Coup dur ou coup de Jarnac ? Le rejet de la réforme de l’audiovisuel public lundi par les députés, avant même le début de l’examen en séance publique, sonne de prime abord comme un important revers pour Rachida Dati, la ministre de la Culture, qui a fait de ce texte l’un des marqueurs de son passage rue de Valois. Pour autant, la suite de la navette parlementaire, avec une seconde lecture prévue les 10 et 11 juillet au Sénat, pourrait permettre à la ministre de rebondir rapidement en échappant aux tentatives d’obstruction parlementaire de la gauche, farouchement opposée à ce texte.
« La gauche ne voulait pas débattre. C’est une étape franchie. Le texte ira plus vite au Sénat », a sobrement commenté le cabinet de la ministre auprès de l’Agence France presse, laissant l’impression d’une demi-victoire pour Rachida Dati, qui avait longuement poussé pour obtenir la réinscription de cette proposition de loi à l’agenda de l’Assemblée nationale, après une tentative avortée début avril. À l’époque, les travaux en commission s’étaient enlisés face aux nombreux amendements déposés sur ce texte. Une vive altercation verbale avait même opposé la ministre à l’une des administratrices de la commission des affaires culturelles.
« Une réforme maudite »
Ce lundi, les députés de gauche sont parvenus à faire passer une motion de rejet déposée par les écologistes, avec le soutien inattendu d’une partie des élus du Rassemblement national. En face, les rangs dégarnis du bloc gouvernemental n’ont pas permis de faire barrage, avec 94 voix pour, dont 16 RN, et seulement 38 contre. « C’est vraiment une réforme maudite », commente le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet.
Cet élu est le co-auteur d’un rapport sur l’audiovisuel public, qui a pour partie inspiré la rédaction de cette proposition de loi. Portée par son collègue centriste Laurent Lafon, elle a été adoptée en première lecture au Sénat en juin de 2023, avant que l’exécutif n’en fasse l’instrument d’une refonte de l’audiovisuel public, dans les tuyaux depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, mais sur laquelle les différents locataires de la rue de Valois n’ont jamais vraiment osé s’aventurer. « J’ai rarement vu quelqu’un défendre avec une telle pugnacité un sujet que Rachida Dati, avec cette réforme », ajoute Jean-Raymond Hugonet.
Contourner l’Assemblée nationale
« Le Rassemblement national, qui avait dit qu’il s’abstiendrait, a finalement voté pour la motion de rejet. Et je pense que ça arrangeait beaucoup la ministre », relève le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. « Je pense qu’il y a eu un accord, un accord troublant parce que le RN veut la privatisation de l’audiovisuel public. Que Madame Dati, dont l’objectif politique affiché est de renforcer le service public, fasse alliance avec un parti qui veut le supprimer, on a du mal à suivre… »
« Rachida Dati sait calculer », sourit le sénateur LR Roger Karoutchi. « Les opposants du texte n’ont rien compris à ce qui est en réalité une manœuvre parlementaire pour faire accélérer la procédure quand il y a blocage. Nous l’avons fait sur d’autres textes, avec succès ». Une référence à ce qui s’est produit fin mai sur la proposition de loi agricole du sénateur Laurent Duplomb. Pour contourner l’avalanche d’amendements déposés par la gauche, le bloc gouvernemental a fait le choix de rejeter le texte, afin de le propulser directement en commission mixte paritaire où la copie adoptée par le Sénat a servi de base aux discussions.
Une seconde lecture au Sénat
Le scénario qui se profile avec la proposition de loi sur l’audiovisuel public pourrait être sensiblement le même, à ceci près qu’en l’absence de procédure accélérée, une seconde lecture est nécessaire avant la convocation d’une CMP. Le texte est donc amené, in fine, à repasser au Palais Bourbon. D’ici là, le Sénat planchera à nouveau sur la proposition de loi les 10 et 11 juillet, soit à la toute fin de la session extraordinaire. L’examen en commission de la culture reprendra dès jeudi, a appris Public Sénat. Mais une éventuelle CMP ne pourra se tenir qu’après la coupure estivale. Ce calendrier devrait être confirmé mercredi soir par une réunion de la conférence des présidents, chargée de fixer l’ordre du jour.
« Une telle réforme nécessite du temps ! », s’agace la sénatrice socialiste Sylvie Robert. « Nous annoncer seulement deux jours avant la reprise des travaux, c’est un dévoiement de la procédure et un appauvrissement du travail parlementaire », dénonce-t-elle. « Ce texte appelle un travail important d’amendements. Je rappelle que ce qui a été voté par le Sénat, il y a maintenant deux ans, ne correspond pas exactement à la réforme défendue par Rachida Dati », observe l’élue.
L’exécutif entend notamment modifier les fonctions et le périmètre de la holding, à l’intérieur de laquelle le texte prévoit de rassembler France Télévisions, Radio France et l’INA, avec le retrait de France Media Monde. Par ailleurs, en commission à l’Assemblée nationale, les articles centrés sur les médias privés avaient été expurgés de la proposition de loi, pour en recentrer le contenu sur le seul secteur public.
L’agenda politique de Rachida Dati
« Rachida Dati veut à tout prix une seconde lecture avant la rentrée. Aujourd’hui, son agenda n’est pas celui du Parlement », tacle encore Sylvie Robert. « Cela fait un an et demi qu’elle est ministre de la Culture et, pour l’instant, elle n’a présenté aucun texte », abonde Pierre Ouzoulias. « Il lui faut une victoire, un geste politique pour montrer qu’elle a su mettre au pas le Parlement, ce qui l’aiderait à propulser sa campagne pour les municipales à Paris. »
« Pour elle, c’est tout bénef », analyse Jean-Raymond Hugonet. « Soit ça passe, et c’est une victoire politique, soit ça casse, et elle sera amenée à quitter le gouvernement à la rentrée, en expliquant qu’elle veut se consacrer à la bataille des municipales. »