Opération d’affichage ou véritable plan d’action interministériel contre le narcotrafic ? En se déplaçant avec neuf autres membres du gouvernement au Palais du Luxembourg, Sébastien Lecornu voulait convaincre les sénateurs, à l’origine de la proposition de loi sur le narcotrafic adoptée en juin 2025, de sa détermination pour lutter contre le narcotrafic. Malgré des divergences de stratégie, de méthodes et de priorités, les sénateurs ont tous voté pour la déclaration du gouvernement.
« La lutte contre le narcotrafic est une guerre de mouvement, les réseaux contre lesquels nous luttons évoluent et adaptent leurs modes d’actions en permanence, nous devons nous aussi nous adapter pour les combattre. Ma conviction est qu’il faut une rupture et cette rupture ne peut prendre que deux formes soit la dépénalisation, soit la mobilisation générale, nous optons évidemment pour la deuxième solution », a notamment déclaré le Premier ministre en préambule de ce débat.
Le débat intervient après les annonces du Président de la République, le 16 décembre à Marseille, de l’augmentation du montant de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de drogue la faisant ainsi passer de 200 à 500 euros. « 500 euros, parce qu’il faut taper au portefeuille, parce que ça n’est pas festif de se droguer » a expliqué Emmanuel Macron. Pour rappel, le frère du militant anti-drogue Amine Kessaci, Mehdi Kessaci avait été assassiné en novembre dans la cité phocéenne. Dans ce contexte, et après s’être livré au même exercice devant les députés, le chef du gouvernement a annoncé des mesures complémentaires de celles adoptées en juin 2025.
Rapprocher le statut des narcotrafiquants de celui des terroristes
« Ce débat doit nous permettre d’interroger les actions qui ont été menées, ce qui a été réussi et ce qu’il reste à faire », cadre Sébastien Lecornu en ouverture des échanges. Quelques heures auparavant, le chef du gouvernement avait déjà annoncé plusieurs mesures qui devraient être inscrites dans le projet de loi SURE porté par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. « En matière de répression, nous devons lutter contre le narcotrafic avec le même niveau d’engagement et de détermination que celui avec lequel nous luttons contre le terrorisme et pourquoi pas en s’inspirant du cadre juridique », avance le Premier ministre.
Le gouvernement souhaite notamment aligner le régime applicable aux narcotrafiquants sur celui des terroristes en matière de réduction des peines et de liberté conditionnelle. Ainsi, les réductions de peines ne pourront pas excéder un tiers de celles prononcées. « Le combat que mènera le gouvernement est aussi un combat financier, la lutte contre le blanchiment doit être une priorité nous proposerons la création d’une procédure administrative de saisie des biens somptuaires », a également ajouté le chef du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, a également évoqué des réflexions sur la possibilité de suspension administrative des permis de conduire d’individus condamnés pour narcotrafic.
« Personne ne vous croirait non plus si vous prétendiez que cet échange ne relève pas d’une vaste opération de communication »
Par ailleurs, le gouvernement a tenu à vanter les premiers résultats de la loi contre le narcotrafic en portant à la connaissance des sénateurs plusieurs données statistiques. « Ces dispositifs fonctionnent à plein. Sur l’ensemble du territoire national, plus de 1 500 interdictions de paraître, 166 injonctions aux bailleurs et 63 saisines du juge judiciaire pour des expulsions du territoire national », détaille le ministre de l’Intérieur. Dans le cas des interdictions de paraître, la loi sur le narcotrafic permet au préfet de prendre directement cette mesure. De son côté, le garde des Sceaux a rapporté des progrès en matière de coopération judiciaire internationale, notamment avec les Emirats Arabes Unis : « Nous avons des améliorations importantes à accomplir mais je constate que les dernières améliorations avec les Émirats arabes unis nous permettent désormais d’avoir 14 extraditions depuis le 1er janvier alors qu’elles étaient bloquées depuis plus de 4 ans ».
