Cheval de bataille de la majorité sénatoriale, le principe du zéro artificialisation nette (ZAN) va être rediscuté par la chambre haute à partir de ce 12 mars. Une proposition de loi du sénateur centriste Guislain Cambier et du sénateur Les Républicains Jean-Baptiste Blanc envisage d’assouplir cet objectif, jugé trop contraignant pour les collectivités.
Introduit en 2021 avec la loi Climat et résilience, le ZAN oblige à compenser toute construction par la renaturation d’un espace équivalent, pour freiner l’étalement urbain. Si cet objectif ambitieux doit s’appliquer à l’horizon 2050, l’artificialisation des sols doit déjà être divisée par deux d’ici 2031. C’est précisément cette échéance que les sénateurs souhaitent supprimer.
Supprimer l’objectif de réduction de 50 % de l’artificialisation des sols d’ici 2031, pour « donner la main aux élus »
La mesure phare de la proposition de loi entend, en effet, revenir sur cet objectif intermédiaire, pour le remplacer par une « trajectoire nationale de sobriété foncière ». Un retour en arrière par rapport à la loi de 2021, parfaitement justifié selon les auteurs du texte. La stratégie de l’Union européenne pour la protection des sols, sur laquelle se base la loi ZAN, n’impose pas d’objectif contraignant de baisse de l’artificialisation des sols. « En France on aime bien la surtransposition », dénonce le sénateur LR Jean-Marc Boyer, rapporteur du texte, « en Espagne, en Allemagne, en Italie il n’y a pas de loi ».
Mais cette suppression des contraintes n’est pas du goût de tous. Vent debout contre le texte, le groupe écologiste du Sénat accuse la majorité sénatoriale de « signer un blanc-seing et un permis de bétonniser ». « Chaque année, en France métropolitaine, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés, soit l’équivalent de la ville de Marseille », rappellent-ils dans un communiqué.
Mais les rapporteurs se défendent : leur texte ne vise pas à renoncer à l’objectif final de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. « Notre fil conducteur est toujours le même : assouplir et donner la main aux élus. Mais il n’est pas question de déroger à cette atteinte du zéro artificialisation nette en 2025. Lorsqu’on repense aux inondations que nous avons pu vivre ces derniers mois, on sait que c’est impératif d’aller vers la sobriété foncière », explique la sénatrice centriste Amel Gacquerre, rapporteure du texte.
Un compromis trouvé avec le gouvernement ?
Il n’y a pas qu’à gauche que la proposition suscite des craintes. François Rebsamen, le ministre de l’Aménagement du territoire, se montre pour le moment frileux face à la mesure phare du texte. Il juge en effet « indispensable » de faire un point sur le respect de la trajectoire du ZAN à mi-parcours, rapporte l’AFP. Le gouvernement a toutefois engagé la procédure accélérée sur le texte, ce qui laisse entendre qu’un compromis est possible. « On sent en tout cas que le ministre est très à l’écoute, c’est un élu local », souligne Amel Gacquerre.
L’ouverture viendra peut-être d’un amendement, déposé par la commission des affaires économiques en séance. Celui-ci propose de réintroduire un point d’étape sur l’application du ZAN, à horizon 2034, sans pour autant fixer d’objectif de baisse de l’artificialisation à cette date. « Nous donnons la main aux régions, qui devront elles-mêmes fixer leur objectif », précise Amel Gacquerre, tout en insistant sur le fait que cet objectif devra être « crédible ». « On fait un pas énorme, on espère que le gouvernement fera un pas aussi », pointe-t-elle.
Industries, logements sociaux… Des exceptions au ZAN introduites dans le texte
Pour la majorité sénatoriale, qui a étudié l’application du ZAN dans le cadre d’un groupe de suivi au cours de l’année 2024, les élus locaux ont besoin de délais supplémentaires pour appliquer la loi, en raison de sa complexité. En dehors de cette mesure phare, la proposition de loi prévoit donc aussi d’assouplir les différentes dates butoirs prévues pour l’intégration des objectifs du ZAN dans les documents d’urbanisme des collectivités. Au niveau régional (dans le SRADDET), la date limite fixée à novembre 2024 serait par exemple repoussée à août 2027.
« Il faut voir cette question du ZAN avec pragmatisme. On a besoin de prendre en compte la spécificité des territoires, en tenant compte des impératifs de sobriété foncière, mais aussi des projets portés par les collectivités », estime Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR et présidente de la commission des affaires économiques.
Dans cette même logique, la majorité sénatoriale propose d’exempter un certain nombre d’infrastructures du décompte de l’artificialisation des sols, jusqu’en 2036. Cette exemption concerne les « implantations industrielles », les « infrastructures de production d’énergie renouvelables », et la « réalisation de logements sociaux dans les communes carencées ». « Ces exemptions sont ciblées et temporaires », précise Amel Gacquerre. Déjà, lors de l’examen de la loi d’orientation agricole au Sénat, une première dérogation au ZAN a été introduite pour la construction de bâtiments d’élevage. Les débats avaient alors été intenses dans l’hémicycle. Ils s’annoncent donc encore une fois nourris.