Un mois après la promulgation de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, le combat gouvernemental continue. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a ainsi diffusé auprès des préfets, ce mercredi, une circulaire visant à mettre en œuvre une interdiction de paraître sur des points de deal pour des personnes en lien avec le trafic, que ce soient les dirigeants du réseau ou les petites mains. Elle consacre aussi une procédure permettant aux préfets d’enjoindre aux bailleurs de mettre fin à un bail si les locataires sont liés au trafic.
Une interdiction consacrée par la loi contre le narcotrafic
Ces dispositifs étaient présents dans l’article 62 de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, adoptée fin avril au Sénat et à l’Assemblée nationale. En première lecture, la commission des lois du Sénat avait modifié l’article en dissociant la procédure d’interdiction de paraître et celle d’expulsion locative. Elle avait également renforcé et détaillé le cadre de ces procédures pour qu’elles ne soient pas censurées par le Conseil constitutionnel. La chambre haute avait aussi étendu ces dispositifs à toute personne impliquée dans le trafic alors qu’ils ne concernaient au départ que les dirigeants de réseaux.
Cet article avait soulevé des débats au sein du Sénat puisqu’il n’avait pas été proposé dans le cadre du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Le sénateur écologiste Guy Benarroche l’avait alors surnommé « l’article Bruno Retailleau » et l’avait jugé « inefficace et inopérant ». Le reste de l’hémicycle l’avait toutefois trouvé utile. Cette disposition répondait, selon la commission, à « un fort besoin opérationnel » et « était particulièrement attendue par les élus locaux ». Auditionné par la commission des lois du Sénat, le 20 novembre 2024, le directeur général de la police nationale, Louis Laugier, avait déclaré : « il serait opportun de créer une mesure de police administrative d’interdiction de paraître pour les individus causant un trouble à l’ordre et à la tranquillité publics, dans la mesure où les actions judiciaires se sont révélées inefficaces ou impossibles ». C’est désormais chose faite grâce à la loi et à la circulaire du ministre de l’Intérieur.
Des dispositifs strictement encadrés par la loi
L’interdiction de paraître est une mesure qui vise à interdire à une personne de se rendre dans un endroit. En l’espèce, le dispositif consiste à interdire à « toute personne participant » à des activités de trafic de drogue de se rendre sur le point de deal où elles opèrent. La loi encadre strictement le dispositif en l’associant à plusieurs garanties. L’interdiction prononcée par le préfet ne doit pas excéder un mois, doit tenir compte de « la vie familiale et professionnelle de la personne concernée » et « le périmètre géographique de la mesure ne peut comprendre son domicile ». Le préfet doit également notifier sa mesure au procureur de la République. En cas de non-respect de l’interdiction, la personne concernée risque « six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende ».
Concernant l’expulsion locative, le préfet peut désormais « enjoindre aux bailleurs sociaux et privés de saisir le juge judiciaire en résiliation du bail locatif » pour des troubles liés au trafic de drogue ou si les locataires par leur « comportement ou activité, aux abords des locaux loués ou dans le même ensemble immobilier, porte atteinte aux équipements collectifs utilisés par les résidents, à la sécurité des personnes ou à leur liberté d’aller et venir ». En cas d’absence de réponse, le préfet peut se substituer au bailleur pour saisir le juge.
L’inquiétude d’associations et de syndicats
Lors de l’examen de la proposition de loi au Parlement, de nombreuses associations se sont émues de ce dernier dispositif qui facilite l’expulsion de locataires. Dans un communiqué, le Collectif des associations pour le logement avait exprimé ses craintes sur cette disposition qui « présente le risque majeur d’étendre de manière disproportionnée, et sans limites claires, le champ des motifs d’expulsions locatives, mêlant injustement et de manière disproportionnée ordre public et droit à la vie privée et familiale ». L’association Droit au logement avait aussi regretté ce « flou sur le périmètre concerné et la nature du trouble, sans lien particulier avec le narcotrafic ».
Reste désormais à observer la déclinaison concrète de ces dispositifs alors que des syndicats policiers s’inquiètent aussi de la faisabilité de certaines mesures, comme celle de l’interdiction de paraître.