Insuffisant pour convaincre l’ancien rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, Etienne Blanc, qui fustige une opération de communication du gouvernement. « Personne ne vous croirait non plus si vous prétendiez que cet échange ne relève pas d’une vaste opération de communication voulue par un exécutif qui est aujourd’hui dépassé par la vague du narcotrafic. Une vague qui submerge désormais la France », s’agace Etienne Blanc (LR), sénateur du Rhône. En évoquant la progression continue du chiffre d’affaires généré par le trafic de drogues, du nombre d’individus impliqués dans cette industrie et des homicides liés au narcotrafic, Etienne Blanc met en doute le volontarisme politique du gouvernement. « Comme si le nombre voulait démontrer la force d’une volonté politique sur laquelle à titre personnel je me permets toutefois de douter. Mais nous n’allons pas bouder notre plaisir et nous sommes heureux d’accueillir ce conseil des ministres délocalisé au Palais du Luxembourg », tance le sénateur du Rhône.
Le Premier ministre promet une publication rapide des décrets d’application
Pour l’auteur du rapport sénatorial sur le narcotrafic, le gouvernement serait en train de « procrastiner, tergiverser en mettant si peu d’empressement à adopter ces décrets d’application ». « Six mois après sa publication, seulement 14 des 37 décrets nécessaires à l’application concrète de la loi sont publiés », abonde la sénatrice Audrey Linkenheld (PS). Là encore, Sébastien Lecornu a voulu rassurer les sénateurs en promettant qu’une « vingtaine de textes réglementaires seront pris dès les prochaines semaines pour que cette loi s’applique ». Le décret mettant en place le statut de repenti devrait être publié durant le mois de janvier.
Les sénateurs appellent à un renforcement des mesures pour lutter contre le blanchiment
Au-delà des résultats et de la mise en œuvre des dispositions adoptées par le Parlement, les sénateurs, de différents groupes, ont appelé le gouvernement à une vigilance constante sur les différents moyens de lutte contre le trafic de stupéfiants. Ainsi, le président de la commission d’enquête sur la délinquance financière et la criminalité organisée, le sénateur Raphaël Daubet (RDSE) interpelle le gouvernement sur la nécessité de s’attaquer au blanchiment, « point de passage obligé de tous les trafics ». « Malgré un arsenal juridique que l’on pourrait croire robuste, la lutte contre le blanchiment souffre d’un défaut structurel de stratégie », estime le sénateur du Lot qui estime entre 38 et 50 milliards d’euros les sommes blanchies chaque année.
« Cessons de répéter qu’il faut frapper les criminels au portefeuille quand nous ne recouvrons que 2 % des avoirs criminels », abonde la sénatrice centriste Isabelle Florennes. « Les banques ne peuvent être éternellement absentes de ces débats. On ne peut pas afficher une fermeté sans concessions et de l’autre tolérer une indulgence envers ceux qui permettent le blanchiment », continue Jérémy Bacchi (PCF).
« Il est essentiel d’adapter le discours au public visé et d’éviter l’écueil de la moralisation »
Enfin, à gauche de l’hémicycle, les sénateurs ont regretté que le gouvernement ne prenne pas plus de mesures sur la prévention et l’accompagnement. « Il est essentiel d’adapter le discours au public visé et d’éviter l’écueil de la moralisation, à cet égard nous ne sommes pas sûrs que l’annonce du président de la République du relèvement de 200 à 500 euros de l’Amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs réponde à cette recommandation », pointe Audrey Linkenheld (PS). A l’inverse, le ministre de l’Intérieur assume une « action résolue, soutenue contre les consommateurs ». La sénatrice socialiste a également demandé le lancement d’un « acte II » de la commission d’enquête portant sur la prévention et l’accompagnement.
Le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône, Guy Benarroche, ami d’Amine Kessaci, juge pour sa part que le recul de l’Etat dans certains quartiers est directement lié à la progression du narcotrafic. « Nous pensons plutôt que la spirale de l’attaque de la criminalité organisée sur notre pacte républicain commence par l’abandon du pacte républicain auprès de nos concitoyens. »