Paupérisation des copropriétés : un rapport du Sénat alerte sur un phénomène mal connu qui « bouge, s’amplifie et se transforme » 

En pleine crise du logement, le Sénat, à la demande du groupe communiste, s’est saisi de la question des copropriétés dégradées au travers d’une commission d’enquête. Après plusieurs mois de travaux, elle a remis son rapport. Il décrit un phénomène mal connu et mal mesuré, qui s’aggrave. Vingt-cinq recommandations sont formulées pour venir au-devant de cette crise, alors qu’aucun ministre du Logement de plein exercice n’a encore été nommé.
Mathilde Nutarelli

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Six ans après le drame de la rue d’Aubagne, qui avait vu s’effondrer plusieurs immeubles de cette rue de Marseille, tuant cinq personnes, le Sénat s’est emparé du sujet des copropriétés dégradées. A la demande du groupe communiste, une commission d’enquête a été lancée, pour travailler spécifiquement sur la paupérisation des copropriétés immobilières. Près de cinq mois après son début, sa présidente, la centriste Amel Gacquerre, et sa rapporteure, la communiste Marianne Margaté, ont rendu ce mardi leur rapport intitulé « La paupérisation des copropriétés, mieux la connaître pour mieux la combattre », adopté à l’unanimité.

Paupérisation des copropriétés : un phénomène mal mesuré

Premier constat effectué par les commissaires : les copropriétés sont mal connues et mal répertoriées. Selon les décomptes, leur nombre varie, alors que c’est un tiers des résidences principales en France. Il va de 578 000 selon le Registre national d’immatriculation des copropriétés (RNIC), à 888 000 selon le référentiel CoproFF de l’Anah (Agence nationale de l’habitat) et du CEREMA, en passant par 779 000 selon le fichier des logements à la commune (Filocom). Ces copropriétés sont présentes sur tout le territoire, des grands centres-villes aux résidences pavillonnaires. « Il est très compliqué de mesurer ce phénomène, parce qu’il bouge, s’amplifie et se transforme », a expliqué Marianne Margaté au micro de Public Sénat.

La difficulté du décompte des copropriétés rend encore plus difficile l’identification de celles qui sont dégradées. Pourtant, c’est un problème central pour les ménages qui y vivent, sur le plan sanitaire, financier, ou encore environnemental. Pour approcher le nombre de copropriétés dégradées, les sénateurs de la commission d’enquête se sont appuyés sur les chiffres disponibles. Ainsi, la Banque des territoires estime que 215 000 copropriétés ont un montant d’impayés d’au moins 20 % de leur budget annuel. L’Anah chiffre à 115 000 les copropriétés qui seraient fragiles, au sein desquelles celles de moins de douze logements représenteraient quatre cinquièmes des plus fragiles. « Ces chiffres nous interpellent », s’inquiète la rapporteure de la commission d’enquête, « notamment sur l’importance des petites copropriétés. Des ménages modestes ou très modestes peuvent être des copropriétaires occupants. Avec l’augmentation des coûts de l’énergie, la situation ne peut que s’aggraver et s’amplifier ».

« Le cycle vicieux de la dégradation de la copropriété peut rapidement s’enclencher »

Amel Gacquerre et Marianne Margaté sont formelles : le phénomène de paupérisation de ces copropriétés s’aggrave, à la faveur du vieillissement des immeubles, ou encore de l’augmentation des charges liée à l’inflation de ces dernières années. Par ailleurs, le rapport relève que de nombre de propriétaires modestes ou très modestes est important dans les copropriétés. « Dès lors, le cycle vicieux de la dégradation de la copropriété peut rapidement s’enclencher », décrit-il. Alors surviennent les impayés, l’augmentation des charges et le retard pris dans les travaux d’entretien, terrain propice aux catastrophes. Cela mène aussi à l’installation de copropriétaires plus pauvres et, parfois, de marchands de sommeil.

« Des politiques publiques très orientées sur les grands ensembles et peu sur les petites copropriétés »

Pour les autrices du rapport, la prise en charge de ce sujet par les pouvoirs publics manque de moyens et n’est pas assez centralisée. « Aujourd’hui existent des politiques publiques très orientées sur les grands ensembles et peu sur les petites copropriétés, que nous retrouvons sur tout le territoire français », a déploré Amel Gacquerre au micro de Public Sénat. Une variété d’acteurs existe pour accompagner les copropriétaires confrontés à la paupérisation de leur bien : les élus locaux, parmi lesquels les maires, mais aussi l’Anah, l’ANRU ou encore les Maisons de l’habitat.

Pour résoudre ce problème qui peut devenir explosif, la commission d’enquête formule vingt-cinq recommandations. Plusieurs d’entre elles visent avant tout à mieux repérer et mieux connaître le phénomène des copropriétés dégradées. Cela passe par exemple par l’amélioration du Registre national d’immatriculation des copropriétés (RNIC) ou encore la généralisation des Maisons de l’habitat, ces dispositifs qui accompagnent les habitants d’un territoire dans l’entretien et la rénovation de leur logement.

La création d’une banque de la rénovation des copropriétés comme recommandation

Le rapport préconise ensuite d’améliorer les politiques publiques existantes, en créant notamment une banque de la rénovation et de la copropriété, qui serait mise en place après la tenue d’une mission de préfiguration par un parlementaire. Cette banque interviendrait lorsque les banques classiques, parfois frileuses, refusent de prêter à des petites copropriétés. « Elle agirait comme un acteur utile, une banque des banques », souhaite Marianne Margaté. Le rapport préconise aussi de rendre plus accessible le dispositif « Ma prime rénov petites copropriétés », qui verse à ses bénéficiaires une prime lors de la rénovation énergétique de leur logement. Aujourd’hui, pour en bénéficier, l’immeuble concerné doit être composé à 75 % de copropriétaires occupants, ce qui, de l’avis de la rapporteure, limite sa portée.

Enfin, le troisième groupe de recommandations du rapport concerne le fonctionnement des copropriétés. Il préconise ainsi de limier le droit de vote de certains copropriétaires (ceux qui ont un « retard intentionnel et abusif de paiement de leurs charges »), de donner un bonus aux copropriétaires occupants sur les questions d’entretien, ou encore de créer une instance encadrant la profession de syndic.

« Nous souhaitons attirer l’attention du futur gouvernement »

« Ce rapport va être diffusé, la question qui se pose c’est ‘et après ?’ », a conclu Amel Gacquerre. Alors qu’aucun nouveau gouvernement n’est en vue pour l’instant, les parlementaires n’ont personne à qui adresser leur rapport pour espérer faire bouger les lignes. La présidente de la commission d’enquête ne désespère pas : « Nous souhaitons attirer l’attention du futur gouvernement. Ce que nous attendons sur ce phénomène, c’est de rencontrer le futur ministre du Logement pour mettre en avant la nécessité d’agir ».

 

Images de Jonathan Dupriez

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