Coup d’envoi pour la commission d’enquête parlementaire du Sénat sur « les marges des industriels et de la grande distribution », qui tiendra ses deux premières auditions les 17 et 18 décembre. Elles seront consacrées à l’impact de la hausse des prix sur les ménages ces dernières années et sur certaines filières, indique un communiqué de presse, sans plus de précision, à ce stade, quant aux personnalités qui seront entendues par les élus. Mercredi 10 décembre, le Sénat a procédé à l’installation du « bureau » de cette commission, qui compte 19 membres. Elle est présidée par la sénatrice centriste de la Côte-d’Or Anne-Catherine Loisier. La sénatrice écologiste de Paris, Antoinette Guhl, en est la rapporteure.
Ce sont les écologistes du Sénat qui ont poussé à la création de cette commission d’enquête en utilisant leur « droit de tirage », un mécanisme qui permet à un groupe politique, chaque année, d’inscrire à l’ordre du jour une proposition de résolution visant à la création d’une commission d’enquête. Cette proposition a ensuite été examinée et adoptée par la commission des lois et la conférence des présidents de la Haute assemblée, l’instance qui organise les travaux du Sénat.
« Il y a de quoi s’interroger sur le niveau des marges pratiquées par certains acteurs »
« Il y a longtemps que j’ai ce sujet en tête », confie Antoinette Guhl, qui a notamment piloté la première mission de contrôle consacrée au scandale des eaux minérales contaminées. « À mon arrivée au Sénat, en 2023, j’ai notamment travaillé sur le projet de loi qui portait des mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation. À l’époque, nous avions vu les prix s’envoler, et nous avions déjà pu constater que certains acteurs pratiquaient des marges abusives », explique-t-elle. « On entend très souvent les consommateurs nous dire que leur panier de courses est de plus en plus cher, tandis qu’à l’autre bout de la chaîne, les agriculteurs ne s’en sortent plus. C’est cette dichotomie que nous voulons expliquer, pour comprendre ce qu’il se passe entre ces deux extrêmes. »
Hasard du calendrier : les négociations commerciales pour 2026 se sont ouvertes le 1er décembre. Les géants de la grande distribution et les industriels de l’agroalimentaire auront jusqu’au 1er mars pour s’accorder sur les prix de plusieurs milliers de produits qui seront vendus dans les rayons des supermarchés. Chaque année, ces négociations commerciales tournent au bras de fer. Malgré le renforcement du cadre législatif depuis 2018, notamment avec la mise en place des lois dites « Egalim », la grande distribution est régulièrement accusée de tirer les prix vers le bas, au détriment des agriculteurs et des producteurs, alors que les étiquettes des produits alimentaires ont grimpé de plus de 20 % entre 2021 et 2023, sous le coup de la crise inflationniste.
« Ce qui interroge, c’est que si les coûts de fabrication ont pu augmenter à un moment donné, par exemple avec la hausse des tarifs de l’électricité, ils auraient dû redescendre lorsque les prix de l’énergie se sont stabilisés, ce qui n’est pas toujours le cas. Cela veut dire qu’il y a de quoi s’interroger sur le niveau des marges pratiquées par certains acteurs », explique Antoinette Guhl. Les élus s’attacheront donc « à éclairer la formation des prix, la réalité des marges industrielles et commerciales, le fonctionnement des centrales d’achat, ainsi que les pratiques comme les ‘marges arrière’ », précise encore la commission.
Six mois de travaux
La liste des personnalités et organismes auditionnés par la commission sera affinée au fil des semaines, mais les acteurs de la grande distribution, les représentants des différentes filières agroalimentaires, les syndicats agricoles et les associations de consommateurs seront très certainement sollicités. Antoinette Guhl cite notamment les dirigeants de la FNSEA, premier syndicat agricole, ou des personnalités comme Michel-Édouard Leclerc, le président du groupe E.Leclerc.
Pour rappel, les personnes convoquées devant une commission d’enquête parlementaire ont obligation de déférer, sous peine de poursuites judiciaires. Elles prêtent serment avant d’être auditionnées. En cas de témoignage mensonger, elles encourent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Une commission d’enquête dispose également de pouvoirs d’investigation spécifiques, notamment la possibilité d’effectuer des contrôles « sur pièce et sur place ». « Si nécessaire, je n’hésiterais pas à utiliser ces différents moyens pour obtenir de la transparence », avertit la rapporteure. Les travaux de la commission dureront six mois, avec un rapport d’enquête attendu courant mai.