Laïcité : dans une ambiance électrique, le Sénat adopte un texte pour interdire le port de signes religieux dans les compétitions sportives

Mardi, le Sénat a adopté la proposition de loi portée par Les Républicains visant à interdire le port de signes religieux dans les compétitions sportives et dans les piscines municipales. Le débat a séparé les élus de gauche des élus de droite dans deux positions inconciliables, les premiers accusant la majorité LR de stigmatiser les femmes musulmanes.
Simon Barbarit

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Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Cela fait déjà plusieurs années que la droite sénatoriale adopte une disposition visant à interdire le port de signes religieux dans les compétitions sportives. Mardi soir, la proposition de loi du sénateur LR Michel Savin a été adoptée par 210 voix pour et 81 contre.

En 2021, plusieurs amendements du sénateur Michel Savin visant à renforcer la neutralité dans le monde du sport avaient été adoptés dans la loi séparatisme. La disposition visant à interdire le port du voile dans les compétitions organisées par les fédérations sportives n’avait pas été conservée dans la version finale du texte. Un plus tard, Michel Savin tentait, sans succès, d’intégrer cette disposition à la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. La ministre des Sports de l’époque, Roxana Maracineanu avait alors pointé « l’obsession » de la droite sénatoriale pour cette mesure.

Lors des débats un désormais traditionnel clivage a opposé la gauche et la droite sur ce sujet sensible d’application de la laïcité. A la tribune, Michel Savin a estimé que son texte « comblait un vide juridique ». « Les acteurs du sport s’accordent sur la nécessité et l’urgence d’adopter un dispositif d’une pratique démocratique sereine et pacifiée », a-t-il mis en avant.

Accusation de stigmatisation contre celle du déni

« Je note que le mouvement sportif en général […] également les fédérations sportives qui sont pourtant promptes à nous saisir dès la moindre difficulté rencontrée, ne sont pas demandeurs d’un nouveau texte », a contredit Jean-Jacques Lozach (PS). Le sénateur de la Creuse, également spécialiste des questions sportives, souligne, en outre, que depuis la promulgation de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, 120 clubs sur 160 000 clubs sportifs ont fait l’objet d’un signalement pour atteinte au respect des principes de la République, seul un club a fait l’objet d’une fermeture. La loi de 2021 a mis en place un contrat d’engagement républicain que doivent signer les fédérations et les associations sportives. Jean-Jacques Lozach a pointé les difficultés financières des ministères concernés pour vérifier l’application de ces contrats et regrette l’absence d’étude d’impact sur la loi de 2021 avant de légiférer de nouveau.

Lors des explications de vote, la sénatrice PS, Sylvie Robert a « regretté la teneur des débats ». « Les sujets choisis par nos collègues Les Républicains ne font que nourrir des propos qui fracturent et qui vont à l’encontre de notre vivre ensemble. Cette proposition de loi à une visée politique qui est d’instrumentaliser la laïcité pour stigmatiser une religion ».

« Vous ne regardez pas la réalité en face, vous êtes dans le déni […] Nous ne stigmatisons pas les jeunes filles, nous cherchons à les protéger. Vous avez oublié le combat des gens qui étaient plutôt de votre côté de l’hémicycle », a réagi le sénateur PS Max Brisson.

Les échanges sont montés d’un cran autour de l’examen de l’article 1er du texte, que les groupes, communiste, écologique, et socialiste ont tenté sans succès de supprimer estimant qu’il visait essentiellement les jeunes femmes musulmanes. Il prévoit d’interdire le port de signes religieux dans les compétitions « organisées par les fédérations sportives et associations affiliées », qu’elles soient de niveau départemental, régional ou national. Lors de l’examen du texte en commission, en juin dernier, juste avant la dissolution, l’interdiction a par ailleurs été élargie au port de tenues et signes « manifestant ostensiblement une appartenance politique ». « Je ne vous ai pas entendu parler des joueurs qui se signent avant de rentrer sur le terrain. Parce que ça ne vous gêne pas […] L’islam, c’est votre obsession », a tancé le sénateur écologiste, Yannick Jadot. Le communiste, Pierre Ouzoulias a observé que l’article 1er ne prenait pas en compte les « démonstrations politiques, ce qui inclut les gestes, comme les saluts nazis ». Une grande partie du groupe communiste a, néanmoins, voté l’article 1 et ce, même s’ils étaient en faveur d’une transposition en droit français du principe universel de la Charte olympique qui proscrit toutes les démonstrations de propagande politique, religieuse ou raciale. Le groupe communiste a tenu a affirmé sa position singulière vis à vis des autres groupes de gauche en s’abstenant largement sur l’ensemble du texte, considérant qu’il était en deça de la jurisprudence actuelle.

A droite, Jacqueline Eustache-Brinio (LR) a estimé que la « France de 2025 subissait l’entrisme » des Frères musulmans. « On ne stigmatise personne, on dit simplement : assumez-vous choix, assumez vos modes de vie mais, pas sur le dos de l’unité de la France, sur la laïcité […] J’ai une pensée pour les femmes qui luttent tous les jours dans les quartiers car elles ne veulent pas subir cette pression islamiste ».

« Les saluts nazis, c’est un appel à la haine, c’est sanctionné dans le code pénal. Ça ne rentre pas dans le cadre de la loi », a précisé le rapporteur LR, Stéphane Piednoir.

