Avis de recherche. Si vous voyez passer un projet de loi, ne le loupez pas. L’espèce se fait rare. Les textes d’origine gouvernementale ont en effet déserté l’hémicycle depuis plusieurs mois pour laisser place essentiellement à des propositions de loi. Les fameuses PPL, qui sont d’origine parlementaire. Ces textes déposés à l’initiative de députés ou de sénateurs sont devenus légions, au grand dam des parlementaires (lire ici).
Les propositions de loi, des textes plus courts, plus simples et plus faciles à adopter
Si la plupart végètent habituellement sur les bureaux des assemblées, les PPL ont pris du galon. La faute, ou plutôt grâce à la situation politique. Depuis la dissolution, le gouvernement n’a qu’une majorité très relative et très instable au Palais Bourbon. Plutôt que de prendre le risque de voir ses textes rejetés par une assemblée transformée en chaudron, un projet de loi d’ampleur concentrant plus facilement les critiques par son origine gouvernementale, la stratégie mise en place par l’exécutif repose sur les propositions de loi : plus courtes, plus simples, plus discrètes donc plus facilement votables.
A ce petit jeu, le Sénat a su tirer profit de la situation. Ou plutôt, le gouvernement sait qu’il peut compter sur la majorité sénatoriale, stable, et surtout alignées globalement avec lui. Les groupes LR et Union centristes forment les deux piliers de la majorité du président LR, Gérard Larcher, auxquels s’ajoutent les autres groupes formant le socle commun, RDPI (Renaissance), Les Indépendants (Horizons) et une partie du RDSE (Radical). « Le club des cinq », comme on l’appelle au Sénat, qui permet, sur plusieurs textes, de donner le « la ». Des PPL issues du Palais du Luxembourg ont ainsi servi de base de discussion, transmise ensuite aux députés. Sûrement habitués à être en temps normal au centre, reléguant un peu vite le Sénat au second rang, ces derniers n’apprécient d’ailleurs pas toujours de travailler surtout sur des textes sénatoriaux pour les sujets importants…
Texte transpartisan sur le narcotrafic
Le gouvernement a par exemple repris à son compte les travaux de la proposition de loi de lutte contre le narcotrafic. Ce texte est particulier, puisqu’il est issu des travaux d’une commission d’enquête sur le sujet, conduite par un sénateur socialiste, Jérôme Durain, et un sénateur LR, Etienne Blanc. Fait rare, la PPL, qui crée notamment un parquet national anticriminalité organisée, a été votée à l’unanimité des bancs du Sénat, puis à une large majorité à l’Assemblée.
PPL Duplomb sur l’agriculture, un texte polémique
Autre texte, beaucoup plus polémique lui, issu du Sénat : la PPL Duplomb sur l’agriculture. Les Français, et sûrement certains députés, ont découvert cette figure bien connue de la Haute assemblée. Sénateur LR de la Haute-Loire et lui-même éleveur, c’est un proche de Laurent Wauquiez. Il suit depuis des années pour le groupe LR les questions agricoles, défendant une ligne proche de la FNSEA. Plus d’un an après la colère des agriculteurs, le texte porte notamment une mesure décriée de réintroduction d’un pesticide néonicotinoïde, l’acétamipride, dont l’usage est interdit en France depuis 2020. Certains agriculteurs, comme les betteraviers, le demande, faute de solution de remplacement. Très toxique pour les abeilles, la substance est décriée par les défenseurs de l’environnement pour ses conséquences sur la santé. Son examen à l’Assemblée s’est aussi fait remarquer par l’adoption d’une motion de procédure, visant à rejeter rapidement le texte pour éviter le grand nombre d’amendements de la gauche, et envoyer directement le texte en commission mixte paritaire.
