Mayotte : que contient le projet de loi d’urgence ?
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Manuel Valls, nouveau ministre des Outre-mer élevé au grade de ministre d’Etat, a présenté ce mercredi matin à l’issue du Conseil des ministres le plan du gouvernement pour Mayotte, ravagée par le cyclone Chido mi-décembre. « L’urgence immédiate pour tout le gouvernement, c’est la situation à Mayotte », a-t-il martelé.
Un bilan humain stable, mais difficile à établir
Le ministre a détaillé le plan d’attaque en trois temps de l’exécutif pour soutenir l’archipel, dans une situation très grave. Le premier temps, c’est l’urgence et la gestion de crise, déjà amorcée par la mise en place de ponts aériens, le déploiement de forces supplémentaires, la mise à l’abri d’habitants, ou encore la construction d’un hôpital de campagne. La situation est exceptionnelle, Chido a « donné lieu à la plus grave crise de sécurité civile que le territoire ait connue depuis la seconde guerre mondiale », a estimé Manuel Valls. Il a commencé son exposé par un point de situation. Le bilan officiel des victimes, très difficile à établir de manière fiable et sûrement largement sous-estimé, reste stable : 39 morts, 124 blessés graves, 4 232 blessés légers. Pourtant, les élus sur place, dont le sénateur RDPI (Renaissance) de Mayotte Saïd Omar Oili sur notre plateau ce matin, dénoncent un bilan sous-évalué, car de nombreuses victimes n’ont pas encore été retrouvées. A propos des distributions d’eau et de nourriture, le ministre a affirmé : « La distribution continue à s’améliorer mais demande une amélioration constante, en particulier dans les territoires reculés ». Des observateurs sur place rapportent en effet un manque d’eau et des files d’attente qui s’allongent dans les supermarchés.
Un autre point d’attention du gouvernement concerne la rentrée des classes : elle doit avoir lieu les 13 et 20 janvier, pour 117 000 élèves, alors même que de nombreux établissements scolaires ont été détruits par le cyclone. « 70 % des salles de classe du premier et second degré devraient être disponibles pour la rentrée », a affirmé le ministre.
« Permettre la mise en œuvre très rapide de mesures urgentes pour faciliter l’hébergement et l’accompagnement de la population »
C’est la deuxième phase qui s’ouvre avec ce Conseil des ministres, au cours duquel Manuel Valls a présenté son projet de loi d’urgence pour Mayotte. Le texte, qui devait initialement être présenté le 3 janvier, sera examiné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le lundi 13 janvier, puis par celle du Sénat la semaine du 27. Le texte doit « permettre la mise en œuvre très rapide de mesures urgentes pour faciliter l’hébergement et l’accompagnement de la population, ainsi que la reconstruction et la réparation des infrastructures et logements sinistrés », d’après les mots du ministre. Un texte technique, contenant vingt-deux articles destinés à fluidifier et à accélérer les procédures administratives et d’urbanisme, aussi bien pour l’hébergement temporaire que pour la reconstruction de logements pérennes.
Le premier article vise à mettre en place, sur le modèle de la reconstruction de Notre-Dame de Paris, un opérateur public « puissant » tout entier tourné à reconstruire Mayotte. Pour le mettre en place, une mission de préfiguration est confiée au général d’armée Pascal Facon, ancien commandant militaire de l’opération Barkhane, de 2019 à 2020. Le texte prévoit d’habiliter l’Etat à légiférer par ordonnances pour mettre en place cet opérateur.
Dans le chapitre 4 du projet de loi est prévue une mesure permettant au gouvernement de légiférer par ordonnances pour adapter les règles d’expropriation pour cause d’utilité publique. « Il s’agit de s’ajuster à la situation de Mayotte où il est souvent très difficile d’identifier formellement les propriétaires de terrains », a expliqué Manuel Valls, « l’objectif est d’y faciliter des opérations de construction et de relogement. Notre priorité c’est que les Mahorais aient le plus vite possible un toit ».
Le texte comporte une autre mesure calquée sur la reconstruction de Notre-Dame de Paris : un article qui permet de défiscaliser jusqu’à 75 % les dons à des associations ou des fondations fournissant des repas, des soins ou un logement aux personnes en difficulté. Des dons dont les ONG sur place ont cruellement besoin.
Enfin, le projet de loi d’urgence prévoit des mesures sociales pour la population sur place, comme la suspension du recouvrement des cotisations sociales, ou encore l’augmentation de la prise en charge par l’Etat de l’activité partielle.
Le ministre est resté vague sur le chiffrage de ce projet de loi, qui devrait s’élever à « plusieurs centaines de milliers d’euros ». Des chiffres plus précis sont attendus en début de semaine prochaine.
« Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville »
Manuel Valls a appelé à l’adoption la plus rapide possible de ce texte, qui peut être « incomplet ». Il juge qu’il pourra être enrichi par des mesures portant notamment sur l’habitat, qui seront présentées en séance par le gouvernement sous forme d’amendements. Ils concerneront de nouvelles mesures facilitant le constat des campements illégaux et la traversée de ces « bangas » par les officiers de police judiciaire. Le ministre plaide, de plus, pour un gel temporaire des loyers sur l’archipel, « pour qu’à l’horreur du cyclone ne s’ajoute pas l’indignité de profiteurs de crise ».
A Mayotte le 30 décembre, François Bayrou avait annoncé que la reconstruction des bidonvilles serait empêchée. Un objectif que reprend le ministre des Outre-mer ce mercredi matin : « Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville », a-t-il martelé. Mais la lutte contre les bidonvilles ne veut pas dire le relogement automatique de leurs résidents. « Il y a des publics très différents [dans les bidonvilles] », a expliqué Manuel Valls, « la priorité est la reconstruction des toits, des maisons des Mahorais. Nous n’allons pas donner une prime à l’immigration irrégulière ».
Un autre projet de loi pour lutter contre le « fléau » de l’immigration irrégulière
La troisième phase du plan du gouvernement, qui viendra dans les prochains mois, verra l’examen d’un autre projet de loi, le fameux projet de loi « Mayotte debout », traduisant les annonces de François Bayrou lors de sa visite sur l’archipel en décembre. Ce texte vise à présenter des « mesures structurelles ».
Le principal axe de ce texte, c’est la lutte contre l’immigration illégale. « Mayotte est rongée par deux fléaux : l’immigration irrégulière et l’habitat illégal », a affirmé le ministre ce matin, « cette immigration irrégulière pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes mahorais, nourrit l’ultra violence et alimente des réseaux de trafiquants d’êtres humains. C’est indigne de la République ».
Le sujet de l’immigration à Mayotte n’est pas nouveau, en 2023, il avait déjà été question de modifier le droit du sol, restreint sur l’archipel. Cette mesure n’est plus à l’ordre du jour, car elle nécessite une réforme constitutionnelle particulièrement risquée dans la configuration actuelle du Parlement. Le gouvernement prévoit néanmoins plusieurs mécanismes pour rendre plus difficile l’immigration, dans son texte de « refondation » : le durcissement des conditions d’accès au séjour, la lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, ou encore l’allongement la durée de résidence régulière des parents nécessaire pour la naturalisation des enfants.
Le ministre ne souhaite pas revenir sur les visas territorialisés, qui n’existent qu’à Mayotte et qui empêchent son détenteur de se déplacer dans n’importe quel autre département français. Pourtant, des élus locaux demandent sa suppression, à l’instar du sénateur RDPI (Renaissance) de Mayotte Saïd Omar Oili.
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