Ancien du RN et de Reconquête, l’élu Marseillais, Stéphane Ravier a accusé la gauche de « participer à la course à l’échalote » avec LFI dans la conquête de l’électorat « arabo-musulman ».

« Collabo »

Ancien ministre des Sports, président du groupe socialiste, Patrick Kanner a rappelé à Stéphane Ravier « que la France était un parti de liberté où les femmes de confession musulmanes portent ou ne portent pas le voile en fonction de leur desiderata » même si « elles peuvent subir des pressions ». Une explication de vote qui lui aurait valu d’être traité de « collabo » par Stéphane Ravier. « J’aimerais une vérification et je me réserve le droit d’intervenir auprès des services de la présidence pour insulte à l’égard d’un parlementaire en séance », a-t-il prévenu.

Le gouvernement représenté par le ministre auprès du ministre de l’Intérieur, François-Noël Buffet a fait passer un amendement limitant le champ d’application de l’article 1er « aux compétitions sportives organisées uniquement par les fédérations délégataires de service public », « de façon à ce que les choses soient parfaitement cadrées comme l’avait indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision », a-t-il justifié.

Dans un avis de 2023, dans l’affaire des « hijabeuses » le Conseil d’Etat avait, en effet, considéré que la Fédération Française de Football (FFF) était en droit d’interdire le port de signe religieux. Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative avait considéré que les fédérations sportives afin « d’assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée » pouvaient légitimement « imposer une obligation de neutralité des tenues ». Le Conseil d’Etat avait fondé sa décision sur le principe de neutralité du service public, précisant que les fédérations sportives étaient en « charge d’une mission de service public ». L’interdiction était jugée « adaptée et proportionnée » afin de « garantir le bon déroulement des matchs de football ».

« On ne veut plus qu’un match de foot s’interrompe pour une prière »

L’article 2 interdit le détournement de l’usage des équipements sportifs à des fins religieuses « notamment comme salle de prière collective ». Un article qui a, lui aussi, fait l’objet d’amendements de suppression en provenance de la gauche, du groupe RDPI (Renaissance) et RDSE. « La jurisprudence interdit déjà la mise à disposition exclusive d’un équipement sportif par une commune pour l’exercice d’un culte ou la tenue de prières […] Cet article 2 […] se nourrit des polémiques annuelles stigmatisant les citoyennes et citoyens de confession musulmane », a fait valoir la sénatrice écologiste, Mathilde Ollivier.

Stéphane Piednoir s’en est défendu. « Je ne connais pas beaucoup de salles de prière qui ne soit pas collective ». « C’est simplement qu’on ne veut plus qu’un match de foot s’interrompe pour une prière dans les vestiaires, voire carrément sur le terrain […] Nous avons des exemples, c’est pourquoi cette proposition de loi est pertinente », a-t-il défendu.

François-Noel Buffet a assuré l’engagement du gouvernement pour « lutter contre les stratégies de contournement » et a prudemment émis un avis de sagesse sur les amendements de suppression qui n’ont pas été adoptés. Le ministre a rappelé que depuis la loi de 2021, les préfets peuvent déjà saisir les tribunaux pour suspendre les actes qui portent « gravement atteinte au principe de laïcité et de neutralité du service public », via « le déféré laïcité ».

L’article 3 de la proposition de loi prévoit « le respect de la laïcité dans les règlements d’utilisation des piscines publiques ». Là encore, l’idée est d’interdire le port de tenues à caractère politique ou religieux, comme les « burkinis ».

Interdiction du burkini dans les piscines municipales

En juin 2022, le Conseil d’Etat avait confirmé une décision du tribunal administratif de Grenoble, estimant que le nouveau règlement des piscines de la ville imposé par la municipalité grenobloise constituait une « dérogation très ciblée » destinée à « satisfaire une revendication religieuse ». Le maire écologiste, Éric Piolle avait justifié le choix de ce nouveau règlement intérieur pour mettre fin aux « injonctions sur le corps des femmes ». Ce n’était pas l’interprétation qu’en avait fait le Conseil d’Etat qui avait estimé que « l’adaptation du règlement intérieur de ses piscines municipales ne visait qu’à autoriser le port du « burkini » afin de satisfaire une revendication de nature religieuse et, pour ce faire, dérogeait, pour une catégorie d’usagers, à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps ».

Pour la gauche du Sénat qui défendait des amendements de suppression, cet article « entame le principe de libre administration des collectivités territoriales et s’inscrit, par sa portée, au-delà de la jurisprudence du Conseil d’Etat ».

Enfin, un article additionnel prévoit l’ouverture d’une enquête administrative préalable à la délivrance de la carte professionnelle d’éducateur sportif. L’objectif étant d’éviter qu’un individu fiché pour radicalisation ne se voit délivrer cette carte, renouvelable tous les cinq ans et obligatoire pour enseigner un sport. En commission, un article 4 a été ajouté. Il autorise la réalisation d’une enquête administrative avant la délivrance d’une carte professionnelle d’éducateur sportif.

Le texte doit désormais poursuivre son parcours à l’Assemblée nationale. Si le texte est adopté définitivement, Patrick Kanner a prévenu que les parlementaires de son groupe saisiront le Conseil constitutionnel.

 

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