« Au nom du droit inaliénable à l’autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d’un État ». C’est par ces mots que le sénateur socialiste Gilbert Roger, auteur de la résolution pour la reconnaissance de l’État de Palestine, avait tenté de convaincre ses collègues de voter son texte. Devant un hémicycle divisé sur la question de la reconnaissance de la Palestine, il s’était battu pour l’adoption de cette résolution, jugeant qu’elle pouvait faire bouger les lignes car « la voix de la France, pays fondateur de l’Union européenne, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et ami des peuples israélien et palestinien, compte sur la scène internationale ». Après plus de deux heures de débat, elle avait été adoptée de justesse, avec 153 voix pour et 146 voix contre.
Déjà un contexte de guerre dans la bande de Gaza
Cette résolution, déposée à la fin de l’année 2014 par les groupes de gauche du Sénat, s’inscrivait déjà dans un contexte de guerre entre des groupes islamistes palestiniens et l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Après des tirs de roquettes du Hamas sur le territoire israélien, Tsahal avait lancé le 8 juillet 2014 l’opération « Bordure protectrice ». En un mois et demi, l’armée israélienne avait tué 2 200 Palestiniens. On dénombrait 72 morts côté israélien, dont 66 soldats.
En 2009 et en 2012, d’autres guerres de ce type avaient eu lieu dans la bande de Gaza, avec les mêmes belligérants. Entre le 27 décembre 2008 et le 21 janvier 2009, 1 300 Palestiniens et 13 Israéliens avaient trouvé la mort dans l’enclave dans le cadre de l’opération « Plomb durci ». L’opération « Pilier de défense » de novembre 2012 avait quant à elle causé la mort de 177 Palestiniens et de 6 Israéliens.
Cette résolution de la gauche sénatoriale s’inscrivait aussi dans un contexte européen de réflexion autour de la reconnaissance de la Palestine. Symbole de ce moment, la Suède avait été le premier État membre de l’Union européenne à reconnaître un État de Palestine, le 30 octobre 2014.
La majorité sénatoriale très majoritairement opposée à la résolution
Opposé à la résolution, le sénateur UMP Christian Cambon avait rappelé à la tribune que la reconnaissance d’un État relève uniquement de la compétence de l’exécutif. Il avait alors lancé : « Reconnaître un État de façon symbolique n’est pas reconnaître un État à part entière, c’est parler d’un ‘État de papier’ (…) Les Palestiniens méritent mieux qu’une reconnaissance de ‘papier’ ». En s’adressant aux groupes de gauche, il avait déclaré : « Votre résolution donne un signal très clair en direction des Palestiniens, qu’elle exonère de toute condition. Elle donne un signal tout aussi clair en direction d’Israël, qu’elle contribue de fait à isoler dans son refus de reconnaître la Palestine ».
Le sénateur centriste Hervé Marseille avait ensuite pris la parole à la tribune pour son groupe. Il avait alors fustigé « un texte de circonstance, un texte déséquilibré, un texte qui n’a pas sa place ici ». Il était allé jusqu’à considérer que cette résolution avait « des relents d’électoralisme » et que les auteurs du texte cherchaient « à s’attirer à moindres frais les bonnes grâces de communautés », provoquant de vives contestations du côté gauche de l’hémicycle. Sur le fond, il avait rappelé : « 135 pays ont déjà reconnu l’État de Palestine. Or cela ne nous a pas rapproché d’un iota de la résolution du conflit ». Il avait aussi reproché à la résolution qu’elle « ne mentionne ni la place du Hamas ni sa charte, qui prévoit la destruction d’Israël ».
Le sénateur UMP Roger Karoutchi avait conclu les prises de parole de la majorité sénatoriale en martelant que « le gouvernement, et lui seul, doit avoir la main en matière de diplomatie et d’affaires étrangères ». Il avait ensuite rappelé son attachement à la solution à deux États : « Pour ma part, je suis pour l’existence de deux États. Mais encore faut-il qu’il s’agisse d’États dotés d’un gouvernement ayant une véritable autorité sur l’ensemble du territoire concerné. Aujourd’hui, je le rappelle, nous avons une organisation terroriste, le Hamas, qui envoie des missiles sur Israël ! Cela n’invalide pas tout ce qui a été dit. Oui, les morts, des deux côtés, sont de véritables drames ! On ne peut qu’appeler à la paix ! Mais, pour faire la paix, il faut être deux ! ».
Il y eut toutefois dans ce débat des divergences au sein du groupe centriste. Ainsi, le sénateur Aymeri de Montesquiou avait annoncé à la tribune son intention de voter pour cette résolution avec certains collègues : « Nous voterons pour la résolution tout en regrettant que, pour quelques raisons sémantiques dérisoires rapportées à l’importance de ce conflit meurtrier, le Sénat n’ait pu trouver une résolution commune surpassant les clivages politiques (…) Cette proposition de résolution, certes imparfaite, n’est pas hostile au peuple israélien, qui a droit à une sécurité totale garantie internationalement. Elle exprime le refus de laisser perdurer le statu quo et un geste pour la paix. Nous devons absolument envoyer un signal positif et apaisant aux Palestiniens ».
Ils avaient finalement été sept au groupe centriste à se prononcer en faveur du texte et quatre au groupe UMP, permettant ainsi à la résolution d’être adoptée.
La gauche sénatoriale unanimement favorable à l’adoption de la résolution
Didier Guillaume, alors président du groupe socialiste au Sénat, avait défendu à la tribune cette résolution et s’était ému de l’impuissance des gouvernements successifs sur la question israélo-palestinienne : « Voilà soixante ans que la situation dure. Voilà soixante ans que nous discutons. Voilà soixante ans que la communauté internationale est impuissante ! Alors oui, le vote de cette proposition de résolution équilibrée permettra peut-être de donner un coup d’accélérateur au règlement du conflit ! ».
Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste de l’époque, avait également appelé à voter pour ce texte : « La logique et la raison exigent que la communauté internationale prenne désormais ses responsabilités en exerçant une forte pression politique extérieure auprès des protagonistes pour changer le contexte des négociations et trouver une solution politique (…) Tel est le sens de cette proposition de résolution, qui vise à affirmer que le principal instrument de pression diplomatique consiste en une reconnaissance symbolique, pays par pays, du principe et de la nécessité d’un État palestinien coexistant avec Israël ».
La suite de l’histoire est connue. Malgré l’adoption d’une résolution de reconnaissance à l’Assemblée nationale et au Sénat, le président de la République, François Hollande, et ses gouvernements successifs n’ont pas reconnu l’existence d’un État de Palestine. Ce 24 juillet, Emmanuel Macron a annoncé que la France allait le faire au mois de septembre. Notre pays s’inscrit ainsi dans la lignée de 148 pays membres de l’ONU et de douze États membres de l’Union européenne qui ont déjà reconnu la Palestine.