C’est un texte très attendu par la majorité sénatoriale. Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales est examiné depuis hier dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg. Le sujet de la fraude sociale est familier aux sénateurs de droite et du centre, qui réclament un texte sur le sujet depuis longtemps.
« C’est un texte très opérationnel »
Le texte prévoit un ensemble de mesures pour lutter à la fois contre les fraudes aux taxes et impôts, mais surtout contre la fraude sociale, c’est-à-dire aux prestations sociales (maladie, RSA, chômage) et aux cotisations. Ainsi, le partage de documents entre opérateurs comme la direction générale des finances publiques et les caisses d’allocation (maladie, famille), est facilité ; un devoir de vigilance sur le travail dissimulé dans les sous-traitances en cascade est instauré. « C’est un texte très opérationnel », affirme, satisfaite, la rapporteure LR du texte, Frédérique Puissat. Elle espère, avec l’application des mesures qu’il contient, un retour de « l’ordre d’1,5 milliards d’euros en recettes ». Le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS) chiffre le manque à gagner issu de la fraude sociale à 13 milliards d’euros, sur lesquels seuls 2,9 milliards seulement seraient identifiés par les organismes de Sécurité sociale.
Au Sénat, l’ajout de mesures qui font débat
Le texte tel que modifié par la commission des affaires sociales du Sénat contient des dispositions qui renforcent les moyens de lutte contre la fraude sociale et qui font polémique dans les rangs de la gauche. En effet, les sénateurs de droite et du centre ont ajouté plusieurs nouveaux articles : la possibilité de suspendre le tiers payant pour les assurés fraudeurs, l’autorisation pour France Travail et les organismes de Sécurité sociale d’avoir accès à des données sensibles (données des compagnies aériennes, des opérateurs téléphoniques), la possibilité pour France Travail de suspendre pendant trois mois maximum le versement de prestations en cas d’ « indices sérieux » de fraude, et pour les organismes de Sécurité sociale, pendant deux mois, des prestations sociales.
Des mesures que la rapporteure juge fondamentales : « On donne [les moyens aux administrations de lutter contre la fraude sociale] : partage de fichiers, possibilité d’aller les consulter, utilisation des adresses IP pour voir d’où proviennent les mails. On a répondu aux administrations avec le souci de brasser large ».
« On voit bien que dans nos débats, la fraude sociale prend le pas »
Un argumentaire que rejette en bloc la gauche de l’hémicycle. « La fraude sociale ne représente que 2 à 3 milliards d’euros par an selon la Cour des comptes, alors que la fraude fiscale dépasse les 100 milliards d’euros ! Concentrer 100 % de la rigueur sur 3 % du problème : voilà le cœur du déséquilibre », a déploré la sénatrice communiste Silvana Silvani, lors de la discussion générale. « Nous aurions aimé voter ce texte – la fraude est intolérable, et récupérer cet argent permettrait de supprimer les franchises médicales sur les médicaments, par exemple – mais la commission l’a dénaturé. Fidèle à ses vieilles lunes, la majorité sénatoriale l’a fait pencher vers une stigmatisation des plus précaires », a regretté le sénateur socialiste du Finistère Jean-Luc Fichet. Au micro de Public Sénat, il explique : « On voit bien que dans nos débats, la fraude sociale prend le pas, alors qu’elle ne représente que 15 milliards d’euros. Par rapport à ce qu’est la fraude fiscale, 80 à 90 milliards, c’est extrêmement lourd ». « C’est peu, oui, mais c’est une fraude, et toute fraude est à combattre », leur répond Frédérique Puissat.
« On ne s’attaque pas à la fraude sociale dans ce pays, […] parce qu’on a le sentiment qu’on va aller toucher les petites gens »
Avec ces mesures, la gauche accuse la majorité sénatoriale de cibler les plus précaires et d’instaurer un « flicage » des bénéficiaires des prestations sociales. « Il est plus facile pour la majorité sénatoriale de mettre le focus sur les bénéficiaires du RSA et les fraudeurs de France Travail, plutôt que de regarder la fraude organisée par les entreprises, les professionnels les indépendants », affirme Jean-Luc Fichet. Frédérique Puissat rejette ces critiques, qu’elle qualifie de « misérabilistes ». « On ne s’attaque pas à la fraude sociale dans ce pays, parce qu’on considère qu’elle ne pèse pas beaucoup et parce qu’on a le sentiment qu’on va aller toucher les petites gens », justifie-t-elle, « peut-être qu’on va toucher les allocataires du RSA, mais on va aussi toucher le chef d’entreprise, la personne qui a fraudé sur le travail illicite. On a embrassé tout le champ, du plus petit au plus grand, et c’est normal. L’acceptabilité de l’impôt passe aussi par les outils nécessaires pour lutter contre la fraude fiscale et sociale ».
Les articles décriés seront examinés à la fin du texte, ce jeudi soir. Au Sénat, ils ont une grande chance de passer.
Mise à jour 17h22 : Les articles 27, 28 et 29 du projet de loi ont été adoptés par les sénateurs. Ils ont tous les trois été ajoutés par la commission des affaires sociales du Sénat. L’article 27 permet à France Travail de saisir directement les sommes indues auprès de tiers débiteurs des bénéficiaires fraudeurs. Il permet aussi de suspendre le versement des allocations chômage à venir en cas d’indus liés à des fraudes. L’article 28 donne accès à France Travail et aux organismes de Sécurité sociale à des données sensibles (registres des compagnies aériennes, données de connexion auprès des opérateurs téléphoniques) et permet à l’organisme de suspendre pour trois mois maximum le versement des allocations chômage en cas d’ « indices sérieux » de fraude. L’article 29 rend possible pour deux mois maximum la suspension du versement des prestations sociales en cas d’ « indices sérieux » de fraude.
Images de Fabien Recker