C’est historique. La pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb, qui permet notamment la réintroduction d’un néonicotinoïde, a dépassé le million de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. Au-delà de 500 000 signataires le règlement ouvre la possibilité à l’organisation d’un débat dans l’hémicycle. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est exprimée en faveur de l’organisation de ce débat. Adoptée définitivement le 8 juillet 2025, la proposition de loi du sénateur de la Haute-Loire, Laurent Duplomb, a depuis fait l’objet d’une mobilisation massive. Néanmoins, malgré l’engouement, aucune pétition n’a été déposée sur le site du Sénat alors même que la procédure prévue par le règlement de la chambre haute se révèle plus souple que celui de l’Assemblée nationale.
Une procédure plus souple
En effet, au Sénat le seuil nécessaire pour transmettre une pétition à la Conférence des présidents est fixé à 100 000 signatures sur la plateforme e-petitions, le tout dans un délai de six mois. Selon l’article 88 du règlement du Sénat, les pétitions qui dépassent les 100 000 signatures en moins de six mois sont transmises à la Conférence des présidents, l’instance chargée de fixer l’ordre du jour de la Haute Assemblée, et qui réunit autour de Gérard Larcher les vice-présidents du Sénat, les présidents de groupes et les présidents de commissions. « La modalité est plus pédagogique pour le Sénat. La chambre haute a une tradition de contrôle plus développée, notamment car elle est plus indépendante du gouvernement et que le Sénat a toujours souffert d’un déficit de légitimité qu’il cherche à combler en s’efforçant de procéder à un contrôle de qualité », avance Thibaud Mulier, maître de conférences en Droit public à l’Université de Nanterre.
Sous réserve de la recevabilité de la pétition (celle-ci doit être rédigée en français et avoir un lien avec les attributions du Sénat) la conférence des présidents décide des suites à donner à la requête. Les règles de recevabilité sont fixées par le Bureau du Sénat qui regroupe le président, les vice-présidents, les questeurs et les secrétaires de la chambre haute.
Contrairement à l’Assemblée nationale où la pétition ne peut qu’ouvrir le droit à un débat, les issues sont plus nombreuses au Sénat. Ainsi, les élus du Palais du Luxembourg peuvent décider d’organiser un débat, de mettre en place une commission d’enquête ou une mission de contrôle (mission d’information et mission « flash ») ou de déposer directement une proposition de loi. Néanmoins, rien n’oblige la Conférence des présidents à donner suite. « L’avantage du dispositif du Sénat c’est qu’il permet d’engager des évolutions législatives, cela peut ouvrir la voie à un débat, une proposition de résolution ou une proposition de loi », souligne Thibaud Mulier.
Un rôle central pour la Conférence des présidents
Les modalités d’exercice du droit de pétition au Sénat ont évolué en janvier 2020 avant d’être entérinées par une importante réforme du règlement du Sénat, le 1er juillet 2021. Cette réforme consacre le rôle central de la Conférence des présidents dans les suites à donner aux pétitions et lui permet même de se saisir de requêtes qui n’auraient pas atteint le seuil des 100 000 signatures.
Pour rappel, comme le prévoit l’article 29 du règlement du Sénat, il est attribué à chaque président de groupe un nombre de voix égal au nombre des membres de son groupe, déduction faite de ceux qui sont membres de la Conférence des présidents, présents ou représentés. Malgré ce filtre, toutes les pétitions ayant dépassé le seuil des 100 000 signatures ont donné lieu par la suite à des actions parlementaires.
Une pétition à l’origine de la déconjugalisation de l’Allocation aux adultes handicapés
Depuis 2020, cinq pétitions ont réussi à atteindre ou dépasser les 100 000 signatures. L’une d’entre elles, portant sur la déconjugalisation de l’Allocation aux adultes handicapés et déposée le 10 septembre 2020, a notamment permis l’inscription d’une proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat. Ainsi, la conférence des présidents décide, le 10 février 2021, d’inscrire une proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale à l’ordre du jour de la chambre Haute. Le texte avait été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture un an auparavant. La proposition de loi est alors amendée par le sénateur Philippe Mouiller (LR) pour y intégrer un article prévoyant la déconjugalisation de l’Allocation aux adultes handicapés. Malgré le soutien du Sénat, la mesure sera rejetée par l’Assemblée nationale avant d’être finalement adoptée en juillet 2022.
Chasse, pêche et pétitions
Les autres pétitions ayant dépassé le seuil des 100 000 signatures n’ont pas donné lieu à des évolutions législatives, mais ont néanmoins débouché à l’organisation de missions d’information ou de missions flash. La plus récente, déposée le 21 février 2025, demandait la suppression de la baisse de la franchise en base de TVA à 25 000 euros a fait l’objet d’une mission flash et d’un court rapport présenté le 9 avril 2025.
Si ce contrôle s’est déroulé dans un relatif anonymat, le Sénat a été saisi de plusieurs pétitions successives concernant la chasse, un débat explosif. Ainsi, le collectif « Un jour un chasseur » avait déposé, en novembre 2021 une pétition afin d’interdire la chasse durant certains jours de la semaine. La requête faisait suite au décès d’un automobiliste tué par la balle d’un chasseur et avait donc permis le lancement d’une mission d’information commune entre la commission des Affaires économiques et la commission des Lois. Trente propositions avaient alors été formulées par la mission de contrôle sans que la piste d’une journée d’interdiction hebdomadaire ne soit retenue.
Une mission d’information qui a mis le feu aux poudres. Dans le cadre de ses auditions, la mission d’information avait auditionné le médiatique président de la fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, qui avait alors décidé de contre-attaquer et de déposer une pétition pour mettre fin à la réduction fiscale dont bénéficient les associations à l’origine « d’actions d’entrave, de violence, d’intrusion et de dégradation au nom de la cause animale ». Le texte avait lui aussi dépassé les 100 000 signatures et fait l’objet d’une mission d’information. Quelque mois après, le 21 septembre 2022, une autre pétition atteignait le seuil requis. Cette fois-ci la requête demandait l’interdiction du déterrage des blaireaux. Une demande qui n’avait finalement pas été reprise par les recommandations formulées par la mission d’information amorçant une baisse d’intérêt pour les pétitions.