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Le Sénat a achevé l’examen du projet de loi d’orientation agricole : un texte fleuve et de nombreuses mesures polémiques

La droite sénatoriale a largement remanié ce texte qui entend répondre aux difficultés des agriculteurs, notamment en érigeant la souveraineté alimentaire au rang « d’intérêt fondamental de la Nation » et en dépénalisant certaines atteintes à la biodiversité. Vent debout, la gauche dénonce de nombreux reculs sur le plan environnemental et la promotion d’un modèle productiviste.
Romain David

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Les sénateurs ont achevé ce mercredi 13 février l’examen du projet de loi d’orientation agricole, près de neuf mois après son adoption par l’Assemblée nationale et tout juste dix jours avant l’ouverture du Salon de l’agriculture. Ce parcours législatif inhabituellement long s’explique par les événements politiques des derniers mois : l’examen par la Chambre haute du texte a été repoussé à deux reprises, d’abord par la dissolution puis par la censure du gouvernement de Michel Barnier.

Attendu de longue date par le monde rural, le projet de loi fera encore l’objet d’un vote solennel au Sénat, programmé le mardi 18 février. Son adoption devrait se faire sans difficultés grâce au soutien de la majorité sénatoriale de droite et du centre, favorable à ce texte. Ensuite, une commission mixte paritaire sera chargée de dégager une version de compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat, faute de quoi le gouvernement pourra laisser la navette parlementaire reprendre son cours pour une seconde lecture devant les deux chambres du Parlement.

« Ce texte ne sera pas le grand soir de l’agriculture »

Initialement pensé pour répondre aux difficultés liées à la transmission des exploitations, en raison du vieillissement de la profession – une promesse de campagne d’Emmanuel Macron – ce texte de loi a été considérablement élargi sous le gouvernement de Gabriel Attal pour répondre à la grogne des agriculteurs qui a secoué la France il y a tout juste un an.

Simplification des normes, formation des exploitants, accélération des procédures de recours, réglementation sur les haies, atteintes environnementales… Le texte brasse désormais de très nombreux domaines, au point d’avoir été épinglé pour son caractère « fourre-tout » par la quasi-totalité des groupes politiques, y compris au sein des soutiens au gouvernement. En ouverture des débats, le sénateur LR Jean-Claude Anglars est même allé jusqu’à parler de « bavardage législatif ».

En conséquence, le Sénat, d’abord en commission puis dans l’hémicycle, a opéré de très nombreuses modifications. « Ce texte ne sera pas le grand soir de l’agriculture tant il traite de sujets divers et variés, mais nous pouvons espérer un sursaut », avait expliqué le rapporteur LR Laurent Duplomb. Retour sur les dispositifs clefs.

Un principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire »

Les sénateurs ont réécrit l’article programmatique qui ouvre le Code rural et de la pêche maritime (CRPM). Celui-ci indique que l’agriculture est « d’intérêt général majeur » en ce qu’elle garantit la souveraineté alimentaire du pays. Sous l’impulsion de la droite, les sénateurs ont érigé cette « souveraineté alimentaire » au rang « d’intérêt fondamental de la Nation ». Ils l’ont aussi doublée d’un principe de « non-régression ». L’objectif assumé par les élus est d’élever au même niveau dans la loi la défense de l’agriculture et la protection de l’environnement.

Mais les détracteurs de cette réécriture estiment que le flou juridique qui entoure les notions ainsi invoquées risque de générer de nombreux effets de bords. La gauche accuse notamment la droite de chercher à promouvoir derrière les termes retenus un modèle exclusivement productiviste, sans considération pour les enjeux de transition écologique.

Les objectifs chiffrés sur l’agriculture biologique effacés du code rural

Le Sénat a effacé du code rural les objectifs chiffrés sur le bio, à savoir 21 % de surfaces agricoles utiles cultivées en agriculture biologique au 1er janvier 2030. Pour les élus, avec la crise que traverse la filière du bio, cet objectif est devenu inatteignable et met inutilement la pression sur le secteur. Cette suppression devrait à coup sûr constituer l’un des principaux points d’achoppement avec l’Assemblée nationale. Au printemps dernier, les députés avaient bataillé ferme pour que ces objectifs soient inscrits dans le texte.

