Eric Ciotti’s meeting in Marseille, France – 24 Nov 2021

Les balcons du Sénat, Les Sages du Palais… Qui se cache derrière ces « clubs » influents du Sénat ?

[2/2] Ils portent le nom de brasseries huppées et n’ont aucune existence officielle. Le Sénat compte plusieurs clubs informels, qui sont autant de lieux d’influence et d’entraide, entre sénateurs, essentiellement LR. Leur influence est réelle. Plusieurs de ses membres occupent aujourd’hui les postes les plus importants de la Haute assemblée. Suite et fin de l’enquête de publicsenat.fr sur les dessous des clubs et autres réseaux invisibles qui animent, en toile de fond, le Sénat.
François Vignal

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Ils sont plus discrets que les groupes politiques, mais n’en ont pas moins une influence sur la vie de la Haute assemblée. Le Sénat compte plusieurs clubs, ces groupes qui rassemblent les sénateurs par affinité. Après le rôle joué par Les Editeurs et Le Hibou hier (lire notre article), notamment lors de l’élection de Mathieu Darnaud à la présidence du groupe LR, publicsenat.fr se concentre aujourd’hui sur les autres clubs que compte La Haute assemblée.

  • « Les balcons du Sénat » : né sous le covid, le club des jeunes LR qui s’entraident pour « progresser »

« Nous, on est les plus discrets ». Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice LR des Alpes-Maritimes (voir photo), est à l’origine d’un autre club, qui répond au nom des « Balcons du Sénat ». Juste une quinzaine de sénateurs, tous du groupe LR. « On existe depuis 2020, avant Le Hibou », glisse l’élue du sud, « c’est la génération 2020. Mais il n’y a pas que la promo 2020 dedans. Il y avait aussi des sénateurs déjà élus qui nous ont parrainés ».

Ces petits nouveaux auraient pu s’appeler génération covid. Explications : « J’avais créé le club car quand j’ai été élue, on était en plein confinement, avec des restrictions sanitaires. Il n’y avait pas de restaurant, pas de lieux pour échanger. Alors avec les nouveaux, on a créé un groupe sur WhatsApp, pour se retrouver. C’était un bon moyen de communiquer », raconte celle qui avait 39 ans, à son arrivée à la Haute assemblée. Un Sénat dont la vie est alors métamorphosée par la pandémie.

« On est arrivés dans un contexte inédit, on ne pouvait pas se réunir à plus de six dans un appartement. On portait le masque », continue Alexandra Borchio Fontimp. Avec ce petit groupe, « on se demandait qui avait un balcon, pour se retrouver sans trop se contaminer. On était plusieurs à en avoir un, dont moi, dans mon appartement. On appelait ça la « team balcon », puis le groupe WhatsApp s’est appelé « Les balcons du Sénat » ». Voilà pour la petite histoire.

Ils n’étaient au départ de « quatre ou cinq », puis « d’autres sont arrivés en 2023 ». Ils sont aujourd’hui « très proches ». On y retrouve Elsa Schalck, sénatrice LR du Bas-Rhin, benjamine du Sénat, à 33 ans, lors de son élection en 2020. « On est très amies », glisse la sénatrice des Alpes-Maritimes. Le club compte aussi Laurence Garnier, devenue secrétaire d’Etat démissionnaire chargée de la Consommation, dont la nomination avait fait polémique pour son opposition passée au mariage pour tous notamment. On retrouve deux habitués des clubs, avec Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, et de nouveau… Mathieu Darnaud, à la tête du groupe LR.

L’instigatrice du club assume, elle aussi, des coups de pouce, que se donnent les membres du club, notamment lors du renouvellement à la tête du groupe. « On a suivi ça de près. On se soutient tous les uns les autres. Quand je me suis présentée comme secrétaire du Sénat, j’ai eu le soutien de mes collègues. L’idée est de se soutenir comme n’importe quel groupe d’entraide pourrait le faire. C’est progresser au sein du Sénat », revendique la sénatrice LR. Mais « quand il y a eu l’élection de Mathieu Darnaud, cela a été perçu un peu comme les jeunes contre les anciens. Mais ce n’est pas ça », assure Alexandra Borchio Fontimp, tout en se revendiquant « comme un groupe de nouvelle génération. La moyenne d’âge, c’est entre 40 et 50 ans ». Un club de jeune en somme ? « Oui ».

