Weekly Cabinet Meeting, Paris, France – 15 Nov 2023

Projet de loi contre les dérives sectaires : le Sénat épingle la copie du gouvernement

La commission des lois du Sénat a adopté le projet de loi porté par la secrétaire d’Etat Sabrina Agresti-Roubache contre les dérives sectaires, après l’avoir très largement modifié, estimant peu efficaces les dispositifs de lutte proposés par le gouvernement, notamment la création de deux nouvelles infractions. Ce texte arrivera dans l’hémicycle la semaine prochaine.
Romain David

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Peut mieux faire. Le Sénat examinera mardi 19 décembre, en séance publique, le projet de loi « visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires ». Un texte dont le parcours législatif débute en première lecture au Palais du Luxembourg, mais qui a déjà été largement vidé de sa substance lors de son passage devant la commission sénatoriale des lois, le 13 décembre. Les élus, tout en considérant comme « louables » les objectifs affichés par le gouvernement, dénoncent la rédaction trop globale de ce texte, qui risque d’alimenter de nombreux effets de bords, voire de porter atteinte à certaines libertés fondamentales. « Le gouvernement a fait le choix de proposer des solutions juridiquement fragiles aux victimes, sans que la nécessité de légiférer soit avérée ou en proposant des mesures de portée générale, au risque de déstabiliser tout l’arsenal pénal existant », tacle la commission dans un communiqué de presse.

Ce projet de loi se veut une réponse à l’augmentation du nombre de signalements depuis la crise du covid-19. Selon le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui concerne l’année 2021, celles-ci ont bondi de 33,6 % par rapport à 2020 pour atteindre 4 020 signalements. « Contrairement à un certain nombre d’idées reçues, la vivacité du phénomène sectaire, son ampleur et sa dangerosité, attestent du franchissement d’un nouveau seuil. La crise sanitaire a constitué un catalyseur à travers une prolifération de nouveaux acteurs, plus discrets, maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères, la recherche de solutions simples face à des questionnements existentiels, par définition complexes », écrit Christian Gravel, le président de la Miviludes.

Le projet de loi, initialement divisé en sept articles, prévoit la création de deux nouveaux délits, – finalement supprimés par la commission des lois au Sénat-, pour mieux lutter contre les dérives sectaires, mais aussi une meilleure formation des acteurs judiciaires. Il accorde également davantage de poids aux associations de défense des victimes, qui pourront se constituer plus facilement partie civile.

Problèmes rédactionnels

L’article 1er du texte présenté par l’exécutif crée dans le Code pénal un nouveau délit de placement ou de maintien en état « de sujétion psychologique ou physique ». Pour le gouvernement, il s’agit de pallier les manques de la législation actuelle, le délit d’abus de faiblesse ne permettant pas de distinguer spécifiquement le phénomène sectaire d’autres formes de manipulation, comme le démarchage téléphonique à des fins d’arnaque. En commission, cet article a été supprimé à l’initiative de la rapporteure Lauriane Josende, sénatrice LR des Pyrénées-Orientales, qui a considéré que sa formulation amenait à potentiellement « sanctionner tout type d’emprise de manière générique, quelle qu’en soit l’origine ». Ce qui pourrait s’avérer problématique dans certaines situations, notamment les cas de violences faites aux femmes ou de violences intrafamiliales, dans la mesure où les sanctions prévues dans le projet de loi sont moins sévères que celles qui existent déjà.

Dans la foulée, l’article 2, établissant une circonstance aggravante « d’abus de vulnérabilité » pour certaines infractions, a lui aussi été supprimé.

L’article 4 a également fait les frais de l’élagage sénatorial, car jugé « attentatoire aux libertés sans garantie d’une grande efficacité contre l’essor du discours en faveur des dérives sectaires ». Il prévoyait la création d’un délit de « provocation à l’abandon d’un traitement médical ». Cette disposition visait un phénomène mis en lumière pendant la pandémie : le développement des pratiques de soins non conventionnelles, contre lesquels d’ailleurs, l’Ordre des médecins a tiré la sonnette d’alarme dans un rapport publié en juin dernier.

Le Conseil d’Etat avait déjà émis un premier avertissement sur cette partie du texte, estimant d’une part que les faits ciblés étaient déjà couverts par la répression de l’exercice illégal de la médecine. D’autre part que le projet de loi risquait de porter atteinte à la liberté d’expression en sanctionnant des propos généraux pouvant être tenus sur un blog ou sur les réseaux sociaux.

Un calendrier trop serré

« Nous sommes en plein dans l’effet d’annonce », regrette Lauriane Josende. « Evidemment, le Sénat a à cœur de lutter contre les dérives sectaires mais les infractions crées par ce projet de loi n’apportent rien à l’arsenal juridique, et pourraient même avoir des conséquences néfastes. Le gouvernement a clairement sous-estimé la difficulté pénale de ce sujet. Tout cela demande un véritable travail d’orfèvre, en particulier lorsqu’il s’agit de prendre en compte l’impact du numérique et des nouveaux moyens de communication », explique l’élue.

En 2013, l’ancien sénateur et ministre Jacques Mézard avait produit un volumineux rapport de 300 pages sur « l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé », formulant 41 propositions sur le sujet. Au Palais du Luxembourg, on n’a assez peu goûté de constater qu’aucune de ses recommandations n’avait été retenue par le gouvernement.

« Le problème de ce projet de loi, c’est que le législateur ne donne aucune définition de la ‘dérive sectaire’, mais prétend pourtant la distinguer des autres types d’infraction dans le Code pénal », pointe auprès de Public Sénat Nathalie Delattre, sénatrice RDSE de Gironde. « Nous n’avons pas eu d’autre choix que d’opter pour une solution de facilité en supprimant les articles problématiques. Le Sénat n’a ni le temps ni les moyens de les réécrire », explique la vice-présidente de la commission des lois, qui dénonce le calendrier retenu par l’exécutif, avec une inscription à l’ordre du jour moins d’une semaine avant la coupure de Noël. « On a l’impression que l’exécutif essaye de faire ça en catimini. Nous sortons des discussions budgétaires, avec encore un grand nombre de textes à voir, un sujet aussi majeur que les dérives sectaires, car nous parlons de la vie des gens, aurait mérité d’attendre janvier. L’article 4 aurait dû être aménagé ».

Outre la suppression des infractions proposées, le Sénat a néanmoins apporté quelques ajouts au texte. La Haute assemblée souhaite conférer un statut législatif à la Miviludes. Elle entend renforcer les peines prévues pour les abus de faiblesse commis par l’entremise d’un service de « communication en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique », manière de viser les gourous 2.0 qui utilisent des plateformes comme Youtube pour élargir leur cible. Le Sénat souhaite également allonger les délais de prescription applicable aux mineurs victimes d’abus de faiblesse.

L’exécutif, de son côté, pourra toujours proposer en séance une nouvelle copie, en présentant des amendements de réécriture. « Ils sont en train d’y réfléchir mais ça n’est pas simple », confie Lauriane Josende. Ce texte, initialement porté par Sonia Backes, ex-secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté, battue aux dernières sénatoriales, sera finalement défendu au banc des ministres par sa successeure Sabrina Agresti-Roubache.

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