De manière globale, les oppositions reprochent à la droite sénatoriale d’avoir cherché à gommer dans la loi toute référence à l’agroécologie et à l’agriculture biologique. Notons que les sénateurs ont également intégré un article qui exclut les bâtiments nécessaires à l’activité agricole de l’objectif du zéro artificialisation net (ZAN), un mécanisme dont le Sénat dénonce régulièrement la complexité.

Pas d’interdiction des pesticides sans solution

La droite a obtenu de bannir les interdictions de pesticides « sans solutions économiquement viables et techniquement efficaces », une revendication de longue date de la FNSEA, le premier syndicat agricole. Dans les faits, toutefois, les autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques restent du ressort de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Cette mesure s’inscrit dans un climat de défiance grandissante à l’égard de certaines agences environnementales d’Etat, comme l’Office de la biodiversité (OFB).

>> LIRE AUSSI – Elections agricoles : comment expliquer le net recul de la FNSEA, bousculée par la Coordination rurale ?

Création d’un nouveau diplôme, « le bachelor agro »

L’un des gros volets du projet de loi d’orientation agricole concerne la formation des futurs exploitants, avec la création d’un « bachelor agro », un diplôme de niveau bac + 3 dont les rapporteurs souhaitent qu’ils mettent l’accent sur « les compétences managériales et entrepreneuriales », afin de préparer les futurs agriculteurs à évoluer dans un univers mondialisé et ultra-concurrentiel.

La volonté du gouvernement est d’augmenter de 30 % le nombre de personnes formées dans les dix prochaines années, alors qu’un agriculteur sur deux aura atteint l’âge de la retraite d’ici 2030.

Garantir la transmission des exploitations agricoles

Le texte met en place un guichet départemental unique pour favoriser les transmissions d’exploitations agricoles. Il s’agit de l’une des principales mesures de simplification de ce texte. Ce réseau, baptisé « France installations-transmissions », doit voir le jour au 1er janvier 2027. Il sera piloté par les chambres d’agriculture pour accompagner à la fois les agriculteurs qui souhaitent céder leur exploitation et ceux qui veulent s’installer. Le dispositif doit faciliter la rencontre entre ces deux publics et centraliser les mesures d’aide.

À ce titre, le Sénat a validé la création d’un nouveau dispositif de soutien à partir de 2026 : une aide à l’attention des exploitants qui souhaitent passer le relais à de jeunes agriculteurs jusqu’à cinq ans avant leur départ à la retraite, sous la forme d’une allocation financière pouvant atteindre 1 100 euros par mois. Le coût total de la mesure a été estimé à 13 millions d’euros par la commission sénatoriale des affaires économiques.

Dépénalisation de certaines atteintes à la biodiversité

Il s’agit sans doute de l’un des passages les plus polémiques du texte. Sous l’impulsion de la droite et du centre, le régime de sanctions contre les atteintes environnementales a été fortement allégé par le Sénat. Les élus ont estimé, au grand dam de la gauche, que la procédure pénale prévue pour les altérations portées, par exemple, aux habitats naturels, aux espèces protégées ou aux sites géologiques remarquables, participait à la stigmatisation du monde agricole, dans un contexte de crise et alors que les pouvoirs publics s’interrogent sur la manière de revaloriser la profession.

Si l’Assemblée nationale avait déjà procédé à des retouches du régime de peines, le Sénat est allé bien plus loin avec une véritable dépénalisation pour les infractions « non intentionnelles ». Ainsi, la peine maximale de trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, prévue actuellement par le code de l’environnement, est remplacée par une simple sanction administrative avec une amende d’un montant maximal de 450 euros.

Par ailleurs, les élus ont inséré une « présomption de non-intentionnalité » pour certaines infractions commises dans un cadre spécifique. Dans le même ordre d’idées, alors que l’arasement d’une haie est interdit sans autorisation au nom de la protection de la biodiversité, les agriculteurs ne pourront plus être taxés de « destruction » pour y avoir mené des travaux d’entretien (taille, arrachage…).

Ces nombreux détricotages de la réglementation en matière de protection de l’environnement ont déclenché l’ire de la gauche. Au cours des débats, l’écologiste Yannick Jadot a dénoncé un « négationnisme de l’effondrement de la biodiversité », ce qui a fait bondir le gouvernement et de la droite. « Ne tenez plus les propos que vous avez tenus par rapport au monde agricole qui aujourd’hui doit être félicité et remercié », a recadré le LR Pierre Cuypers.

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