Alors que les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie sont au plus haut, la majorité sénatoriale pousse une nouvelle fois l’idée d’une dénonciation de l’accord migratoire conclu entre les deux pays en 1968. Signé six ans après l’indépendance de l’Algérie, cet accord bilatéral offre aux ressortissants algériens une série de dérogations au droit des étrangers, pour faciliter leur venue en France.
Un accord aujourd’hui dénoncé par la majorité sénatoriale de droite et du centre, qui a souhaité mettre le sujet en débat dans l’hémicycle ce 4 mars. « Nous constatons que cet accord entraîne un traitement de faveur pour les Algériens lorsqu’il s’agit de venir en France, mais nous n’avons aucune réciprocité de la part de l’Algérie », pointe la sénatrice LR Muriel Jourda en ouverture des discussions.
Les laissez-passer consulaires au cœur des débats
Avec son collègue centriste Olivier Bitz, la présidente de la commission des lois a d’ailleurs rendu un rapport sur le sujet au début du mois de février, recommandant la dénonciation de l’accord migratoire. « Si nous mettons fin à ces accords, nous ne ferons que rétablir des relations équilibrées entre deux pays qui, me semble-t-il, ne se doivent plus grand-chose », remarque-t-elle.
Au cœur du déséquilibre dénoncé par la majorité sénatoriale, on retrouve la question des laissez-passer consulaires. Sans ce document, les personnes en situation irrégulière sur le territoire français ne peuvent pas être expulsées vers leur pays d’origine. Un blocage qui vire parfois au drame, dénoncent les sénateurs de droite. Le 22 février dernier, à Mulhouse, un homme a perdu la vie dans une attaque au couteau. L’auteur présumé de l’attentat, de nationalité algérienne, frappé d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), se serait vu refuser à 14 reprises le retour en Algérie.
« L’Algérie refuse de reprendre ses ressortissants, alors que ses propres engagements et le droit international imposent qu’elle puisse les reprendre », fustige Muriel Jourda. « À peine 10 % des Algériens expulsables ont été renvoyés de façon coercitive, 43 % des places disponibles en centre de rétention administrative sont occupées par des ressortissants algériens », ajoute sa collègue LR Valérie Boyer.
Moins d’immigration familiale, plus d’immigration qualifiée, des « exigences républicaines renforcées » : le gouvernement évoque des pistes
Le gouvernement, représenté lors des débats par le ministre délégué chargé de l’Europe Benjamin Haddad, a d’abord tenu à rappeler que l’accord de 1968 ne concernait pas l’immigration illégale et n’abordait pas la question des laissez-passer consulaires. « À cet égard, l’Algérie relève pour l’essentiel du droit commun et non d’un accord dérogatoire », a expliqué Benjamin Haddad. Le taux de délivrance de ce document par l’Algérie est d’ailleurs en hausse, s’établissant à 42 % l’an dernier. « Ce chiffre est en augmentation, mais il est insuffisant », estime le ministre.
Concernant l’immigration légale, le gouvernement ouvre la voie à une renégociation de l’accord de 1968. « Il ne correspond pas aux exigences du temps présent, à ce que sont nos intérêts migratoires et nos exigences », juge Benjamin Haddad. Devant les sénateurs, le ministre a évoqué trois pistes de modification. D’abord, il plaide pour un rapprochement des principes de l’accord avec l’application du droit commun, en particulier pour l’immigration familiale. « Cet accord facilite l’immigration familiale, au détriment de l’accueil de talents, d’étudiants ou de professionnels », explique-t-il. En contrepartie, le gouvernement pourrait « introduire des dispositifs attractifs pour les profils les plus dynamiques », d’étudiants ou de travailleurs qualifiés. Enfin, le ministre estime qu’il faudrait renforcer dans l’accord « les exigences républicaines d’intégration en matière linguistique ou civique ».
Devant les sénateurs, Benjamin Haddad ne s’est pas risqué à évoquer l’idée d’une dénonciation pure et simple de l’accord. Pourtant, le 26 février, à l’issue d’un comité interministériel de contrôle de l’immigration, la porte avait bel et bien été ouverte par le Premier ministre. François Bayrou a en effet lancé un ultimatum à Alger, en dressant « une liste d’urgence de personnes qui doivent retourner dans leur pays » et en assurant qu’un refus de l’Algérie entraînerait « une remise en cause de l’accord ».
« Une stratégie délibérée visant à saturer l’espace médiatique autour des enjeux d’immigration »
Des déclarations qui n’ont pas plu à Emmanuel Macron. Dans un entretien au Figaro publié ce 3 mars, il recadre le chef du gouvernement : « L’accord de 1968, c’est le président de la République ». Le chef de l’Etat ajoute qu’une rupture unilatérale de l’accord par la France n’aurait « pas de sens ». Un désaccord que la gauche sénatoriale n’a pas manqué de pointer lors des débats. « Cette cacophonie au sommet de l’Etat est irresponsable. Le mauvais spectacle actuel au sujet de l’Algérie affaibli la voix de la France sur la scène internationale, à un moment où le pays doit peser de tout son poids », fustige la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin.
Membre de la commission des lois, la sénatrice participait à la mission d’information de la chambre haute sur les accords migratoires. Elle avait claqué la porte, avant la remise du rapport, dénonçant un « outil créé de toutes pièces pour valider la campagne de Bruno Retailleau ». Des accusations renouvelées lors du débat dans l’hémicycle, où la sénatrice a accusé le ministre de l’Intérieur de faire pression au sein du gouvernement pour une remise en cause de l’accord de 1968. « Ne laissez pas le ministre de l’Intérieur faire de la relation franco-algérienne la victime de ses obsessions migratoires. Il est anormal qu’un ministre de l’Intérieur mette une telle pression sur le Premier ministre, pour empiéter avec autant de désinvolture sur ce qui est du champ de compétence du président de la République », fustige Corinne Narassiguin.