Pour sa dernière audition, la commission d’enquête du Sénat sur les eaux en bouteille a finalement réussi à lever une part d’ombre sur les agissements du groupe Nestlé. Lors de son audition, ce 9 avril, le directeur général du géant de l’agroalimentaire Laurent Freixe s’est montré un peu plus bavard que les dirigeants précédemment entendus.
Un changement d’attitude salué par l’ensemble des sénateurs, qui cherchent à faire la lumière sur le scandale des eaux en bouteille, qui agite Nestlé depuis plus d’un an. Suite à une enquête du Monde et de Radio France, le groupe est accusé d’avoir traité illégalement – avec des filtres à charbon et à UV – ses eaux minérales naturelles.
En août 2021, le groupe a dévoilé de lui-même ces pratiques interdites au gouvernement. Mais, dans ce contexte, il est aussi accusé d’avoir poussé – à coups de lobbying auprès de plusieurs ministères, mais aussi de la présidence de la République – pour une évolution de la réglementation sur la filtration des eaux minérales.
« Ce qui est encore aujourd’hui vendu comme de l’eau minérale naturelle n’en est plus »
Dès son propos liminaire, Laurent Freixe a dévoilé aux sénateurs une information, qui pourrait s’avérer capitale pour l’avenir d’une des marques du groupe Nestlé, Perrier, embouteillée dans une usine du Gard. Pour évaluer la pureté des sources, critère essentiel pour commercialiser de l’eau minérale naturelle, l’Etat avait commandité une étude d’hydrogéologues indépendants.
« Malheureusement, Nestlé Waters vient de prendre connaissance de l’avis défavorable rendu par les hydrogéologues, et de leurs recommandations concernant la poursuite de l’exploitation des puits pour la production d’eau minérale naturelle sur son site de Vergèze, dans le Gard », a révélé Laurent Freixe. Le directeur général de Nestlé affirme « être en désaccord avec certaines des conclusions de ce rapport ». « Je mesure l’inquiétude des équipes concernées, nous sommes tous déçus, mais nous restons déterminés à trouver des solutions », indique-t-il.
Si les conclusions de ce rapport suscitent l’inquiétude du groupe, c’est parce qu’elles pourraient conduire l’ARS Occitanie et le préfet du Gard à interdire la commercialisation d’eau minérale naturelle Perrier issue de ces sources. En effet, pour être étiquetée « eau minérale naturelle », la pureté de l’eau doit être garantie à l’émergence.
« Qu’est-ce que vous dites à vos consommateurs, puisque ce qui est encore aujourd’hui vendu comme de l’eau minérale naturelle n’en est plus, aux yeux des hydrogéologues ? », interroge le sénateur socialiste Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête. « Nous nous préparons à tous les scénarios possibles, dans l’esprit de continuer l’activité », affirme Laurent Freixe. Nestlé pourrait en effet continuer à commercialiser ses bouteilles, en retirant l’appellation « eau minérale naturelle ».
Une enquête interne lancée, pour faire la lumière sur les pratiques du groupe
Les sénateurs de la commission d’enquête se sont étonnés de ces révélations, qui tranchent avec les précédentes auditions du groupe. Les dirigeantes de Nestlé Waters, Muriel Lienau, et Nestlé France, Sophie Dubois, avaient de leur côté assuré « toutes les eaux » de l’entreprise étaient « pures à la source ».
Face aux questions des sénateurs sur l’origine des traitements illégaux mis en place dans les usines du groupe, les deux dirigeantes s’étaient également murées dans le silence. De son côté, Laurent Freixe annonce vouloir diligenter une enquête interne, pour faire la lumière sur ces pratiques. « Toute la focalisation de l’organisation, depuis 2021, a été sur le présent pour préparer le futur. Mais le temps est venu d’apporter de la clarification sur le passé », affirme le directeur général. Les conclusions de cet audit seront partagées « avec les autorités judiciaires », dans le cadre de l’enquête ouverte par le tribunal de Paris contre le groupe pour « tromperie ».