Gabriel Attal n’est plus Premier ministre depuis un moment déjà, mais le député, président du groupe Ensemble pour la République n’a pas lâché l’un de ses thèmes de prédilection lorsqu’il occupait Matignon. Sa proposition de loi visant à « restaurer l’autorité » de la justice à l’égard des « mineurs délinquants » et de « leurs parents » a été adoptée jeudi à l’Assemblée nationale avec le soutien du RN et de LR.
Les dispositions de ce texte avaient été présentées par Gabriel Attal l’année dernière lorsqu’il était chef du gouvernement. « Ce texte était attendu depuis les émeutes 2023, j’avais été nommée la rapporteure au Sénat, Mais la dissolution avait stoppé son examen. Gabriel Attal a su reprendre la balle au bond », observe Agnès Canayer, ancienne ministre et sénatrice (rattachée au groupe LR).
Le texte prévoit de ne plus appliquer d’atténuation des peines, sauf décision motivée du juge, pour des mineurs âgés de 16 ans et plus, auteurs de faits graves, et multirécidivistes. Actuellement c’est le système inverse, l’excuse de minorité peut ne pas être appliquée aux mineurs de 16 à 18 ans, sur décision motivée du juge. L’excuse de minorité divise par deux les peines prévues par le code pénal, tant les amendes que les peines de prison.
La proposition de loi crée, aussi, une procédure de comparution immédiate pour les mineurs de 16 ans pour des faits graves. Rappelons que le nouveau code de la justice pénale des mineurs, adopté en 2021 qui a remplacé l’ordonnance du 2 février 1945 sur « l’enfance délinquante », a instauré une césure de la procédure pénale en deux temps. Un premier jugement sur la culpabilité du jeune qui doit intervenir dans un délai maximum de trois mois, suivi d’une seconde audience sur le prononcé de la sanction dans un délai d’un an. Entre les deux, le mineur peut être soumis à une mesure éducative judiciaire provisoire, un accompagnement socio-éducatif par un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi de mesures de sûreté, comme le contrôle judiciaire, l’assignation à résidence, voire la détention provisoire.
« Ce gouvernement est en train de créer des délinquants en masse »
Dans un communiqué, le Syndicat de la Magistrature rappelle qu’il est « déjà possible » d’incarcérer un mineur suspecté de crime dès l’âge de 13 ans. La dernière réforme du code de la, justice des mineurs a, effectivement, créé la procédure dite de « l’audience unique » pour juger vite et qu’il est aussi possible d’incarcérer un jeune à l’issue d’une garde à vue dans l’attente de son jugement.
« Ce gouvernement est en train de créer des délinquants en masse. Depuis 2007, ce sont toujours les mêmes textes répressifs qui arrivent devant le Parlement. Ce sont des effets d’annonces qui ne prennent pas en compte le fait que la prison pour un mineur, c’est quand même l’école du crime. On oublie que les mesures prises à l’encontre d’un mineur sont avant tout éducatives. Or, le gouvernement Attal a supprimé l’année dernière plus 500 postes à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) », s’agace Dominique Attias, avocate, spécialiste du droit des mineurs.
Même constat de la part du sénateur communiste, Fabien Gay dans l’émission Parlement Hebdo sur les chaînes parlementaires. « Vous avez de belles ambitions mais tous les acteurs de terrain voient bien que les moyens diminuent », a-t-il pointé à l’adresse de la députée Renaissance Éléonore Caroit.
« C’est un sujet central », reconnaît Agnès Canayer. « Je ne suis pas opposée par principe aux suppressions de postes, mais elles devraient être ciblées vers des postes d’encadrement pas des éducateurs ».
Des moyens plutôt que des mesures
Mercredi, plus d’une dizaine de syndicats et organisations d’avocats, de magistrats, et d’agents de la protection judiciaire de la jeunesse, avaient organisé des rassemblements pour s’ériger contre une « instrumentalisation de la justice pénale des mineurs à des fins sécuritaires ». Ils demandent davantage de « moyens » pour mettre en œuvre plus efficacement les mesures déjà existantes.
Un autre ajout de la proposition de loi vise à responsabiliser les parents. Le juge des enfants pourra donner une amende civile aux parents qui ne répondraient pas aux convocations aux audiences et auditions. « En choisissant la voie d’une amende civile, le texte contourne l’obstacle de l’inconstitutionnalité d’une mesure qui irait contre le principe selon lequel les parents ne peuvent être pénalement responsables de leurs enfants », note Agnès Canayer.
La loi à peine adoptée à l’Assemblée par 125 voix contre 58, le garde des Sceaux, décidément très prolixe en ce moment sur le thème de l’autorité, a annoncé vouloir durcir le texte par voie d’amendements lors de son passage au Sénat à partir du 25 mars. Dans les colonnes du Parisien, Gérald Darmanin annonce « cinq propositions fortes » : une mesure judiciaire de couvre-feu pour les mineurs délinquants », un renforcement d e l’utilisation du bracelet électronique pour les 16-18 ans, la création d’une injonction d’assistance éducative pour les parents, et passer de deux assesseurs actuellement à quatre actuellement dans les tribunaux pour enfants, en choisissant des personnes tirées au sort pour former un « jury populaire ». La présidente LR de la commission des lois du Sénat, Muriel Jourda indique être « dans le même état d’esprit », et dans l’attente de la nomination d’un rapporteur sur ce texte, la sénatrice promet « d’approfondir » les annonces du ministre. « Nous faisons le même constat. Le système n’est plus adapté aux délinquants de plus en plus jeunes. Il y a donc une interrogation sur l’efficacité de la sanction ».
Des annonces qui laissent aussi sceptique Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM) qui précise émettre des critiques « d’ordre technique et non politique ». « Cette réforme de la justice des mineurs n’a pas été demandée par les intervenants en la matière mais répond à une demande d’une certaine partie de la population que veut être rassurée. Faute de moyens, les mesures éducatives sont exécutées entre 8 et 18 mois, donc le juge des enfants ne peut pas s’appuyer dessus lors de la deuxième audience sur le prononcé de la sanction. C’est comme si on vous prescrivait un médicament et que votre pharmacien vous disait de revenir dans 18 mois ».
Chaque année, 30 000 mesures éducatives sont décidées en matière pénale par le juge Or, un récent rapport du Sénat constatait la difficulté de mettre en œuvre certaines mesures faute de moyens dédiés et d’éducateurs spécialisés. « Ceci conduit parfois à un sentiment d’impunité ou de faiblesse de la réponse pénale » relevait la mission (lire notre article).
« Les Français ont besoin de reprendre confiance dans la justice »
Ludovic Friat doute également fortement de la faisabilité de passer de deux à quatre assesseurs dans les tribunaux pour enfants, pour former un « jury populaire ». « Les assesseurs sont de personnes nommées pour assister le magistrat dans sa décision. Ce sont généralement des gens qui s’intéressent au droit des mineurs, des professeurs à la retraite, responsables éducatifs… A Bobigny, par exemple, le tribunal pour enfant se réunit deux fois par jour. Comment va-t-on pouvoir mobiliser des deux assesseurs tirés au sort pour les audiences ? On a déjà beaucoup de mal à trouver des jurés pour les procès d’assises. Ce sera très lourd et ça va coûter très cher », prévient-il. « Techniquement, ça ne me semble pas réalisable », estime aussi Muriel Jourda.
Agnès Canayer reste « persuadée que le texte de Gabriel Attal est bon. On doit aller plus loin dans le répressif car les Français ont besoin de reprendre confiance dans la justice. Tout ce travail ne peut pas se faire sans la prévention, c’est le sens des mesures sur la parentalité ».