Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Prix minimum de l’alcool : le Sénat rejette la mesure, ses défenseurs veulent « ouvrir le débat »
Par François Vignal
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C’est un sujet qui revient régulièrement en débat au Sénat, en général lors du budget de la Sécu. Cette fois, c’est dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2024 que la question de la lutte contre la consommation excessive d’alcool s’est invitée. Non pas par une taxe, mais pas un prix minimum.
Le sénateur du groupe socialiste, Bernard Jomier, a en effet défendu, en vain, un amendement visant à « instaurer un prix minimum de l’alcool dans notre pays » avec « l’objectif de réduire l’impact sur la santé ». « Notre système actuel cible trop mal les 8 % des Français qui consomment 50 % de l’alcool, qui ont une consommation excessive », pointe ce médecin généraliste de profession.
« Baisse des décès liés à l’alcool en Ecosse », où la mesure est appliquée
L’idée est déjà testée et pratiquée en Ecosse, et maintenant en « Irlande ». « L’Ecosse a mis en place ce prix minimum de l’alcool en 2018. Il ne génère pas de taxe supplémentaire », note le sénateur de Paris, qui souligne surtout que « les effets de cette adoption ont été mesurés pour la première fois en 2023, et montrent les effets sur les consommations les plus excessives, la baisse des décès liés à l’alcool, la baisse des hospitalisations, et aussi dans les zones du pays les plus défavorisées sur le plan social et économique ».
Concrètement, ce serait surtout le vin qui serait visé. Alors qu’on peut trouver des bouteilles de vin à moins de 2 euros, jusqu’à 1,70 euros, le prix minimum d’une bouteille passerait à 3,50 euros avec le prix minimum, comme nous l’expliquions dans notre article. L’idée serait d’appliquer un prix de 50 centimes par unité d’alcool, une bouteille contenant sept ou huit unités d’alcool.
« Il n’est pas question ici de s’attaquer à la filière »
Le sujet est transpartisan. Il a même fait l’objet d’une conférence de presse commune, la semaine dernière. Deux autres amendements identiques ont ainsi été déposés, l’un par le sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine, Xavier Iacovelli (qui n’a cependant pas défendu son amendement), l’autre par la sénatrice du groupe RDSE, Véronique Guillotin. Cette dernière a rappelé que la consommation excessive d’alcool « est un fléau de santé publique. C’est 42.000 morts par an, de décès directs, 3 milliards d’euros pour le coût pour les finances publiques, et si on ajoute le coût social, c’est 102 milliards d’euros par an ».
La sénatrice de Meurthe-et-Moselle souligne au passage que le prix minimum vise « les très gros consommateurs d’alcool » et « qu’il n’est pas question ici de s’attaquer à la filière », « cela permet de préserver les secteurs, en comparaison d’une augmentation des taxes ».
« Le plus difficile, c’est de regarder à partir de combien de degrés est-ce qu’une boisson est alcoolisée. Au-dessus de 0 degré ou un certain nombre de degrés ? »
Mais le rapporteur, le ministre, comme une partie des sénateurs, n’ont pas bu de ce breuvage. « Vous n’emportez pas ma conviction sur des prix administrés sur les alcools. Le plus difficile, c’est de regarder à partir de combien de degrés est-ce qu’une boisson est alcoolisée. Au-dessus de 0 degré ou un certain nombre de degrés ? » a interrogé le rapporteur général de la commission des finances, le sénateur LR Jean-François Husson. Il a plutôt appelé à « un plan » plus large du gouvernement « avec des études d’impact ». Bref, « le sujet mérite d’être travaillé ».
Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, s’est opposé aussi à l’amendement. « On ferait rentrer le vin, les spiritueux, la bière dans le monde des prix réglementés, où on arrêterait les prix. C’est un dispositif, tenté dans d’autres domaines, qui fonctionne très mal », pointe celui qui était par ailleurs, avant d’être ministre, député de Gironde, l’une des principales régions viticoles française. Et de demander : « Au profit de qui se fera un prix minimum ? Du vendeur, du producteur ou du distributeur. On est dans une situation paradoxale où on va réduire les recettes de la Sécu (par la baisse de 0,1 % du droit d’accise prévu par l’amendement, ndlr), et augmenter les recettes des producteurs et distributeurs. Je pense que ce n’est pas l’objectif, mais c’est automatique », par la hausse des prix, relève Thomas Cazenave. Le ministre des Comptes publics pointe une autre limite :
« Depuis le début, je considère que la fiscalité n’est pas le bon levier » sur le sujet, ajoute encore le ministre, qui préfère « la réglementation, la prévention ». Et de conclure : « On touche du doigt les limites de la fiscalité comportementale ».
« Le surcroit de valeur ne va pas forcément être au bénéfice du vigneron »
Franck Montaugé, sénateur PS du Gers, a également pris la parole pour dénoncer l’idée du prix minimum. Regrettant que « les filières viticoles n’ont pas du tout été associées, de près ou de loin », il craint que le « surcroit de valeur ne va pas forcément être au bénéfice du vigneron, du viticulteur » mais plutôt « de la grande distribution ».
Denis Bouad, sénateur PS du Gard, est venu prêter main forte à son collègue. « Cet amendement consiste à faire payer plus cher un litre de vin à ceux qui sont les plus démunis », s’est étonné le socialiste, qui s’inquiète surtout pour les producteurs. Il souligne que « la baisse de la consommation, au cours de cette année écoulée, est de 14% sur le vin rouge ». « 5.000 viticulteurs ont manifesté à Narbonne la semaine dernière. Certains se suicident » ou font « face aux aléas climatiques », « et là, on ferait croire qu’en faisant passer la bouteille de 1,89 euros à 3,50 euros, on soignerait le problème », pointe Denis Bouad, qui alerte :
« 90% des vins vendus en France, et tous ceux à la carte du restaurant du Sénat, y échapperont »
« On ouvre le débat aujourd’hui », a tenté de répondre face à ces oppositions Véronique Guillotin, qui était sur la liste de Jean-François Husson aux sénatoriales. « Bien sûr que ça relève d’une étude d’impact », a ajouté Bernard Jomier, qui « propose qu’on demande au gouvernement un rapport sur cette question » pour faire le point.
Soulignant que le sujet est remonté au niveau des instances européennes, quand l’Ecosse l’a lancée, le sénateur du groupe PS soutient que « le prix minimum, ce n’est pas une économie administrée, réglementée. C’est une toute petite partie des produits qui y sera soumise, 90% des vins vendus en France, et tous ceux à la carte du restaurant du Sénat, y échapperont ». Un argument qui n’aura pas suffi. Les amendements ont été rejetés.
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