Les deux chambres du Parlement n’ont pas encore fait leur rentrée qu’elles s’attendent déjà à un nouveau coup d’arrêt. Les maigres chances de succès du vote de confiance auquel François Bayrou entend soumettre son gouvernement, le 8 septembre, placent les élus dans l’expectative et menacent un calendrier parlementaire qui s’annonçait particulièrement chargé en cette fin d’année. Quand d’aucuns évoquent une nouvelle dissolution, la fragmentation politique laisse entrevoir une période plus ou moins longue d’incertitudes après la chute probable du Premier ministre.
Alors que la session extraordinaire de rentrée du Parlement devait s’ouvrir le 23 septembre, les tractations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement, si elles se poursuivent au-delà de cette date, mettront automatiquement en pause les travaux législatifs. En effet, les élus ne peuvent pas légiférer sans la présence des ministres au banc. La France a déjà connu une situation similaire il y a un peu plus d’un an, entre la démission effective du gouvernement de Gabriel Attal, le 16 juillet 2024, et l’annonce de la composition du gouvernement de Michel Barnier, le 21 septembre suivant. Soit une période de flottement de 67 jours, un record sous la Ve République.
La procédure législative suspendue en plein vol
La poursuite de l’examen des textes sur lesquels les élus ont commencé à plancher avant la pause estivale sera ainsi reportée de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois. Parmi eux : la réforme controversée de l’audiovisuel public, pour laquelle la ministre de la Culture Rachida Dati espérait une adoption rapide ; la proposition de loi qui permet le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, qui doivent théoriquement se tenir en novembre prochain en l’absence de consensus sur la composition du corps électoral ; ou encore un texte des Républicains sur la programmation énergétique du pays à l’horizon 2030. Sans compter, bien sûr le casse-tête du budget et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
À moins que le prochain gouvernement, dans l’hypothèse d’un changement radical de ligne politique, ne décide de retirer du calendrier parlementaire les projets de loi qui ne lui conviennent plus. Là aussi, la situation s’est déjà produite en 2024. Mis en suspens par la dissolution, dans la foulée de son adoption par l’Assemblée nationale, le projet de loi sur la fin de vie a finalement été scindé en deux parties distinctes, suivant la volonté de François Bayrou. À la demande du gouvernement, les députés de la majorité ont déposé en mars dernier deux nouvelles propositions de loi, l’une sur les soins palliatifs, l’autre sur un droit à l’aide à mourir. Elles ont été adoptées en première lecture par l’Assemblée nationale le 27 mai, et leur examen en séance publique au Sénat doit débuter le 7 octobre. À moins d’un nouveau chambardement gouvernemental. Auquel cas, la réforme de la fin de vie, annoncée comme l’un des grands textes sociétaux du second quinquennat d’Emmanuel Macron, aura été l’une des plus malmenées par la crise politique issue de la dissolution.
Un panel de textes sécuritaires
Mais au-delà des textes déjà entrés dans le processus législatif, ce sont aussi les promesses de réformes du gouvernement Bayrou qui se voient hypothéquer sur l’avenir très incertain du chef du gouvernement. Au premier rang desquels un projet de loi sur la lutte contre « l’entrisme » islamiste, faisant suite à un rapport consacré aux Frères musulmans. Emmanuel Macron espérait un texte d’ici la fin de l’été pour une entrée en application avant 2026. Rien n’est moins sûr à présent. Après avoir demandé aux ministres concernés de revoir leur copie, le chef de l’Etat a évoqué des mesures pour mieux frapper les structures concernées au portefeuille, et un élargissement des possibilités de dissolution administrative.
Le 8 août, Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, a réagi à la censure par le Conseil constitutionnel de la loi qui allonge la durée de rétention des étrangers jugés dangereux en annonçant « un texte modifié ». Avant le coup de ciseau des Sages de la rue Montpensier, la loi prévoyait de faire passer de 90 à 210 jours la durée de maintien en centre de rétention administrative des étrangers condamnés pour des faits graves ou présentant pour l’ordre public une menace d’une « particulière gravité ». Le ministre avait fait de ce dispositif l’un des porte-étendards de sa politique la lutte contre l’immigration.
