’ils vont disparaître, mais qui vont être largement modifiés dans les 10 prochaines années ». Pour résumer, « ça va transformer les services ».

« Sur les services clients, on peut utiliser des IA qui vont remplacer la personne au téléphone »

L’intelligence artificielle « va augmenter les humains, augmenter leur productivité, certainement changer la manière dont on va travailler. […] Il faut être plus créatif, se focaliser sur ce qui va être relationnel, car les aspects procéduraux vont être progressivement remplacés par des machines », prédit le responsable de Mistral AI.

Mais des métiers vont bien disparaître. Des emplois seront supprimés. « Cela ne remplace pas les humains », assure-t-il, mais « sur les services clients, on peut utiliser des IA qui vont remplacer la personne au téléphone. C’est ce qui va se passer je pense, car ça va coûter beaucoup moins cher », reconnaît le dirigeant.

« D’ici 5 ans, et même avant, on pourra mettre des modèles Mistral dans des robots qui se déplacent à vitesse humaine »

« Également dans la production, la manufacture, il y a des changements profonds qui sont à prévoir », pense le dirigeant, qui pense que « d’ici 5 ans, et même avant, on pourra mettre des modèles Mistral dans des robots qui se déplacent à vitesse humaine, avec une dextérité proche de celle des humains ».

Dans les faits, il imagine qu’« un professeur et une IA permettront de traiter une classe de 25 personnes de la même manière que le ferait un professeur avec 12 personnes », soit de personnaliser l’apprentissage. En matière de santé, l’IA pourra répondre au problème des « déserts médicaux ». « Est-ce qu’il vaut mieux n’avoir rien ou avoir une appli sur son téléphone qui permet de faire un diagnostic qui peut être fait de manière pertinente ? Des études ont montré que les chat bot sont plutôt plus empathiques que les médecins car ils ont une patience infinie, ce qui n’est pas forcément le cas des médecins… » Peut-être qu’il faudra paramétrer l’IA sur un niveau de sympathie plutôt faible pour ne pas être trop dérouté.

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