La revalorisation n’aura pas lieu… enfin pas tout de suite. L’annonce est tombée entre deux déclarations de politique générale : l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation qui devait intervenir au 1er janvier est repoussée de six mois, au 1er juillet. Le gouvernement de Michel Barnier a ainsi décidé de mettre à contribution les retraités dans l’effort de 60 milliards d’euros qu’il prévoit afin de redresser les finances publiques : avec près de 14 millions de personnes concernées, le gouvernement devrait récupérer environ trois milliards d’euros.
Une mesure « injuste »
Une mesure accueillie « fraîchement » par la sénatrice socialiste Monique Lubin. La sénatrice des Landes, spécialiste des questions de retraites au groupe PS, a regretté à la fois la mesure, mais aussi la manière de l’annoncer, par voie de presse. « Ils ne s’en sont pas vantés », glisse-t-elle. Monique Lubin est d’autant plus agacée que l’annonce de ce gel des pensions de retraite intervient après une annonce « pas très honnête sur l’augmentation du SMIC ». Une référence à un tour de passe-passe effectué par Michel Barnier : lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, il a annoncé l’augmentation de 2 % du SMIC pour le mois de novembre. Mais cette hausse n’est pas un coup de pouce supplémentaire, mais une avance de celle prévue par la loi au 1er janvier.
« C’est très injuste », s’emporte la socialiste. « Un certain nombre de retraités ont des petites retraites, ce sont toujours les mêmes qui vont payer. » Elle regrette une mesure qui intervient quelques mois après une revalorisation du minimum contributif, le MICO : « On nous donne l’excuse que l’on vient de revaloriser le MICO. On a donné un peu, et on reprend derrière ? » Pour la sénatrice socialiste, cette annonce revient ni plus ni moins à « baisser les retraites ».
Pointant une autre piste d’économies envisagée par le gouvernement, qui voudrait baisser le taux de remboursement des consultations médicales, elle regrette les coups donnés au modèle social français : « Petit à petit, on grignote la protection sociale, parce que c’est cela aussi, la retraite. » Une annonce également dénoncée par les sénateurs du groupe CRCE dans un communiqué : « La réduction des dépenses publiques consiste donc à réduire les droits et faire payer davantage les assurés sociaux tout en maintenant les 90 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales des entreprises qui grèvent le budget de la Sécurité sociale chaque année. »
Plus une « ligne rouge » pour les LR ?
Le groupe socialiste pourrait déposer un amendement au projet de budget de la sécurité sociale pour tenter de contrer la mesure : « Nous allons en discuter en groupe, mais cela me paraît être le minimum. » « Nous allons nous battre, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusion, quand je vois l’attitude des LR. Ils étaient au moins aussi critiques que nous de la politique d’Emmanuel Macron, et d’un coup, tout semble acceptable », regrette-t-elle.
Car du côté de la majorité sénatoriale, l’annonce ne provoque pas le tollé qu’il aurait pu déclencher il y a encore quelques mois. La nomination du LR Michel Barnier est passée par là… Invité de la matinale de Public Sénat ce jeudi 3 octobre, le sénateur LR Philippe Mouiller a déclaré « comprendre cette position ». Alors qu’il admet lui-même que la question de la revalorisation des retraites constituait pour son groupe une « ligne rouge », il invoque « la situation financière, l’ampleur du déficit » : « On voit bien que tout le monde doit faire un effort, et là, il y a un enjeu de trois milliards sur la table ». « Nous sommes moitié satisfaits, moitié mécontents », résume le sénateur des Deux-Sèvres.
« Un effort doit être fait par tout le monde »
Une position partagée par sa collègue de la commission des Affaires sociales, Pascale Gruny, qui connaît bien les enjeux des pensions de retraite, en tant que rapporteure du budget de la Sécurité sociale pour la branche vieillesse : « Cela ne fait pas plaisir, bien sûr. Mais on ne peut pas constater qu’il y a un tel déficit et que personne ne soit touché », avance-t-elle. « Si nous participons au gouvernement, c’est parce que c’est un gouvernement pour redresser les comptes, et répondre aux exigences de la Commission européenne. Tout le monde va être appelé à faire des efforts, il faut être sérieux », martèle la sénatrice de l’Oise. Elle met toutefois un bémol : que cet effort pour les retraités reste exceptionnel et ne dure que six mois : « Si la durée n’est que de six mois, c’est acceptable, au-delà, non. Mais Michel Barnier est quelqu’un de transparent, il fait ce qu’il dit. »
La rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale au Sénat, Elisabeth Doineau n’a pas été surprise par l’annonce : « Au vu du déficit, je me doutais que chacun allait être mis à contribution », glisse la sénatrice centriste. Cette mesure s’explique aussi selon elle, par le déficit de la branche vieillesse de la Sécurité sociale, que n’a pas réussi à combler la réforme des retraites, « ce qui explique qu’on touche aussi aux retraités ». Pour rappel, ce déficit a atteint près de 5 milliards d’euros en 2024 selon la Cour des comptes.
Comme Elisabeth Doineau le rappelle, la possibilité de sous-indexer les pensions de retraite avait déjà été évoquée au printemps dernier, mais avait été écartée par Emmanuel Macron, le 12 juin dernier. « Repousser la mise en œuvre de cette indexation était nécessaire. Nous n’avons pas le choix, la dette est tellement importante qu’elle ne nous laisse plus de liberté. C’est malheureux, mais un effort doit être fait par tout le monde », regrette-t-elle.
La sénatrice de Mayenne nuance : « Cette annonce ne m’a pas étonnée, mais elle doit être proportionnée. » Elle attend ainsi de voir « l’architecture globale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale » : « Je veux voir quels efforts on demande aux autres populations, dans un esprit de justice sociale ». C’est à ce moment-là, et pas avant répète-t-elle, que la rapporteure prendra sa décision sur la mesure. Réponse le 10 octobre, quand les projets de budget et du budget de la sécurité sociale seront présentés en Conseil des Ministres.