Narcotrafic : les réseaux ont « recours à des petites mains de plus en plus jeunes : 11, 12, 13 ans »

Interrogé lundi 11 décembre par la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, les membres de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) alertent sur la consommation de drogues psychostimulantes dans les zones urbaines, périurbaines et rurales. Ils témoignent aussi de la recrudescence des recrutements de mineurs par les réseaux de trafic de drogue.
Stephane Duguet

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Comprendre où sont les priorités en matière de lutte contre les stupéfiants en France. Tel était l’objectif de l’audition de Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) par les sénateurs de la commission d’enquête sur le narcotrafic.

Risque sur les drogues de synthèse et les psychostimulants

« Contrairement à ce que l’on entend, sur le cannabis, il n’y a pas une explosion. On a une stabilisation en population générale et même une baisse chez les jeunes adultes », indique le président de la mission interministérielle depuis 2017. Chez les adolescents, la consommation diminue même nettement.

Celui qui est aussi médecin de santé publique s’inquiète ainsi davantage du développement des drogues « psychostimulantes », comme la cocaïne et son dérivé le crack. Il relève « l’appétence d’un nouveau public plus large pour ces produits boosters que ce soit dans la vie professionnelle, festive ou sexuelle ». « C’est inquiétant car ce sont des produits sur lesquels nous n’avons pas de traitements efficaces contrairement aux opioïdes », insiste-t-il.

Si la situation en France est très éloignée de celle des Etats-Unis, où les opioïdes tuent 107 000 personnes par an, le président de la Mildeca appelle tout de même à prendre ce sujet très au sérieux et à « une vigilance de tous les instants ». « Nous avons eu à la Réunion et en Occitanie quelques cas sur le nitrazem et cela peut être létal à très faible dose », alerte-t-il, expliquant qu’avec la production dans des laboratoires clandestins, « cela nous fait craindre que cette catégorie de drogue sera très disponible ». La Mildeca obtient des données chiffrées grâce au travail de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives et aux remontées des collectivités, préfectures ou Agence régionales de santé avec lesquelles elle travaille.

Phénomène qui s’est diffusé

Du côté de l’offre, l’administration créée en 1982 et rattachée au Premier ministre, estime qu’aujourd’hui « les produits sont disponibles sur tous les types de territoires : urbains, périurbains et ruraux » et que le produit phare reste le cannabis. « Nous avons des témoignages concordants des préfectures et de la gendarmerie », explique Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca. Elle prend l’exemple du crack qui n’est « plus du tout un phénomène uniquement parisien » et que l’on retrouve désormais à Alençon, Compiègne ou Troyes.

Ainsi, la Mildeca indique que les moyens utilisés en milieu rural pour lutter contre le trafic de stupéfiants, sont les mêmes que dans les départements urbains. « Les zones rurales sont surtout utilisées comme lieu de stockage ou comme lieu de culture », détaille Valérie Saintoyant qui parle d’un « phénomène qui s’est diffusé ».

Recrudescence du recrutement d’enfants

Dans leurs manières de se structurer, les réseaux de trafic de drogues ont « recours à des petites mains de plus en plus jeunes : 11, 12, 13 ans », rapporte Nicolas Prisse. Le président de la Mildeca raconte que certains jeunes sont même recrutés à « plusieurs centaines de kilomètres de chez eux ». La commissaire divisionnaire Célia Bobet, chargée de mission police à la Mildeca illustre cela par l’exemple de plusieurs jeunes de Sarcelles. « Ils sont partis deux mois à Marseille, logés payés », explique-t-elle, rappelant les risques d’engrenages encourus par les jeunes lorsqu’ils participent au trafic de stupéfiants : « Ils se sont endettés parce qu’ils se sont fait voler le produit sur place. Ils sont remontés à Sarcelles et pour rembourser, ils ont prostitué deux de leurs amies ce qui a conduit à leur procès ».

« Le recrutement des jeunes ne peut pas être déconnecté d’un certain nombre de maux qui traversent la jeunesse, avance également Nicolas Prisse. Il cite par exemple l’école, « le sentiment d’impunité » ou encore « la recherche d’argent à dépenser immédiatement ». Si ces jeunes sont recrutés sur des points de deals, le président de la Mildeca note aussi que les modes de distribution évoluent : « On voit un essor du fret postal adapté aux drogues de synthèses et les call-center avec livraisons. »

Accentuer la saisie d’avoirs de trafiquants

Parmi les leviers les plus efficaces pour lutter contre les réseaux de trafiquants de drogue, le président de la Mildeca met en avant la saisie des avoirs des personnes condamnées. C’est l’Agrasc qui collecte ces biens et les utilise pour abonder le fond de concours « Drogues » reversé à la Mildeca. « La dynamique est bonne » se réjouit Nicolas Prisse. Entre 2016 et 2019, l’Agrasc leur reversait entre 12 et 15 millions d’euros par an contre 40 à 50 millions d’euros aujourd’hui.

« C’est un mécanisme mieux maîtrisé à la fois par les enquêteurs qui saisissent les avoirs et les juridictions qui prononcent leur confiscation », indique-t-il. Nicolas Prisse souligne quand même des pistes d’améliorations comme la formation des magistrats « pour savoir jusqu’où ils peuvent aller dans les affaires » et insister sur la systématisation des saisies par les enquêteurs.

Opposition à une légalisation du cannabis

Le président de la mission interministérielle balaie en revanche la légalisation du cannabis comme une solution pour lutter contre la consommation de drogue et contre les réseaux de trafic. « Est-ce que ça ne protégerait pas les jeunes et les clients en les distanciant des réseaux ? », demande Marie-Arlette Carlotti, sénatrice socialiste. « Sur les réseaux criminels, on ne gagnerait pas. On va être obligé de vendre un cannabis à 8 %. Les réseaux proposeront du cannabis à 20 % avec des goodies, donc on aurait deux circuits », martèle Nicolas Prisse. Du côté de la consommation, la légalisation aurait selon lui un effet de « banalisation du produit et derrière une diminution de la perception des risques » alors qu’on « obtient des résultats ».

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