Toujours sur le volet sécuritaire, François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, a annoncé dans un entretien au Parisien, début juillet, un projet de loi pour étendre les compétences des policiers municipaux face au trafic de drogue. Dans la foulée des travaux menés sur le sujet par la droite sénatoriale, et après l’adoption d’un premier texte de lutte contre le narcotrafic fin avril, le gouvernement entend notamment permettre aux agents municipaux d’inspecter les véhicules et d’avoir accès à certaines images de vidéoprotection ou fichiers de police. La réforme devait être présentée en Conseil des ministres en septembre.
Simplification de la procédure pénale
La réforme de la justice pénale défendue par Gérald Darmanin pourrait également faire les frais du départ de François Bayrou. Le garde des Sceaux a présenté fin juillet les grandes orientations de son texte, qu’il a voulu court en l’absence de majorité (seulement une dizaine d’articles). « La ligne de conduite, c’est la simplification, l’individualisation des peines et la totale liberté des magistrats de fixer le quantum des peines », a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse.
Il entend supprimer l’aménagement obligatoire de certaines peines de prison, tandis que les peines de moins d’un mois seront rétablies. Le projet de réforme limite aussi le recours au sursis. Afin de réduire les délais d’attente, la procédure de plaider-coupable est étendue à certains crimes lorsque l’auteur reconnaît les faits, tandis que la multiplication des cours criminelles départementales doit permettre de désengorger les cours d’assises.
Les réformes économiques
Pilier du plan d’économies du gouvernement dans un contexte de forte pression budgétaire : le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Mi-juillet, François Bayrou promettait encore un dépôt du texte au Parlement cet automne, pour un examen entre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et le projet de loi de finances 2026.
Selon le média Contexte, la première mouture du texte s’attaque largement à la fraude sociale, avec des mesures contre le travail dissimulé, la fraude aux cotisations sociales et à la formation professionnelle, tandis que le volet fiscal s’incarne essentiellement dans un renforcement des pouvoirs de contrôle et des sanctions. Avec ce projet de loi, le gouvernement espère ramener dans les caisses de l’Etat 2,3 milliards d’euros, soit 5 % du volume global d’économies visé l’année prochaine.
Autre texte économique particulièrement attendu : le projet de loi contre la vie chère dans les Outre-mer. Ce texte porté par Manuel Valls, qui vise à rapprocher le coût des produits vendus sur place de ceux commercialisés dans l’hexagone, a bien été déposé au Sénat en première lecture le 30 juillet, pour un examen dans l’hémicycle prévu les 29 et 30 septembre. Il autorise la vente à perte de certains articles et permet au gouvernement d’adapter par ordonnance le calcul des frais de transport des produits de première nécessité. La grande distribution ne pourra plus appliquer des conditions générales de ventes différentes pour un même produit, selon qu’il soit vendu en France métropolitaine ou en Outre-mer. Par ailleurs, différentes mesures visent à favoriser les productions locales et l’accès des entreprises ultramarines aux marchés publics.
Une « refondation » de l’Aide sociale à l’enfance
Réagissant à un rapport de l’Assemblée nationale sur la « crise d’attractivité majeure » du secteur de la protection de l’enfance, Catherine Vautrin, la Ministre de la Santé, du Travail et des Solidarités, annonçait le 5 juin une « refondation » de l’Aide sociale à l’enfance. Pour étendre le nombre d’assistants familiaux, la ministre veut permettre le cumul « d’un emploi et l’accueil d’un enfant ». Il est également question d’une série d’expérimentations dans plusieurs départements sur les modalités de placement, alors que les structures arrivent à saturation.
Si François Bayrou échoue à obtenir la confiance des députés, le maintien en l’état de ces différentes pistes de réforme dépendra de la nature du bloc gouvernemental que parviendra à constituer le prochain locataire de Matignon.