S’il a quitté Beauvau depuis déjà quelques mois, Gérald Darmanin reste à l’aise pour parler du thème de l’immigration. Après avoir remis en cause le droit du sol la semaine dernière, le garde Sceaux a apporté son soutien à la proposition de loi du sénateur centriste, Stéphane Demilly, dans un entretien à BFM TV. Le texte composé d’un seul article prévoit que « le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national. »
« Je ne veux pas qu’on considère que j’aboie avec les loups »
Il sera examiné en commission des lois mercredi. « Je ne veux pas qu’on considère que j’aboie avec les loups. Et que mon texte est lié à l’excitation du moment. Pour moi, ce sujet n’est pas politique », souhaite préciser le sénateur de la Somme, Stéphane Demilly, qui avait déposé sa proposition de loi, fin 2023. « J’ai été maire pendant 30 ans et lors de la célébration d’un mariage, j’ai toujours trouvé incohérent de lire des articles du code civil à une personne qui n’a pas respecté les conditions fixées par notre droit. J’ai été très marqué par ce qui était arrivé au maire d’Hautmont, Stéphane Wilmotte, qui encourait une peine d’inéligibilité et le versement de dommages et intérêts pour avoir refusé de célébrer le mariage d’un ancien président d’une mosquée fermée pour discours haineux et apologie du djihad armé, sous obligation de quitter le territoire », explique-t-il.
Avant de déposer son texte, Stéphane Demilly avait tenté de faire passer la mesure par un amendement au projet de loi immigration. Stéphane Ravier (« Marseille d’Abord », ancien Reconquête) et Valérie Boyer (LR) avaient défendu des amendements similaires. Lorsqu’elle était députée en 2018, Valérie Boyer avait elle-même déposé une proposition de loi en ce sens. « Les macronistes n’ont pas voulu la voter, s’ils l’avaient fait Robert Menard ne serait pas convoqué par la justice », s’est insurgée la sénatrice sur le réseau social X. Le maire de Bézier doit, en effet, être jugé le 18 février par le tribunal de Montpellier pour avoir refusé à l’été 2023 de célébrer le mariage entre une Française et un ressortissant algérien en situation irrégulière.
« C’est une loi frappée du coin du bon sens. Ma volonté est que nous changions la loi rapidement pour qu’on ne puisse pas marier quelqu’un qui serait irrégulier sur le sol national », a insisté Gérald Darmanin, indiquant sa volonté d’utiliser le texte de Stéphane Demilly comme véhicule législatif. Est-ce la position du gouvernement ? « C’est la mienne en tout cas et je la défendrai car je serai au banc au Sénat », a-t-il ajouté.
« A coup sûr censuré par le Conseil constitutionnel », reconnaissait Gérald Darmanin
Un sacré changement de pied de la part du garde des Sceaux car, le 8 novembre 2023 (voir la vidéo), alors ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin avait donné un avis défavorable aux amendements cités plus haut. Si le ministre avait déclaré ne pas souhaiter voir un maire être « le blanchisseur d’un mariage irrégulier », son appui s’était arrêté là. « Votre amendement est contraire non seulement à nos engagements internationaux, mais également à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s’appuie sur deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Convenez qu’il est possible de modifier beaucoup de choses, mais qu’il serait très osé – mais après tout, pourquoi pas ? – de vouloir modifier la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », avait-il ironisé avant d’ajouter : « Je me vois mal adopter un amendement dont l’objet est contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. On se ferait plaisir quelques instants, mais on sait à coup sûr que cet amendement serait ensuite censuré par le Conseil constitutionnel ». A noté que la corapporteure du texte, Muriel Jourda (LR) avait elle aussi émis un avis défavorable, s’appuyant sur une décision du « Conseil constitutionnel « extrêmement claire et détaillée ».
Dans une décision de 2003, le Conseil avait, en effet, rappelé que le respect de la liberté du mariage, était une « composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 », et s’opposait donc « à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé ».
Stéphane Demilly ne méconnaît pas cette jurisprudence mais estime que « la société a évolué depuis. Et j’ai appris que quand on veut faire quelque chose on nous dit toujours que c’est impossible ».
« Ce n’est pas parce qu’on est maire qu’on détient la vérité », soulignait Gérald Darmanin
En 2023, devant les sénateurs, Gérald Darmanin avait, lui, esquissé deux pistes pour soulager les maires. La première consistait « à prévoir davantage de temps pour l’enquête administrative ou celle du parquet, afin de pouvoir démontrer l’irrégularité du mariage ». La seconde aurait donné « le pouvoir au maire de s’opposer au procureur de la République et de refuser de célébrer le mariage ». Cette « solution obligerait toutefois à prévoir une forme d’appel administratif ou judiciaire de la décision du maire, un maire pouvant évidemment faire n’importe quoi. Ce n’est pas parce qu’on est maire qu’on détient la vérité ou que l’on a la science infuse », reconnaissait-il.
« Multiplication de contrôles » pour les conjoints étrangers
« Cette proposition de loi surfe sur l’idée que le mariage serait la voie royale pour obtenir un visa dit de « long séjour conjoint Français », alors qu’il y a une multiplication des contrôles », rappelle Camille Escuillié, avocate, au barreau de Paris, exerçant en droit de l’immigration. « Le mariage avec un citoyen Français permet d’obtenir ce visa, si le mariage a été contracté en France, si la personne de nationalité étrangère est arrivée régulièrement sur le territoire et s’il peut prouver six mois de vie commune avec le conjoint français », liste-t-elle.
Quid alors des protections contre les mesures d’éloignement d’un étranger marié à un citoyen français ? « Depuis la dernière loi immigration de janvier 2024, il n’y a plus de protection pour les conjoints étrangers contre les OQTF. Avant la loi, ils bénéficiaient de cette protection mais après trois ans de mariage. N’oublions pas que cette proposition de loi porterait aussi atteinte au droit du citoyen français de pouvoir épouser qui il souhaite », précise l’avocate.
Le texte sera examiné le 20 février au Sénat.