Vous ne connaissez peut-être pas cette obligation à laquelle le texte s’attaque. En séance publique, les sénateurs ont rejeté ce jeudi 23 octobre la proposition de loi déposée par Xavier Iacovelli (RDPI), s’attaquant au devoir d’obligation alimentaire que l’on doit à ses parents. Ce dernier est régi par l’article 205 du Code civil : « les enfants doivent des aliments à leur père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ». Concrètement, c’est le devoir des enfants de subvenir au besoin de leurs parents quand ceux-ci sont dans le besoin, notamment si en vieillissant, ils ont besoin de résider en EHPAD.
Mais alerté, notamment par un collectif « les liens en sang », la proposition de loi visait à mettre en place une exception à ce devoir lorsque les parents ont été acteurs de violences envers leurs enfants. Xavier Iacovelli a rédigé un texte, qui a été examiné en commission des lois le mercredi 15 octobre dernier, visant à libérer les enfants qui ont été victimes de parents « défaillants » de cette obligation. Si aujourd’hui le droit permet déjà d’être libéré de cette obligation en saisissant un juge aux affaires familiales, la procédure est complexe et très peu utilisée. Seules 24 saisines de juges des affaires familiales ont été recensées en 2024 pour ce type de requête. C’est pour proposer une procédure plus simple que le texte a vu le jour, selon son auteur.
Une double peine pour les victimes
Ce que propose le sénateur, c’est que cette obligation puisse être levée par un simple acte notarié unilatéral et sans avoir à préciser de motif : entre ses 18 et ses 30 ans, la personne victime de son parent, pourrait alors se rendre simplement chez un notaire pour mettre fin à cette obligation. En contrepartie, le texte prévoyait que l’enfant libéré de cette obligation perde ses droits successoraux. Les parents qui ont besoin de cette aide auraient alors six mois pour déposer un recours. Le but est de mettre fin à une sorte de double peine pour les victimes, aujourd’hui obligées, selon Xavier Iacovelli, « d’entretenir leur bourreau ».
Pour le sénateur, cela aurait été le moyen de faire face à une justice familiale « saturée ». Ce texte était, selon lui, un moyen de protéger « les enfants devenus adultes ». « C’est la promesse que la République ne peut pas imposer à une victime d’aimer ou d’entretenir son bourreau », a-t-il précisé à la tribune du Sénat. Mais pour la rapporteure de la commission des lois, la sénatrice LR Marie Mercier, le dispositif présentait des « problèmes juridiques structurels ». Si le texte ne concernait que les parents qui sont « défaillants », elle a souhaité mettre ses collègues en garde : selon elle, en l’absence de procédure judiciaire, il est compliqué de caractériser cette défaillance.
Un dispositif critiqué juridiquement
Marie Mercier a aussi pointé d’autres termes présents dans la version initiale du texte, comme celui de « bienveillance », dont devrait faire preuve un parent pour ne pas être considéré comme défaillant. « Comment en effet établir devant un juge que l’on a été bienveillant ? Nous ouvrions là une boîte de Pandore », a affirmé la rapporteure. Pour elle, la procédure judiciaire à laquelle le dispositif voulait se substituer est la seule qui « permet de garantir le respect des principes structurants de notre droit ».
Un amendement déposé par Xavier Iacovelli visait à amender le mécanisme proposé, notamment en le raccrochant à la question de la défaillance parentale, prévue par le Code civil, pour assurer un « compromis équilibré entre l’exigence juridique et l’exigence morale », selon le sénateur. Pas suffisant pour convaincre ses collègues, la rapporteure a parlé d’une réécriture « insuffisante », l’amendement a été rejeté.
L’idée décriée « d’effet d’aubaine »
Le texte a aussi été critiqué en séance parce qu’il aurait pu engendrer un « effet d’aubaine », comme l’écrit le rapport de la commission des lois. Des sénateurs craignaient que, puisque l’obligation pouvait être levée sans qu’un juge n’ait à statuer, le dispositif aurait pu être utilisé notamment pour se dédouaner des frais d’EHPAD. Les frais auraient alors été à la charge du département, puisqu’il est chargé de la solidarité nationale.
Pour équilibrer son texte, Xavier Iacovelli avait alors déposé un amendement pour ouvrir une voie de recours aux présidents de conseils départementaux. Un amendement qui a été rejeté. Mais cette idée d’un effet d’aubaine a été critiquée par une partie des sénateurs présents dans l’hémicycle. Pour l’écologiste Mélanie Vogel, il est « indécent » de parler d’effet d’aubaine, quand le texte vise surtout les personnes qui ont été victimes de violences intrafamiliales. Une idée partagée par sa collègue Évelyne Corbière Naminzo (CRCE-K), qui a affirmé que « le seul effet d’aubaine qui existe, c’est pour les parents défaillants, maltraitants ou bourreaux. » Cette dernière, comme d’autres parlementaires, a déploré que le Sénat « n’ait toujours pas de délégation au droit des enfants ».
Aujourd’hui, si un enfant refuse de remplir son devoir d’obligation alimentaire envers son parent, il commet ce que l’on appelle un « délit d’abandon de famille » et encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.