Justice des mineurs : le Sénat vote la comparution immédiate pour les mineurs de plus de 15 ans

Lors de l’examen de la proposition de loi de Gabriel Attal sur la justice des mineurs, le Sénat a rétabli la comparution immédiate pour les justiciables mineurs, supprimée en commission. La majorité sénatoriale a même élargi le dispositif aux mineurs de plus de 15 ans, malgré les alertes du rapporteur LR sur la constitutionnalité de la mesure.
Louis Mollier-Sabet

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Détricotées en commission la semaine dernière (voir notre article), certaines mesures phares de la proposition de loi de Gabriel Attal visant à « restaurer l’autorité » de la justice à l’égard des « mineurs délinquants » ont commencé à être réintroduites en séance. Dans la version votée par l’Assemblée nationale, le texte prévoyait la possibilité pour des mineurs de plus de 16 ans récidivistes d’être jugés en comparution immédiate. Sur initiative du rapporteur LR et avocat pénaliste Francis Szpiner, l’article avait été supprimé en commission. Mais, comme anticipé (voir notre article), la majorité sénatoriale de droite a finalement rétabli cette possibilité en séance, tout en modifiant le dispositif initialement imaginé par Gabriel Attal.

« Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous vous apprêtez à voter ? »

L’amendement de la sénatrice LR Marie-Claire Carrère-Gée vers lequel semblait vouloir se diriger la majorité sénatoriale prévoyait de rétablir cette comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans (peines supérieures à 3 ans d’emprisonnement), mais aussi pour les mineurs âgés de 13 à 16 ans (peines supérieures à 5 ans d’emprisonnement). Une proposition qui n’a au départ recueilli ni les faveurs du rapporteur, ni celles du garde des Sceaux. « J’attire l’attention du Sénat sur le fait que voter la comparution immédiate de gamins de 13 ans ne passera jamais le Conseil constitutionnel. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous vous apprêtez à voter ? Juger des mineurs dans des délais rapides, comme on juge un majeur, sans aucune proposition de mesures éducatives. Vous confondez la justice et la justice expéditive », a rétorqué d’un ton grave Francis Szpiner, rapporteur LR du texte.

Moins offensif, Gérald Darmanin a, lui aussi, pointé les difficultés posées par le dispositif : « Cet amendement ne me paraît pas constitutionnel, c’est quasiment certain. Que quelqu’un de 13 ans puisse passer en comparution immédiate pour des délits punis de 3 ou 5 ans d’emprisonnement… Cela peut paraître impressionnant comme ça, mais c’est la peine pour de nombreux délits dans le Code pénal. »

Mais le ministre de la Justice s’est tout de même montré ouvert à la négociation pour sauver l’un des « moments forts » du texte de son ancien chef de gouvernement. Après une suspension de séance, Marie-Claire Carrère-Gée et Gérald Darmanin se sont rabattus sur une position commune en limitant la comparution immédiate aux mineurs ayant entre 15 et 16 ans pour les délits punis de plus de 5 ans d’emprisonnement, et aux mineurs ayant plus de 16 ans pour les délits punis de plus de 3 ans d’emprisonnement.

« Trumpisme législatif »

« C’est votre dernier prix ? » a plaisanté, amer, Francis Szpiner, avant d’ajouter : « J’y suis défavorable, mais je me réjouis que vous soyez tombé sur 15 ans, comme ça le Conseil constitutionnel censurera, alors qu’à 16 ans, on pouvait se discuter. » Une remarque qui n’a pas échappé à la gauche, accusant depuis le début de l’examen du texte la droite de faire de la « communication politique » avec une « loi d’affichage », tout en sachant que de nombreuses mesures seraient censurées par le Conseil constitutionnel ou inopérantes.

« S’arrêter sur 15 ans au lieu de 16, c’est une chance supplémentaire d’inconstitutionnalité. Est-ce cela que vous visez ? » a interrogé le sénateur écologiste Guy Benarroche, rappelant à Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avoir déclaré en 2023 devant la représentation nationale que sa propre loi Immigration comportait « des mesures manifestement et clairement contraires à la Constitution. »

Et le sénateur écologiste de dénoncer l’ensemble de la logique de la majorité sénatoriale sur le dossier et de pointer les divisions au sein des LR : « En votant sciemment une loi inconstitutionnelle, contre l’avis du rapporteur de votre propre parti et malgré les réserves émises par le ministre de manière indirecte, vous allez arriver à une censure. Puis vous allez pouvoir hurler au gouvernement des juges. C’est une remise en cause directe du Conseil constitutionnel et une façon de mettre un pied supplémentaire à l’étrier de Mme Le Pen quand elle sera au pouvoir. »

Même son de cloche du côté de la sénatrice PS Laurence Harribey, qui a dénoncé une « dérive inquiétante » du Sénat, en faisant notamment référence à des initiatives sénatoriales sur l’allongement de la durée de résidence nécessaire au versement de plusieurs prestations sociales (voir notre article), ou sur des problématiques agricoles. D’après la sénatrice socialiste, le Sénat se « revendiquer [ait] de l’opinion publique pour faire voter des mesures manifestement inconstitutionnelles, puis pour accuser le Conseil constitutionnel de violer la volonté des Français », tombant ainsi dans le « trumpisme législatif ».

« Il serait dommage d’apporter une réponse purement technique plutôt que d’assumer nos responsabilités politiques »

Si les sénatrices et sénateurs de la majorité sénatoriale ont reconnu un dispositif « imparfait », ils ont aussi rappelé la nécessité de faire évoluer la réponse pénale. Marc-Philippe Daubresse (LR), a ainsi appelé son camp à « assumer ses responsabilités politiques » et à ne pas « apporter une réponse purement technique » au problème de la délinquance des mineurs. « Refuser de voir cette réalité alarmante par posture idéologique reviendrait à nier ce que les Français subissent au quotidien », a conclu le sénateur LR.

L’examen du texte se poursuit ce mercredi soir, avec au programme encore deux « moments forts » du texte de Gabriel Attal : les sanctions pour les parents de délinquants mineurs et la dérogation à l’excuse de minorité.

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