Paris : Vote on the 2026 budget bill at the Senate
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Loi spéciale : la tension monte entre le gouvernement et les sénateurs qui demandent un recours au 49.3

Devant les sénateurs, le ministre de l’Economie et la ministre des Comptes publics ont répondu aux questions sur les conséquences de l’adoption d’une loi spéciale. La majorité sénatoriale a rejeté la méthode du gouvernement, fustigeant une mise à l’écart du Sénat et demandant le recours au 49.3 afin de contenir le déficit public et de s’affranchir des exigences formulées à l’Assemblée nationale.
Henri Clavier

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À l’approche des fêtes de fin d’année, les tensions entre le gouvernement et la majorité sénatoriale ne se sont pas résorbées. Au contraire. À l’occasion de l’audition de Roland Lescure, ministre de l’Economie, et d’Amélie de Montchalin, ministre chargée de l’Action et des Comptes publics en vue de l’examen de la loi spéciale, le ton est monté entre les ministres et les sénateurs. Alors que la majorité sénatoriale estime ne pas être suffisamment prise en compte, l’exécutif fait valoir les contraintes politiques découlant de la composition de l’Assemblée nationale.

Une situation qui tranche avec celle de la fin de l’année 2024 et du début d’année 2025 où le gouvernement reflétait largement les aspirations de la majorité sénatoriale. Ainsi, après des précisions sur le périmètre et le fonctionnement de la loi spéciale, les questions des sénateurs ont rapidement porté sur la reprise des débats sur le projet de loi de finances en janvier 2026.

Décalage horaire entre les deux chambres

Parmi les critiques les plus vives, les sénateurs de la droite et du centre déplorent les concessions faites au Parti socialiste ayant permis l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui suspend l’application de la réforme des retraites de 2023  et qui n’a pas eu recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Lors de la nouvelle lecture, le Sénat avait d’ailleurs directement rejeté le PLFSS le renvoyant ainsi à l’Assemblée nationale qui s’est prononcée définitivement. L’adoption du budget de la sécurité sociale avait alors directement dégradé le déficit du projet de loi de finances voté par le Sénat à cause du transfert de recettes votés par l’Assemblée nationale pour limiter le déficit des administrations de Sécurité sociale (voir notre article).

Sous les huées de la majorité sénatoriale, le ministre de l’Economie avait alors informé le Sénat que le budget voté par les sénateurs entraînait un déficit public à hauteur de 5,3 % du PIB, loin des 5 % recherchés. Dans la foulée, Roland Lescure enjoignait les sénateurs à faire preuve de « responsabilité ». Une tension qui a fait dérailler les espoirs de compromis au sein de la commission mixte paritaire qui n’aura finalement duré que quelques dizaines de minutes. Ce mardi, dans l’hémicycle du palais Bourbon, Sébastien Lecornu a regretté un « léger décalage horaire entre l’AN et le Sénat, un léger jetlag au Sénat », nuisant à l’élaboration d’un compromis.

« Une petite question de méthode »

Ce matin, le sénateur Olivier Paccaud (LR) a interpellé les ministres sur « une petite question de méthode ». Ce dernier a fustigé la méthode du Premier ministre consistant à trouver une majorité stable à l’Assemblée nationale plutôt qu’à recourir au 49.3. Une méthode utilisée pour faire adopter le PLFSS. « Vous avez dit que c’était un instrument honni par les parlementaires, pas par tous », déclare Olivier Paccaud en s’adressant à Amélie de Montchalin à propos du 49.3. Une déclaration qui fait écho à celles du sénateur et président de LR, Bruno Retailleau qui, samedi 20 décembre dans Ouest-France, dénonçait « une forme d’affrontement avec le Sénat » et demandait au gouvernement de s’affranchir des demandes des socialistes pour recourir au 49.3.

