Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Loi immigration : Elisabeth Borne a écrit à Gérard Larcher pour s’engager sur un texte sur l’AME, le « compromis » en bonne voie
Par François Vignal
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Dernière ligne droite. Après une petite semaine de tractations, en vue de la commission mixte paritaire (CMP), la majorité présidentielle et la droite ont rapproché, petit à petit, les positions. Si l’accord n’était pas encore complètement scellé, en milieu d’après-midi, les choses avancent bien. « Work in progress… » résume l’un des membres de la CMP, qui a lieu à 17 heures, à l’Assemblée nationale.
Ce conclave propre à la procédure parlementaire, qui pourrait durer une bonne partie de la soirée, vise à tenter de trouver un texte commun, à huis clos, quand députés et sénateurs votent des versions différentes d’un projet de loi. Mais en réalité, comme pour chaque CMP, beaucoup se joue dans les réunions préparatoires, qui ont lieu en amont. En général, elles se font entre les rapporteurs, et aussi le ministre. Cette fois, c’est au plus au niveau que les discussions se sont organisées, à l’occasion de plusieurs réunions à Matignon, entre Elisabeth Borne et les responsables LR, le président du parti Eric Ciotti, et les deux présidents de groupes, Bruno Retailleau et Olivier Marleix. Le président du groupe Union centriste, le sénateur UDI Hervé Marseille, qui a joué un rôle clef dans la recherche du compromis au Sénat, a aussi été reçu.
Texte à venir sur l’aide médicale d’Etat, une demande des LR
S’il faut encore attendre l’issue de la CMP, un point sensible se dénoue. Le Président LR du Sénat, Gérard Larcher, a reçu l’engagement écrit par Elisabeth Borne d’un prochain projet de loi sur l’aide médicale d’Etat (AME), a appris publicsenat.fr de sources parlementaires. C’est l’une des demandes des LR pour accepter un « deal » en CMP.
Suite au rapport de Patrick Stefanini et de Claude Evin, commandé par le gouvernement, la première ministre explique dans cette lettre avoir « demandé aux ministres concernés de préparer les évolutions règlementaires ou législatives qui permettront d’engager une réforme de l’AME. Comme vous l’avez souhaité, les parlementaires seront pleinement associés à ces travaux. Les évolutions nécessaires devront être engagées en début d’année 2024 », affirme Elisabeth Borne dans ce courrier, dont nous avons eu copie. Elle rappelle au passage que le « rapport confirme que l’AME est un dispositif sanitaire utile, globalement maîtrisé et qu’il ne constitue pas en tant que tel un facteur d’incitation à l’immigration irrégulière ».
Ressource téléchargeable
Lettre d'Elisabeth Borne à Gérard Larcher sur l'aide médicale d'Etat.Télécharger
Lors de l’examen du texte au Sénat, la majorité sénatoriale avait supprimé l’AME, transformée en aide médicale d’urgence. Le sujet étant un cavalier législatif, il serait par conséquent censuré par le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi la suppression de l’AME, ligne rouge pour la majorité présidentielle, serait sortie du texte final, avec donc un débat renvoyé à l’année prochaine.
« Les discussions se passent bien même si tout n’est pas réglé »
Si l’idée du compromis faisait son chemin dans l’après-midi, il restait encore des points à régler dans les dernières heures. « Encore des problèmes », souligne un poids lourd des LR. Un autre parlementaire, présent à la CMP, a une lecture plus optimiste : « Nous avons une obligation de résultat. Les discussions se passent bien même si tout n’est pas réglé ». Un troisième acteur se montre confiant, une heure avant le coup d’envoi. « Il y a de bonnes chances qu’on ait un compromis » et donc un accord, dit-il, mais prudent, il ajoute : « Mais il faut voir comment se passe la CMP ».
Dans ce genre de « négo », chaque détail compte. « Ça discute de partout. Il faut voir comment on coupe les cheveux en quatre », témoigne l’entourage de l’un des membres de la CMP. Des points, qui peuvent être plus secondaires dans la négociation, restaient en discussion : la question des titres étranger-malade, sur l’article 13, qui porte sur le contrat d’engagement au respect des principes de la République et sur les centres de rétention administrative (CRA).
Sur ce dernier point, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a lui aussi pris sa plume avant la CMP pour écrire à Eric Ciotti et lui annoncer l’accélération des délais de réalisation de nouvelles places de CRA.
Sur les régularisations, un accord se dessine
Point essentiel, l’article 4 bis, qui porte sur les régularisations de travailleurs sans papier à la discrétion du préfet, au cas par cas (selon le compromis sorti du Sénat), un point d’accord se dessine. « Nous allons y arriver », pense une source proche des négociations. Le texte final pourrait être très proche de celui du Sénat, qui a exclu tout droit opposable.
Sur les aides sociales non contributives (APL, allocations familiales), elles seraient conditionnées à cinq ans de résidence pour les étrangers. Un point de discussion existait sur ceux qui travaillent, mais un accord semble se faire sur deux ans et demi. Le périmètre était aussi un point de débat.
Vers le texte du Sénat « à 90 % » ?
Dans cette dernière ligne droite de concertations, Emmanuel Macron recevait sa première ministre Élisabeth Borne à déjeuner. Du côté de la Haute assemblée, les membres de la majorité sénatoriale se sont réunis autour de Gérard Larcher en milieu d’après-midi, pour faire le point avant la CMP.
Si la fumée blanche sort de la CMP, ce ne sera pas tout à fait la fin de l’histoire. Car si l’adoption des conclusions de la CMP, prévue demain en cas d’accord, sera une formalité au Sénat, où LR détient la majorité avec les centristes, ce sera plus incertain au Palais Bourbon. « On sort avec un texte assez costaud, qui sera le texte du Sénat peut-être à 90 % », anticipe-t-on côté LR, ce qui « pose la question du vote à l’Assemblée… » Si le texte met un trop coup de barre à droite, le vote de l’aile gauche de Renaissance, et peut-être de députés Modem, risque d’être incertain. Sans parler, côté LR, d’Aurélien Pradié et ses amis…
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