Ce cénacle, où on parle « politique, pour échanger les points de vue, en toute liberté », s’est fait remarquer. Gérard Larcher, au courant de tout ce qu’il se passe au Palais, les a invités à sa table. « Six mois après, il avait reçu Les Balcons. Il aime bien entendre les sénateurs. Gérard Larcher est très à l’écoute. Bruno Retailleau nous avait reçus aussi. Ça permettait de prendre le pouls avec la nouvelle génération de quadra », confie la sénatrice LR. Celle qui avait soutenu Eric Ciotti dans la bataille interne aux LR, avant de le lâcher quand ce dernier a filé droit rejoindre le RN, se souvient également que « Jean Castex, alors premier ministre, avait invité Le Balcon à Matignon ». Mais en pleine campagne des primaires LR, avec des membres du club engagés derrière différents candidats, ils ont préféré décliner pour éviter tout malentendu. L’histoire dira si cette génération 2020 sera la prochaine à prendre les clefs de la maison.

  • « Les Sages du Palais », le club des « sénateurs expérimentés » qui refusent le « jeunisme agressif »

N’y voyez pas une revanche. Plutôt une réaction. « Les Sages du Palais » est le dernier club en date. Créé à la toute fin septembre par le sénateur LR Roger Karoutchi, il est la conséquence directe de l’élection de Mathieu Darnaud à la tête du groupe, et au fond, une réponse aux autres clubs, Les Editeurs, Le Hibou et autres Balcons du Sénat. L’ancien ministre de Nicolas Sarkozy devait, avec l’accord de Bruno Retailleau et de Gérard Larcher, prendre la succession, sous forme d’intérim, de celui qui a été nommé à l’Intérieur par Michel Barnier. Un candidat unique. Mais la méthode, avec une décision prise à quelques-uns, est mal passée. Quelques sénateurs se sont alors activés pour pousser Mathieu Darnaud et mener discrètement campagne pour lui. Une petite révolution de Palais où on peut voir la main des clubs.

Roger Karoutchi a alors retiré sa candidature, à la demande de Bruno Retailleau, ne cachant pas son mécontentement. Il a alors décidé de créer son propre club, « Les Sages du Palais », au goût de contre-attaque des « anciens », contre les jeunes pressés aux dents longues. En lançant son club, le SMS envoyé à une cinquantaine de ses collègues en disait long : « Ce club est formé de sénatrices et de sénateurs expérimentés, refusant le jeunisme agressif, le dégagisme exacerbé, le wokisme qui veut nous régimenter ». Rien de moins. « Ensemble, nous valoriserons les parcours, l’expérience, bref, la sagesse qui mérite d’être reconnue et partagée », ajoutait le sénateur LR des Hauts-de-Seine.

Ce club dépasse aujourd’hui largement les autres en nombre. Avec 35 membres en 24 heures, ils sont aujourd’hui 45, et devraient être près de 50 sénateurs LR à terme. De là à y voir une démonstration de force… « Des sénateurs centristes et des Indépendants m’ont demandé d’adhérer. Mais pour le moment, je ne veux pas en faire un intergroupe », explique Roger Karoutchi. « Ce n’est pas les jeunes contre les anciens, les anciens contre les modernes. Ce n’est pas le sujet. Mais on a l’affirmation tranquille, sereine », soutient aujourd’hui le sénateur LR.

Le club s’est déjà réuni deux fois et organise des rencontres. Un petit déjeuner avec Nicolas Baverez « sur les problèmes de l’économie française », ou avec l’ancien conseiller de François Fillon, Patrick Stefanini, « sur les problèmes d’immigration », avant une réunion en janvier sur les médias. Ce club, qui « dépasse les clivages classiques » et se vit plus comme « un club de sensibilité », peut-il servir de catalyseur aux ambitions ? « Au Sages du Palais, c’est trop tôt », tempère Roger Karoutchi, « ce n’est pas l’objet premier ». Il sera toujours temps de revoir l’ordre des priorités.

  • Amicale gaulliste, réseau informel des ruraux et franc-maçonnerie…

« C’est probablement un des plus anciens clubs du Sénat », avance Roger Karoutchi, si ce n’est le plus ancien. L’amicale gaulliste du Sénat, « qui existe toujours », rassemble les sénateurs de droite admirateurs du général de Gaulle. « Je suis le vice-président et Dominique de Legge, sénateur LR d’Ille-et-Vilaine, en est le président », explique le sénateur LR des Hauts-de-Seine.

