C’est l’amendement qui fait figure de clef de voûte du texte au Sénat. Les LR et l’Union centriste sont finalement parvenus à un accord autour de la question des régularisations des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, dans le cadre de l’examen du projet de loi immigration. Comme nous l’expliquions hier, les LR ont finalement accepté de faire référence, dans un article du projet de loi, au pouvoir qu’a le préfet de régulariser de manière discrétionnaire – ce que proposait un amendement du président du groupe centriste, Hervé Marseille – à condition de supprimer le désormais célèbre article 3, qui crée un nouveau titre de séjour pour les travailleurs sans papiers des métiers en tension, exigence de Bruno Retailleau et des sénateurs LR.
Un amendement du président du groupe LR prévoyait déjà cette suppression. Mais pour mieux symboliser l’accord, c’est maintenant un amendement des deux corapporteurs, Muriel Jourda (LR) et Philippe Bonnecarrère (UC) qui porte la suppression de l’article 3, ainsi que de l’article 4, qui ouvre l’accès au marché du travail aux demandeurs d’asile.
Durée de travail de 12 mois « consécutifs ou non »
Le « deal » prévoit aussi un « durcissement de la circulaire Valls ». C’est le point essentiel de l’accord. L’amendement a été déposé et a reçu sans surprise, ce mercredi matin, un avis favorable de la commission des lois.
Que dit l’amendement ? « A titre exceptionnel, l’étranger qui a exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement définie à l’article L. 414-13 durant au moins douze mois, consécutifs ou non, au cours des vingt-quatre derniers mois, et occupant un emploi relevant de ces métiers et zones, et qui justifie d’une période de résidence ininterrompue d’au moins trois années en France, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an. Ces conditions ne sont pas opposables à l’autorité administrative ».
Le début du texte de l’amendement est identique en tout point à l’amendement qu’avait déposé Hervé Marseille, à l’exception de la durée de travail exigée, qui passe de 8 à 12 mois, dans l’amendement de compromis, soit un durcissement. En revanche, le texte parle bien de la délivrance d’une carte de séjour, de « régularisation », ce dont ne voulait absolument pas une bonne partie des LR. L’amendement ajoute par ailleurs que « ces conditions ne sont pas opposables à l’autorité administrative », demande, ici, des LR. Chacun y retrouve un peu du sien.
« Intégration à la société française et adhésion à ses modes de vie et à ses valeurs »
Le deuxième alinéa est important, puisque c’est le durcissement de la circulaire, exigé par Bruno Retailleau. Il est écrit : « Dans l’exercice de sa faculté d’appréciation, l’autorité compétente prend en compte, outre la réalité et la nature des activités professionnelles de l’étranger, son insertion sociale et familiale, son respect de l’ordre public, son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci, ainsi qu’aux principes de la République mentionnés à l’article L. 412-7 ».
De quoi encadrer « strictement », comme dit l’exposé des motifs, le processus. « La décision finale relèverait du seul pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne créerait donc pas un droit opposable à la régularisation », ajoute l’exposé.
Critères « pas normatifs » ?
Mais si la délivrance de la carte de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » sera conditionnée à ces critères durcis, l’écriture du texte porte cependant une forme de faiblesse, de ce point de vue. Car parler de « faculté d’appréciation » du préfet « n’est pas normatif », relève avec sagacité un observateur. Autrement dit, l’application de ces critères de durcissement dépendra de l’appréciation, qui porte de fait une part de subjectivité, par l’autorité administrative, du niveau « d’insertion sociale » ou « d’intégration » ou « d’adhésion aux modes de vie ». Ce qui laisse la porte ouverte à un non-durcissement des critères… comme un durcissement, selon les cas. Dans les faits, on peut imaginer que cela ne devrait pas fondamentalement changer les choses, comparé aux régularisations déjà pratiquées. Et ce sont toujours les consignes données par le pouvoir central qui donneront le la, avec une marge d’appréciation ensuite des préfets, au cas par cas.
Mais selon un autre, le durcissement est bien réel. « Le préfet a déjà aujourd’hui une faculté d’appréciation. C’est le droit positif. Demain, on gardera cette faculté, on ne la modifie pas. C’est l’essence même de la régularisation préfectorale. Mais le préfet ne pourra pas s’asseoir sur la vérification que la personne respecte les valeurs de la République ou le mode de vie des standards français, qui est un terme juridique », soutient cet autre observateur, qui ajoute « que selon la circulaire Valls, le préfet fait un peu ce qu’il veut en réalité, alors qu’on ajoute des critères. Donc on contraint le préfet. C’est plus sévère ».
Autre point important : la demande de régularisation pourra émaner « à l’initiative de l’étranger », précise l’exposé des motifs, et ne sera plus à la main de l’employeur, comme actuellement. C’était l’une des principales demandes d’Hervé Marseille. Mais, et c’est ici un ajout des LR, afin d’éviter toute fraude, « l’autorisation de travail peut être accordée (à l’étranger), après vérification auprès de l’employeur de la réalité de l’activité alléguée », dit le texte.
Dispositif limité à la fin 2026
La mesure est aussi limitée dans le temps, puisque le dispositif « ne serait applicable que jusqu’au 31 décembre 2026 ».
A la lecture toujours de l’exposé des motifs, on retrouve encore le fruit du compromis. « Créer un droit d’accès au séjour pour des étrangers en situation irrégulière, fussent-ils des travailleurs dans des métiers en tension, créerait manifestement une prime à la fraude et une nouvelle incitation à l’immigration irrégulière », est-il écrit. Soit le discours des LR. Mais une ligne en dessous, on lit des mots qui pourraient sortir de la bouche des centristes : « La situation de ces travailleurs indispensables à la vitalité de certains secteurs économiques et parfois en situation de quasi-exploitation mérite donc d’être traitée ». Finalement, pour trouver un accord, la majorité sénatoriale a fait un peu de « en même temps »…