Une méthode, pour l’instant, rejetée par Amélie de Montchalin, véritable visage de la stratégie de compromis du Premier ministre. « Le sujet, ce n’est pas le 49.3, le sujet c’est sur quel texte. Quand Michel Barnier met un PLFSS qui n’est pas un PLFSS de compromis au 49-3 à l’Assemblée, à la fin vous n’avez ni PLFSS ni gouvernement. Vous n’avez donc rien résolu », rappelle la ministre chargée de l’Action et des Comptes publics. « Le PLFSS voté contient plus d’économies que les trois derniers PLFSS pourtant adoptés au 49.3 », précise également Amélie de Montchalin souhaitant démontrer qu’il est possible de réduire le déficit public via un texte de compromis. « Le 49.3, il y a un an, il était honni de tous […] Et là, d’un seul coup, tout le monde nous le demande comme si c’était la formule magique », s’est également étonné Roland Lescure.

Une tension palpable

Au cours des échanges, et alors que la ministre chargée des Comptes publics évoquait le projet de loi de finances voté par le Sénat et notamment la réduction de l’effort budgétaire demandé aux collectivités territoriales, le rapporteur général du budget pour la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson (LR) a pris à partie la ministre déclarant, micro coupé, « je vais l’éclater ». Des propos qui ont suscité l’indignation d’Amélie de Montchalin appelant le rapporteur général à ne pas prononcer des mots « désobligeants ». « Je veux bien rester courtois et, en général, je le suis. Mais au bout d’un moment, quand on entend, de manière régulière, des mises en cause sur des éléments objectifs et tangibles il y a un moment ou moi aussi la moutarde me monte au nez », fulmine le rapporteur général. D’autres membres de la majorité sénatoriale ont également exprimé leur mécontentement.

« Ce qui est inacceptable, c’est de nous imputer les votes de l’autre assemblée », s’est indigné Vincent Capo-Canellas (Union centriste) en référence aux conséquences de l’adoption du PLFSS sur le déficit public du PLF voté par les sénateurs. Ironiquement, la gauche s’est presque transformée en arbitre du match opposant le gouvernement à la majorité sénatoriale. S’il reconnaît une « méthode erratique », le sénateur Thomas Dossus (écologiste) estime que ses « collègues de droite se dédouanent assez facilement de la situation » et dénonce une « sorte de dogmatisme de la majorité sénatoriale qui a privé le budget d’un certain nombre de recettes ».

Un maintien de la loi spéciale coûteux pour les finances publiques 

Enfin, les ministres ont largement évoqué les conséquences du recours à une loi spéciale en attendant l’adoption du budget de l’Etat. S’inquiétant d’une « accoutumance à la loi spéciale », Roland Lescure a détaillé l’impact de la loi spéciale sur le solde budgétaire. « La loi spéciale permet au fond de limiter le bon gras, mais elle laisse prospérer le mauvais gras et le risque de dégradation du déficit », résume le ministre de l’Economie. « Sont suspendues toutes les dépenses qui ne sont pas prévues par un règlement ou une loi. », abonde Amélie de Montchalin expliquant que la plupart des dépenses discrétionnaires et d’investissement seraient suspendues. 

Par conséquent, si la loi spéciale pourrait comprimer la dépense publique à hauteur de 50 milliards d’euros si elle durait toute l’année, les conséquences sur l’investissement et la croissance ainsi que l’absence de nouvelles recettes reviendraient à creuser le déficit public. « On entre dans l’année 2026 avec un déficit de 5,4 % et on se retrouverait sans doute, dans un cadre très théorique d’une loi spéciale qui durerait toute l’année avec un déficit entre 5,5 % et 6 % », avance Roland Lescure. « Si chacun des groupes a raison tout seul, à la fin nous n’avons rien », conclut Amélie de Montchalin pour appeler les sénateurs à infléchir leurs positions, sans quoi l’Assemblée nationale risque d’avoir le dernier mot sur le PLF comme ce fut le cas pour le PLFSS.

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