IVG : le Sénat vote à l’unanimité un texte pour réhabiliter les femmes condamnées pour avortement illégal

Les sénateurs ont voté pour reconnaître les « souffrances physiques et morales » subies par les femmes qui ont avorté illégalement. Dans l’hémicycle, l’autrice du texte Laurence Rossignol a convoqué l’histoire, cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, mais aussi l’actualité, avec le retour de Donald Trump au pouvoir.
Rose-Amélie Bécel

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Cinquante ans après le vote de la loi Veil, un an après la constitutionnalisation du droit à l’avortement, le vote de ce 20 mars au Sénat était chargé de symboles. À l’unanimité, les sénateurs ont adopté une proposition de loi visant à réhabiliter les femmes condamnées pour avoir avorté illégalement, avant la dépénalisation de l’IVG en 1975.

Porté par la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes, le texte répond à plusieurs objectifs. Il reconnaît que toutes les lois qui ont pénalisé le recours ou la pratique de l’avortement en France ont constitué une « atteinte à la protection de la santé des femmes », mais aussi que ces dispositions « ont conduit à de nombreux décès et ont été source de souffrances physiques et morales ».

La ministre Aurore Bergé livre le témoignage de sa mère, qui a avorté clandestinement

« La France s’est montrée dans l’histoire très déterminée à contrôler la natalité et à assigner les femmes à leurs fonctions reproductives, en leur ôtant leur liberté de choix », a rappelé Laurence Rossignol. Dans l’hémicycle, la sénatrice a énuméré les lois qui ont pénalisé l’avortement en France, du Code napoléonien qui « poursuivait de travaux forcés les femmes qui avortaient », au régime de Vichy qui a fait de l’IVG un « crime d’Etat ». « Une femme fut même guillotinée, pour avoir pratiqué des avortements », a-t-elle précisé.

Même dans l’histoire plus récente, les témoignages d’avortements clandestins restent tout aussi poignants. À l’image de celui que la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, est venue raconter à la tribune. « Ma mère fut l’une de ces jeunes filles sur qui reposait le péché, la faute, la honte, la terreur. Son histoire est celle de ces milliers d’avortements clandestins qui se passent mal, qui obligent à venir à l’hôpital en espérant être prise en charge avec humanité. De ces avortements qu’on vous fait payer, qui se finissent par un curetage sans anesthésie, qui laissent des traces indélébiles. »

Une commission créée pour recueillir les témoignages des femmes ayant avorté clandestinement

De son côté, la commission des lois, qui a voté à l’unanimité le texte la semaine dernière avant son passage dans l’hémicycle, a bien précisé le périmètre de la proposition de loi. « Cette proposition de loi est une reconnaissance, mais pas un mécanisme d’indemnisation. En effet, qui serait indemnisé ? Toutes celles qui ont souffert ? C’est impossible. Toutes celles qui ont été condamnées pour avoir subi un avortement clandestin ? Peuvent-elles même être retrouvées ? », a expliqué le sénateur Les Républicains Christophe-André Frassa, rapporteur du texte.

En séance, la majorité sénatoriale a également fait voter un amendement pour modifier le second article de la proposition de loi. Celui-ci prévoit la création d’une commission nationale indépendante, chargée de recueillir et de transmettre la mémoire des femmes ayant avorté clandestinement. Composée d’historiens, de juristes et d’associations de défense du droit à l’IVG, cette commission devait également accueillir des parlementaires.

« Leur présence paraît inutile, voire contraire à l’objectif poursuivi », a jugé la sénatrice Les Républicains Agnès Evren, qui a défendu un amendement pour les retirer de la commission. Un avis suivi par le rapporteur Christophe-André Frassa et par la ministre. Le groupe socialiste s’est abstenu, mais le groupe communiste a préféré s’y opposer. « La présence d’élus est nécessaire. On a bien mesuré que le droit des femmes à disposer de leur corps est un droit éminemment politique, surtout en ce moment », a observé la sénatrice communiste Evelyne Corbière Naminzo.

« La menace anti-choix a bien franchi les frontières des Etats-Unis »

Ce n’est pas le seul moment du débat où l’actualité récente a été convoquée. « La menace anti-choix a bien franchi, comme nous le craignions, les frontières des Etats-Unis », a souligné Laurence Rossignol. « J. D. Vance [le vice-président américain] est venu à Munich expliquer aux Anglais et à tous les Européens que les lois qui existent en Europe pour sanctionner le délit d’entrave à l’IVG étaient une atteinte à la liberté de conscience », a-t-elle rappelé. « Pour sa dernière soirée, la chaîne C8 a diffusé un film militant hostile à l’IVG », a également ajouté la sénatrice, en référence à la diffusion surprise du téléfilm américain « Unplanned » sur l’antenne, juste avant son extinction à minuit le 28 février dernier.

Aujourd’hui, à travers le monde, 38 millions de femmes sont contraintes chaque année de recourir à un avortement clandestin ou non-sécurisé, a aussi rappelé Laurence Rossignol. En France, si le droit à l’avortement est désormais protégé par la Constitution, son accès reste également difficile dans certains territoires. Selon un rapport de la DREES, 17 % des femmes sont contraintes de changer de département pour avoir recours à une IVG.

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