Marchés publics : un rapport sénatorial dénonce un « recours massif » de l’Etat aux GAFAM

Le rapport de la commission d’enquête sur la commande publique met en lumière un déficit de pilotage de l’Etat en la matière. Les sénateurs appellent à utiliser ce « levier » de souveraineté en déclinant des mesures de l’échelon des collectivités à l’échelon européen. Ce travail pourrait donner lieu à deux propositions de loi à la rentrée.
Louis Mollier-Sabet

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« Il n’y a pas de pilote dans l’avion de la commande publique. » Après le travail de la commission d’enquête sur la commande publique, le diagnostic du rapporteur Les Indépendants Dany Wattebled et du président socialiste Simon Uzenat est sans appel. Citant la direction des achats de l’Etat (DAE), la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy ou encore le Commissariat général au développement durable (CGDD), Dany Wattebled identifie une « concurrence sans chef de file » qui entraîne une « dilution des responsabilités. » Le rapport sénatorial préconise de confier la responsabilité du pilotage de la commande publique au Premier ministre, qui devra assurer « sa cohérence et son efficience », ainsi que l’organisation d’un débat annuel au Parlement consacré à la politique d’achat de l’Etat.

Le modèle américain

Au-delà de la question de la gouvernance, la commission d’enquête a mis en évidence un véritable déficit dans la capacité de l’Etat à mobiliser la commande publique comme levier explique Simon Uzenat : « Dans le contexte de la guerre commerciale menée par Donald Trump, mais déjà avec la crise en Ukraine ou le Covid, la commande publique apparaît comme un levier de souveraineté, mais aussi pour les transitions écologiques et numériques. »

À cet égard, les Etats-Unis apparaissent comme un modèle d’irrigation du secteur privé par la commande publique. « Amazon Web Services (AWS) ou Musk et Tesla n’ont pas toujours été des géants. Ils ont grandi grâce à la commande publique », rappelle Dany Wattebled. Les sénateurs plaident ainsi pour une préférence européenne dans la commande publique – qui représente 2 000 milliards au niveau européen, dont 400 milliards en France – et pour un Small Business Act européen sur le modèle américain qui garantirait 30 % des marchés publics aux TPE et PME.

L’échec du choix de Microsoft par la police nationale

Les sénateurs attirent l’attention sur l’asymétrie qui existe entre l’Europe et les Etats-Unis sur cette question. « Pourquoi l’Etat recourt massivement aux GAFAM pour attribuer ses marchés publics ? » interroge le rapporteur de la commission d’enquête, en comparant les chemins pris par la police nationale et la gendarmerie sur la question. La police nationale a en effet fait le choix de Microsoft, qui proposait un prix d’appel inférieur à Linux.

Résultat, avec le passage à Windows 11, la police nationale doit remplacer l’ensemble de son parc informatique, même les appareils fonctionnant parfaitement, avec des coûts supplémentaires importants qui rendent le choix de Microsoft finalement plus coûteux que celui qu’a fait la gendarmerie en optant pour Linux. « Les firmes américaines démarrent leurs offres plus bas, mais elles génèrent des surcoûts une fois que vous êtes captifs de leurs offres. En outre, niveau sécurité, tout le monde nous dit que la communauté de développeurs autour de Linux est bien plus performante », analyse Dany Wattebled.

Le Health Data Hub-gate

Au-delà du prix et de l’efficacité du service, le recours aux géants américains pour des marchés publics pose évidemment un problème de sécurité. Les parlementaires citent à ce titre l’exemple dorénavant bien connu de la plateforme de stockage des données de santé (ancien Health Data Hub) pour leur utilisation dans la recherche.

« Le choix de confier l’hébergement de cette plateforme à Microsoft – société exposée aux effets des lois extraterritoriales américaines pouvant conduire à des fuites de données, avec sa solution Azure – et non à un hébergeur souverain, constitue une erreur caractérisée, si ce n’est une faute politique », fustige le rapport de la commission d’enquête sénatoriale.

« Compte tenu de l’extraterritorialité du droit américain, le gouvernement américain peut exiger ces données sans en informer leur propriétaire. Nous avons auditionné le directeur de Microsoft France qui n’a pas pu nous garantir que ces données ne pouvaient pas être transmises sans accord de la France », précise le rapporteur.

Un texte technique et un texte sur la souveraineté de la commande publique

Pour favoriser les PME et TPE françaises dans la commande publique, le rapport décline une série de propositions plus techniques, notamment à destination des collectivités territoriales : mutualisation de la fonction achat dans les intercommunalités, l’abaissement du chiffre d’affaires minimal pour répondre à un appel d’offres ou encore l’exclusion des méconnaissances du droit de la commande publique dans le délit de favoritisme.

Ce travail pourrait ainsi donner lieu à deux propositions de loi distinctes : l’une plus technique sur l’assouplissement et la régulation de la commande publique, adossée à une action de révision des directives européennes à Bruxelles, et l’autre davantage consacrée aux questions de souveraineté et de transition écologique. « Ce sont nos devoirs de vacances pour la rentrée », plaisante Dany Wattebled, en évoquant l’inscription des deux textes respectivement dans les niches socialistes et du groupe Les Indépendants. « On parle quand même de 400 milliards, c’est un enjeu fantastique. Une initiative transpartisane pourrait trouver des relais dans la navette parlementaire », veut croire le sénateur du Nord.

Dans un contexte d’inflation des propositions de loi et de relatif creux du côté gouvernemental de l’agenda parlementaire (voir notre article), ces textes pourraient effectivement se frayer un chemin dans la navette. Réponse à la rentrée.

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