Ce club, « qui existe depuis au moins 20 ans, réunit des gens qui se reconnaissent dans le gaullisme, d’une manière ou d’une autre. Il parle aussi de son héritage dans la politique d’aujourd’hui ». La dernière assemblée générale avait lieu en novembre dernier. « Gérard Larcher en est toujours membre. Il a été autrefois président de l’amicale gaulliste, avant qu’il ne soit président du Sénat », précise l’ancien ministre des Relations avec le Parlement. Parfois, ses membres partent en pèlerinage. Ils organisent des « voyages, à Colombey-les-deux-Eglises. On va revoir aussi à Londres les lieux où était le général de Gaulle. Il y a un côté nostalgique, historique », explique Roger Karoutchi. On compte pas moins d’environ 150 membres au sein de l’amicale gaulliste. Il faut dire les anciens sénateurs en sont membres, « c’est la moitié de l’amicale ».

Sur les questions de ruralité, « il se passe des trucs qui échappent à l’entendement traditionnel »

Il ne s’agit ni d’un club, ni d’une amicale. Ce réseau est plus vaporeux, presque inexistant. Mais il est bien présent, au Sénat. C’est celui autour des questions de ruralité et des « hyper ruraux ». Un groupe très informel, à géométrie variable, qui se forme et se déforme au gré des textes. Ils sont « 7 ou 8 ». On y trouve notamment le sénateur des Alpes de Haute-Provence, Jean-Yves Roux (RDSE), ou le sénateur centriste du Cantal, Bernard Delcros, devenu président de la délégation aux collectivités du Sénat. Tous ont « une dimension territoire très forte ».

« Il y a des accords qui se font entre ruraux intergroupes, comme sur la question des ZRR, les zones de revitalisation rurale. Il y a eu un lobbying des ruraux Salle des conférences, jour et nuit, après des maires, d’Elisabeth Borne et d’Emmanuel Macron », raconte un témoin. « Il y a eu une organisation. Ils se répartissaient la charge pour savoir qui appelle qui. Ils avaient un but commun ». Autre victoire de ces sénateurs ruraux, la question « eau et assainissement ». Elle ne dit rien au grand public. Mais elle obsède les sénateurs et élus locaux depuis des années. « Ça fait 10 ans qu’il y a un lobbying. Ils ont enfin obtenu gain de cause », constate l’entourage d’un sénateur.

Des mobilisations épisodiques constatées aussi « sur la présence de La Poste » dans les territoires ruraux. Autre sujet transparisan plus inattendu : « Celui des gîtes ruraux, pour qu’ils ne soient pas concernés par la réglementation Airbnb. Ça se mobilise très vite, c’est impressionnant ». On pourrait citer aussi les communes thermales ou les communes forestières, sans oublier les élus de montagne. Une observatrice s’en amuse : « Dans les travées du Sénat, il se passe des trucs qui échappent à l’entendement traditionnel ».

« Le côté solidaire est probablement beaucoup plus fort dans les loges franc-maçonnes que dans les clubs »

Certes, il ne s’agit pas d’un club proprement dit. Mais la franc-maçonnerie est un cercle à part, souvent source de fantasmes quant à son influence, plus ou moins réelle. Par définition secrets, les réseaux francs-maçons mériteraient un article en eux-mêmes. Mais difficile de ne pas les citer. « Le côté solidaire est probablement beaucoup plus fort dans les loges que dans les clubs. Même si bien sûr, à chaque renouvellement sénatorial, tout le monde se dit qu’un tel ou un tel est soutenu par la Fraternelle. Et ça se sait, on est un peu dans une bulle », explique Roger Karoutchi, qui en parle d’autant plus librement, que lui-même n’en est « pas membre », assure-t-il.

Le sénateur LR parle de la Fraternité parlementaire, la loge maçonnique qui rassemble députés et sénateurs. Seul le nom de son président est public. De 2018 à 2023, elle a été présidée par Christophe-André Frassa, sénateur LR des Français établis hors de France. Il a depuis passé la main à Pierre Henriet, député de la Vendée, ancien Renaissance qui a rejoint Horizons.

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