Le Sénat a adopté mardi soir le volet immigration du projet de loi pour « la refondation de Mayotte », qui porte un important tour de vis au droit des étrangers applicable sur ce territoire de l’océan Indien. La gauche, qui a tenté de faire sauter ces différents dispositifs, ou du moins de les édulcorer, a dénoncé des mesures « inacceptables » voire « xénophobes », et interrogé la constitutionnalité de certaines d’entre elles.
La Chambre haute examine depuis le début de semaine le second paquet législatif destiné à la reconstruction de l’île. Après une loi d’urgence examinée en décembre, et destiné à parer au plus urgent après le passage dévastateur du cyclone Chido, le gouvernement entend, avec ce second texte qui a pris la forme d’une loi de programmation, relancer l’économie locale et s’attaquer aux crises multifactorielles qui paralysent le développement de l’archipel depuis des décennies.
C’est la raison pour laquelle ce projet de loi fleuve – une trentaine d’articles – brasse de nombreuses thématiques : accès à la santé, crise du logement, développement des infrastructures aéroportuaires, accès à l’eau, éducation… Au total ce sont près de 4 milliards d’euros d’investissements publics que le gouvernement s’engage ainsi à ventiler durant les prochaines années, a indiqué au début des débats Manuel Valls, le ministre des Outre-mer.
Dans le détail, 400 millions d’euros seront fléchés vers la santé, avec l’agrandissement du centre hospitalier de Mamoudzou et la construction d’un deuxième hôpital à Combani. Le plan eau – 30 % de la population ayant des difficultés à s’approvisionner en eau potable – sera abondé à hauteur de 730 millions d’euros d’ici 2031. Enfin, 430 millions d’euros doivent être consacrés à l’amélioration du système judiciaire et pénitentiaire.
Mais le texte décline aussi une série de mesures sécuritaires et migratoires, destinées notamment à enrayer l’afflux massif d’étrangers clandestins en provenance des Comores, et qui soumettent ce territoire d’un peu moins de 400km² à une très importante pression démographique. Ce volet, particulièrement sensible, risque de coûter au gouvernement, au moment du vote sur l’ensemble du texte, prévu le 27 mai, le soutien des groupes de gauche.
Réduire l’attractivité de certains titres de séjour
Ce mardi, les élus ont restreint les conditions d’accès au séjour pour motif familial à Mayotte. Notamment en imposant la détention préalable d’un visa de long séjour pour l’obtention d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », délivré au parent étranger d’un enfant français. Par ailleurs, ils ont fait passer à cinq ans, contre trois ans aujourd’hui, le délai de résidence pour l’obtention de la carte de résident « parent d’enfant français ».
« Concrètement, cela signifie qu’un étranger, père ou mère d’un mineur français, ne pourra jamais être régularisé au motif qu’il serait entré à Mayotte sans visa ou avec un visa de court séjour. Cette mesure aura pour effet de multiplier le nombre de ni-ni, ces étrangers qui ne peuvent être ni régularisés, ni éloignés », a estimé la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin. « Avec cet article vous ne réglerez rien, car les liens familiaux seront toujours plus forts que les obstacles administratifs », a-t-elle lancé. Pour sa collègue, la communiste Évelyne Corbière Naminzo, « s’en prendre aux familles c’est tourner le dos aux valeurs humanistes qui font le socle de nos sociétés ».
Alors que trois quarts des enfants nés à la maternité de Mamoudzou – la première de France -, ont une mère de nationalité étrangère, la rapporteure LR Agnès Canayer a invoqué le risque d’appel d’air, argument souvent repris à droite de l’échiquier politique. « Ces titres de séjour contribuent à alimenter une immigration massive et clandestine dans l’espoir d’une régularisation rapide au titre du motif familial, qui ne protège en rien ces familles et ces enfants. Il est donc essentiel de limiter ce flux », a-t-elle défendu. Manuel Valls lui a emboîté le pas : « En raison du caractère exceptionnel de la situation migratoire, il est, de mon point de vue, parfaitement justifié d’adopter des mesures qui visent à limiter l’attractivité de certains titres de séjour. »
Des lieux de détention pour les familles avec mineurs
Les sénateurs ont également durci la peine d’amende encourue en cas de reconnaissance frauduleuse de paternité ou de maternité, qui passe de 15 000 à 75 000 euros. Ils ont également voté pour la mise en place de locaux dédiés à la rétention des familles avec mineurs en attente d’expulsion. Là encore, un irritant majeur pour une partie des oppositions : la loi de janvier 2024 sur l’immigration avait mis fin au placement des familles dans les centres de rétention administrative (CRA), l’un des rares dispositifs de ce texte qui avait été soutenu par la gauche.
« Disons-le clairement, il s’agit du rétablissement de la rétention des mineurs, et nous y sommes fermement opposés ! », a averti Corinne Narassiguin. Le ministre a tenté de rassurer en indiquant que les bâtiments seraient « indépendants » des CRA. « L’intimité de chaque famille sera préservée, le régime de surveillance sera plus léger, il n’y aura aucun policier, pas de grillage, pas de barbelés », a-t-il détaillé.
Suppression du titre de séjour pour les parents d’un mineur délinquant
Mais les débats se sont principalement cristallisés autour de l’article 8. Il prévoit le retrait des titres de séjour pour les parents de mineurs présentant un trouble à l’ordre public, s’il est établi qu’ils ont manqué à leurs obligations éducatives. « Un dispositif sans précédent aucun », a souligné l’écologiste Mélanie Vogel, évoquant notamment une possible entorse au principe constitutionnel de responsabilité pénale individuelle, selon lequel « on ne peut être condamné que pour des faits que l’on a commis soit même. » Avant de s’emporter : « Quels sont les effets recherchés d’une telle mesure ? Vous pensez qu’il va se passer quoi ? On va retirer un titre de séjour aux parents, et alors quoi ? Quel est le chemin logique que vous faites ? Est-ce que la situation sociale d’un enfant va s’améliorer si l’on fait ça ? »
« Nous savons combien les outre-mer constituent un dangereux laboratoire en matière de remise en cause des droits. Cette mesure constituerait un précédent, sa généralisation à l’ensemble du territoire ne manquerait pas d’être défendue », a voulu alerter Corinne Narassiguin.
La rapporteure Agnès Canayer a tenu à rappeler que cette mesure était issue d’une demande des élus mahorais. « On cherche tout simplement la responsabilisation des parents de mineurs délinquants. 44 % des mineurs condamnés à Mayotte sont étrangers, contre 15 % en Métropole. On voit qu’il y a un enjeu fort », a pointé cette éphémère ministre de la Famille et de la Petite enfance. Mais elle a aussi voulu nuancer la portée du dispositif. « Ce n’est pas un système automatique, il faudra démontrer le lien de causalité entre la soustraction des parents à leurs obligations éducatives et les actes de délinquance commis par le mineur. D’autant que ces actes doivent être réitérés dans un délai de six mois. »
La discussion sur le projet de loi va se poursuivre jusque dans la soirée de mercredi, avant le vote solennel de la semaine prochaine. Le soutien de la majorité sénatoriale de droite et du centre devrait permettre une adoption sans difficulté du texte, même si les voix de gauche viennent à manquer. Parmi les mesures qui doivent encore être débattues : un renforcement du contrôle des armes, une série de dérogations pour faciliter l’aménagement du territoire, notamment en matière d’expropriation. Ou encore le changement institutionnel de Mayotte, avec l’instauration d’un statut unique de « département-région ».