PPL Gremillet sur la relance du nucléaire et le sujet sensible des renouvelables
C’est encore un sénateur qui a vu son nom sortir des murs du Palais du Luxembourg, avec la PPL Gremillet. Le texte du sénateur LR des Vosges, Daniel Gremillet, porte la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui était attendue depuis longtemps, basée sur une relance du nucléaire mais aussi toujours un mix avec les énergies renouvelables. Le texte a fait l’objet de désaccords entre députés LR, qui avaient fait adopter, avec l’aide du RN, un moratoire sur les renouvelables, et sénateurs LR, qui s’y sont opposés, alors que le patron des LR, Bruno Retailleau, avait signé une tribune demandant la suppression de leurs subventions…
PPL Lafon sur l’audiovisuel public, porté par Rachida Dati
Le gouvernement s’est de nouveau appuyé sur une proposition de loi sénatoriale pour porter la réforme de l’audiovisuel public, dans les cartons depuis plusieurs années. Et c’est la médiatique Rachida Dati, ministre de la Culture, qui a soutenu de tout son poids la PPL de Laurent Lafon, président UDI de la commission de la culture. Car là encore, le terrain est miné. Le texte, qui crée une holding rassemblant France Télévisions, Radio France et l’INA, est toujours en cours d’examen au Parlement. Après avoir été adopté d’abord par le Sénat en juin 2023, le gouvernement a soutenu d’emblée, le 30 juin dernier, une motion de rejet à l’Assemblée. Des débats écourtés pour contourner l’obstruction et gagner du temps. Rachida Dati a ensuite réussi à obtenir de François Bayrou que sa réforme fasse son retour au plus vite, en seconde lecture, à la Chambre Haute. L’examen a été particulièrement tendu… La PPL doit maintenant repasser devant les députés, avant une éventuelle commission mixte paritaire.
Texte de Jacqueline Eustache Brinio pour allonger la durée maximale en centre de rétention à 210 jours
D’autres textes, moins médiatiques, sont aussi venus du Sénat, et ont été adoptés avec le soutien du gouvernement. On peut citer la proposition de loi de la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio sur l’allongement de la durée maximale en centre de rétention administratif pour les étrangers sans papier, de 90 à 210 jours. Ce n’est pas un hasard si ce texte a été porté par une proche de Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur n’a pas obtenu son grand texte sur l’immigration. Trop risqué. La technique du « saucissonnage » des sujets, via des textes limités et plus précis, comme celui-ci, est plus aisée. Le recours aux décrets permet ensuite de compléter. Sur l’immigration, il y a aussi la PPL de Valérie Boyer pour durcir l’accès aux prestations sociales pour les étrangers, sujet porté depuis longtemps par la droite sénatoriale et Bruno Retailleau, quand il présidait le groupe. Mais le gouvernement ne s’est ici pas mouillé, n’émettant pas d’avis favorable ou défavorable.
PPL Folliot pour relancer le chantier de l’A69
Citons encore la proposition de loi des sénateurs centristes du Tarn, Philippe Folliot et Marie-Elise Housseau, visant à relancer le chantier controversé de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, suspendu en février par une décision de justice administrative. Le texte, soutenu par le ministre des Transports et ex-sénateur LR, Philippe Tabarot, est critiqué par les écologistes qui remettent en cause sa constitutionnalité. La PPL a fait l’objet d’un accord en CMP mais n’est pas encore définitivement adoptée.
PPL Mouiller pour améliorer l’accès aux soins
Le 14 mai, les sénateurs ont adopté la PPL Mouiller, du nom du président LR de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires et lutter contre les déserts médicaux. Soutenu par le gouvernement, le texte a été transmis aux députés, qui ont déjà adopté de leur côté la PPL Garot, plus restrictive.
Texte pour permettre aux boulangers de travailler le 1er mai
Le 3 juillet dernier, c’est un texte, là encore soutenu par le gouvernement que le Sénat a adopté : la proposition de loi de la sénatrice centriste Annick Billon et d’Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, qui permet aux boulangers et fleuristes de travailler le 1er mai. Le texte a été transmis à l’Assemblée nationale.
PPL sur l’assouplissement de la loi « zéro artificialisation nette »
Sans oublier la PPL de Guislain Cambier (Union centriste) et de Jean-Baptiste Blanc (LR) sur l’assouplissement de la loi « zéro artificialisation nette » (ZAN), visant à lutter contre l’artificialisation des sols. Si le gouvernement n’a pas suivi tous les points du texte, il a cependant décidé de la procédure accélérée pour limiter les navettes entre les deux chambres. Le texte a été transmis au Palais Bourbon. Les navettes en cours sont encore nombreuses.