En pleine lecture du projet de loi d’orientation agricole, le Sénat a supprimé du Code rural les objectifs chiffrés de développement des surfaces cultivées en agriculture biologique. 24 heures après l’ouverture des débats, les élus étaient toujours plongés mercredi soir dans l’examen du très volumineux article 1er, qui fixe les orientations de la politique agricole française, déclinées en une longue liste d’objectifs à poursuivre en matière de politiques publiques pour garantir la souveraineté alimentaire du pays. Parmi eux : le développement et la promotion de l’agriculture biologique
En commission, la majorité sénatoriale de droite et du centre a fait sauter du texte l’objectif de 21 % de surfaces agricoles utiles cultivées en agriculture biologique au 1er janvier 2030. Une dizaine d’amendements, déposés par le gouvernement et la gauche pour réintroduire ce seuil dans la loi ont tous été rejetés au cours des débats.
Pour rappel, cet objectif chiffré avait déjà été malmené lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée national en mai dernier. Il avait d’abord été supprimé par un amendement de réécriture de la commission des affaires économiques, passé plutôt inaperçu au milieu d’une avalanche de sous-amendements. De fait, dans la version actuellement en vigueur du code rural, datant de 2021, l’objectif de terres cultivées en bio est à 15 % au 31 décembre 2022, un chiffre qui n’a jamais été atteint puisque le taux actuel se situe plutôt autour des 10 %. Finalement, sous la pression des députés de gauche, le gouvernement a réintroduit dans le texte un objectif de 21 % au 1er janvier 2030, correspondant au chiffre qui figure dans le programme national pour l’agriculture biologique.
« Ne venez pas nous faire croire que vous avez supprimé cet objectif car vous craigniez qu’il ralentisse le développement du bio ! »
« Les objectifs auront sans doute besoin d’être réadaptés à la réalité du marché, c’est un débat qu’il ne me semble pas judicieux de rouvrir à ce stade. L’Assemblée nationale y tenait beaucoup […] il me paraît essentiel de restaurer dans ce texte ce à quoi la moitié de notre Parlement français tient d’une part, et d’autre part de donner des signaux à l’agriculture biologique avec des perspectives de développement », a défendu Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture.
« Le texte issu de la commission ne comporte plus aucun objectif chiffré en agriculture biologique, et on pense qu’il ne s’agit pas là que d’un oubli… Ne venez pas nous faire croire que vous avez supprimé cet objectif chiffré car vous craigniez qu’il vienne ralentir le développement du bio en France ! », s’est agacé le sénateur socialiste Christian Redon-Sarrazy. « Nous avons bien conscience que les rapporteurs du Sénat ne sont pas très enthousiastes quand il est question de transition agroécologique ou de soutien à l’agriculture biologique », a épinglé son collègue Lucien Stanzione.
« L’ambition de ce projet de loi est de répondre au défi du renouvellement des générations et en ce sens l’agriculture biologique est centrale car elle est plébiscitée par les jeunes qui souhaitent s’installer en agriculture. 30 à 50 % des futurs agriculteurs veulent le faire en bio. Pourquoi ? Parce qu’il y a une recherche de sens et de qualité au travail », a tenté de plaider l’écologiste Daniel Salmon.
« Un dogme politique »
De son côté, le rapporteur LR Laurent Duplomb a invoqué la crise du secteur de l’agriculture biologique pour justifier la suppression des objectifs chiffrés, estimant que ceux-ci risquent de renforcer le déséquilibre entre l’offre et la demande. « Est-ce qu’aujourd’hui, objectivement, avec 8 % de la surface agricole en bio et le marasme de la consommation, indiquer 21 % de surface, sans adéquation avec la consommation, ce n’est pas prendre les producteurs pour des imbéciles ? », a tonné l’élu de la Haute-Loire. « Vouloir imposer une surface, un dogme politique, pour pousser les Français qui n’ont pas forcément les moyens à acheter du bio, parce que l’on veut faire baisser les prix, c’est obligatoirement envoyer les agriculteurs dans le mur », a-t-il encore dénoncé.
« Est-ce que le marché, si on le laisse faire, est apte à répondre aux défis de demain, est-ce qu’à lui seul il va nous orienter vers la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité ? Je n’en suis pas très sûr et je pense que le fait politique, c’est de fixer un cap, des orientations, sinon je me demande à quoi nous servirions… », lui a répondu Daniel Salmon.