« Cette nouvelle lecture n’apportera rien de plus », anticipe Hussein Bourgi, sénateur socialiste à l’origine du texte sur la reconnaissance et la réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. Ce mardi 6 mai, les sénateurs vont à nouveau se pencher sur cette proposition de loi qu’ils avaient déjà examinée, modifiée et adoptée en novembre 2023. Le dépit affiché par l’élu de l’Hérault s’explique par la fin de non-recevoir adressée par la droite sénatoriale au volet indemnisation de son texte, mais aussi par leur opposition à reconnaître les condamnations infligées entre 1942 et 1945.
Implication du régime de Vichy
Dans sa première version, le sénateur souhaitait d’abord que l’Etat reconnaisse les politiques de criminalisation de l’homosexualité en vigueur de 1942 à 1982. Introduite par le régime de Vichy, la loi du 6 août 1942 instaurait une distinction de l’âge du consentement selon les relations homosexuelles et hétérosexuelles. Une discrimination qui servait de « base juridique pour la répression policière et judiciaire » des homosexuels, expliquait Hussein Bourgi. Sauf que le rapporteur du texte, le sénateur Les Républicains (LR) Francis Szpiner a fait voter au mois de novembre un amendement pour que la reconnaissance soit limitée aux périodes 1945-1982.
S’il exclut les condamnations infligées sous le régime de Vichy, c’est qu’il considère « qu’il n’était ni opportun, ni fondé au plan historique de traiter de la même manière et dans les mêmes formes la responsabilité de l’État du fait d’une loi mise en œuvre par le régime de Vichy de 1942 à 1944, puis par la République de 1945 à 1982 », est-il écrit dans son rapport. « Je suis issu d’une famille gaulliste, je ne m’excuserai jamais pour Vichy car ce n’est pas la France défend Francis Szpiner. Et les sociologues distinguent d’ailleurs les périodes entre 1942 et 1945 et 1945 et 1982 ». Malgré cette position majoritaire au Sénat, les députés à l’Assemblée nationale ont rétabli la reconnaissance de la responsabilité de la France entre 1942 et 1982 le 6 mars 2024.
La droite et le centre opposés à la réparation financière
L’opposition de la majorité sénatoriale a été la même sur la deuxième mesure phare que portait le texte du sénateur Hussein Bourgi. Il souhaitait que de cette reconnaissance découle une indemnisation de l’Etat. Ainsi, la proposition de loi prévoyait une allocation fixe de 10 000 euros à laquelle s’ajouterait une allocation de 150 euros par jour de privation de liberté ainsi qu’un remboursement des amendes infligées aux personnes condamnées pour homosexualité. Le tout aurait été distribué par une commission nationale spéciale chargée de statuer sur les demandes. Si les travaux des sociologues Jérôme Gauthier et Régis Schlagdenhauffen font état de 10 000 personnes condamnées entre 1942 et 1982 au titre de la loi adoptée sous Vichy, le nombre de personnes encore vivantes et éligibles à la réparation se situe plutôt autour de 200 selon l’estimation établie par les députés lors de l’examen du texte.
Comme sur la période de reconnaissance, la majorité sénatoriale de droite et du centre a supprimé l’indemnisation en première lecture. Le rapporteur Les Républicains du texte Francis Szpiner se justifie par le fait que « la loi d’amnistie (adoptée en 1982 qui dépénalisait l’homosexualité et amnistiait les personnes condamnées, ndlr) a effacé sur le plan pénal l’existence même de ces condamnations ». Selon le sénateur de Paris, « il y a des règles de prescription et vous ne pouvez pas inventer une règle de prescription qui remonte à il y a 40 ans ». Autre argument avancé par l’avocat pénaliste de profession, celui de la complexité juridique des réparations financières. « On a d’autres dispositifs qui permettent d’avoir des réparations financières pour des victimes quand on considère qu’à la faveur d’une loi mémorielle la République reconnaît ses erreurs. Pour les harkis notamment », balaye Mélanie Vogel, sénatrice écologiste invitée de Bonjour chez vous sur Public Sénat lundi 5 mai. « Mais pour les harkis, c’est différent, rétorque Francis Szpiner. C’est toute une population qui a été lâchement abandonnée par la France en Algérie là où, pour les homosexuels condamnés, ça n’était qu’une partie de la population et à cause d’une loi spécifique ». Le sénateur ajoute que selon lui la réparation financière par l’Etat « parce que des juges ont appliqué la loi, c’est ouvrir un chantier sans fin ». Une ligne que ne partagent pas les députés qui ont réintroduit le dispositif de réparation financière lors de l’examen le 6 mars 2024.
« Course d’obstacles »
Le texte qui revient au Sénat ressemble ainsi fortement à la proposition initiale du sénateur socialiste. Mais en commission des lois au Sénat, fin avril, le rapporteur Francis Szpiner a fait adopter les mêmes amendements qu’en novembre 2023, supprimant ainsi à nouveau l’indemnisation financière et modifiant « 1942-1982 » par « 1945-1982 ». En séance publique ce mardi, « Francis Szpiner va encore sabrer dans le texte », prévoit Hussein Bourgi. « La droite sénatoriale n’est pas toujours la plus allante sur la question de la justice et en particulier lorsque ça concerne les personnes LGBT », note aussi l’écologiste Mélanie Vogel.
Le sénateur PS à l’origine de la proposition de loi comprend encore moins l’opposition de ses collègues de la droite et du centre qu’il fait remarquer qu’à l’Assemblée nationale, « les députés LR ont voté le texte » avec les réparations financières. Hussein Bourgi regrette d’autant plus cette attitude de la majorité sénatoriale que le temps presse pour indemniser les dernières personnes concernées par les condamnations pour homosexualité. « Ce qui est vécu par ces quelques personnes, c’est une violence symbolique inouïe que de voir se multiplier ce type de procédure là où d’autres pays comme l’Allemagne l’ont adopté sans difficulté » fait-il valoir.
Le sénateur de l’Hérault n’a donc guère d’espoir pour le vote en séance publique des sénateurs ce mardi et espère que l’Assemblée confirmera le rétablissement de ces mesures lorsque le texte reviendra à la chambre basse. Ensuite, l’issue de la proposition de loi sera connue après une commission mixte paritaire. « Une course d’obstacles », juge Hussein Bourgi qui se questionne sur l’intention des sénateurs de droite et du centre : « Peut-être que les gens opposés à la réparation financière attendent que les gens concernés soient morts ? ». Lui-même reconnaît une formule choc mais qu’il affirme être à la hauteur du désarroi témoigné par les personnes homosexuelles condamnées qui attendent l’adoption de cette loi mémorielle avec les réparations pour le préjudice subi.