Pour suivre la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols, les sénateurs ont écouté « ceux qui font le ZAN ». De mars à juillet 2024, ils ont entendu plus de soixante-dix élus locaux, représentants de l’Etat, acteurs économiques et associatifs ou urbanistes qui sont confrontés à cette loi. Plus de 1 400 élus locaux ont aussi partagé leurs analyses et besoins via une consultation en ligne. Première conclusion des membres de la Haute Assemblée : « Les acteurs ont mis en évidence un large consensus autour de la nécessité de sobriété foncière mais également la persistance de difficultés concrètes et de blocages, dont la levée ne paraît pas, à ce stade, pouvoir faire autrement que par des évolutions législatives et réglementaires ».
« Les premières avancées du Sénat »
Les élus se réjouissent des « avancées obtenues par le Sénat », via la loi du 20 juillet 2023. Elle a permis d’atténuer les objectifs du ZAN. Notamment en allongeant de neuf mois le délai de modification des Sraddet (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires). Elle prolonge de six mois le délai de modification des documents d’urbanisme pour y intégrer les objectifs du ZAN à février 2027 pour le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et à février 2028 pour les Plans locaux d’urbanisme (PLUi). Elle prévoit aussi un dispositif pour que la consommation d’espaces naturels par les projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) soit comptabilisée au niveau national. A noter que Michel Barnier s’est engagé à faire évoluer le ZAN de « façon pragmatique et différenciée », pendant sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale le 1er octobre.
Le rapport précise que les « objectifs ambitieux de réduction de l’artificialisation des sols dans la loi Climat-résilience demeurent valables ». La France continue de perdre chaque année plus de 20 000 hectares d’espaces agricoles, naturels et forestiers. La construction de logements constitue le premier facteur d’artificialisation. Elle a augmenté presque quatre fois plus vite que la population ces dernières décennies. Si un tel rythme se poursuit, il menace « d’obérer notre souveraineté alimentaire », prévient Guislain Cambier, président du groupe de suivi.
Des objectifs fixés « sans véritable étude d’impact »
Mais, de l’autre côté, le groupe de suivi déplore que les objectifs – inspirés des propositions de la Convention citoyenne pour le climat – ont été fixés « sans véritable étude d’impact ». Il rappelle que la France est le seul pays de l’Union européenne à avoir inscrit des objectifs chiffrés de réduction de l’artificialisation dans la loi. Ils ont été déterminés « sans aucune prise en compte des réalités et dynamiques locales », poursuivent les sénateurs. Pour eux, le raisonnement selon lequel l’artificialisation constatée pendant la décennie 2011-2021 permettrait de refléter les dynamiques à l’œuvre dans les territoires est « doublement fautif ». Ils déplorent que les spécificités « des territoires ruraux, des communes littorales ou des montagnes ont été ignorées ». Mais aussi que les communes vertueuses, qui avaient déjà volontairement réduit leur consommation d’espaces avant 2021, ont été « lourdement pénalisées ». Pour les sénateurs le principe même de fixation d’un objectif à l’échelon national décliné ensuite territorialement de manière descendante « pose difficulté ».
Le ZAN, un sigle « vide de sens »
Le rapport remet en question la notion de « désartificialisation ». Sur la qualité des sols « le ZAN semble n’être en réalité qu’un sigle vide de sens », tacle-t-il. « Lorsqu’on sait qu’il faut au moins 200 ans pour former un centimètre de sol, on mesure à quel point cette notion est trompeuse », lance le groupe de suivi. « Il n’apparaît pas souhaitable de persévérer dans une approche éloignée de la réalité pédologique selon laquelle tous les sols se valent », poursuit-il. Et d’espérer à terme « qu’un meilleur ciblage de la protection des terres permette de desserrer la contrainte surfacique du ZAN ».
Les sénateurs mettent en cause l’Etat dans l’accompagnement des collectivités. « La compréhension de ses concepts clefs par les services déconcentrés de l’Etat demeurent très hétérogènes », pointent-ils, ce qui « nourrit chez les élus défiance et inquiétude ». De nombreux élus ont également fait part de l’absence de dialogue avec les services de l’Etat. Ils sont plus de 90 % à ne pas connaître pas le référent ZAN nommé dans leur département. Pour les parlementaires, l’approfondissement du dialogue entre l’Etat et les élus mais aussi auprès du grand public est « nécessaire pour assurer l’acceptabilité de la politique de réduction de l’artificialisation des sols ».
Des trajectoires à revoir
Sur la feuille de route de la loi ZAN, le rapport propose une action en deux temps. Renforcer l’accompagnement des collectivités en financement et en ingénierie, mais aussi opérer des modifications ciblées pour la période de 2021 à 2031. Perplexe, Jean-Baptiste Blanc, sénateur LR du Vaucluse et rapporteur, « s’interroge sur les objectifs de 50 % » pour cette première trajectoire. Et pour la période postérieure à 2031, dessiner une autre trajectoire de réduction de l’artificialisation qui serait plus « soutenable » et élaborées avec les territoires.
« Une exception ZAN doit exister sur le logement social pour les communes en difficulté », plaide Jean-Baptiste Blanc. 60 % des élus estiment qu’en raison du ZAN, ils ne disposent pas assez de foncier pour répondre à leurs besoins. « Il faut que les maires qui manquent de logements sociaux puissent en construire sans être freinés par cette loi. Mais aussi qu’ils aient l’opportunité d’accorder un permis de construire à une usine de panneaux solaires ou à un sous-traitant d’industries vertes », continue le sénateur Les Républicains.
« Ce rapport annonce des catastrophes à venir pour le climat »
Dans un communiqué, le groupe écologiste au Palais du Luxembourg fustige ce rapport. Il dénonce « une véritable atteinte à la trajectoire de la réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers ». Les sénateurs écologistes indiquent « voter contre ce rapport qui annonce des catastrophes à venir pour le climat, la biodiversité, l’avenir de la ruralité et de l’aménagement.
Dans les prochaines semaines, « il faut s’attendre à une initiative sénatoriale », annonce le rapporteur. Elle aura pour objectif de revenir sur un certain nombre de points, sur la manière de comptabiliser, la façon dont travaille l’Etat avec les collectivités et changer les objectifs pour que les trajectoires puissent être « acceptables ». L’acronyme qui « fait frémir les chaumières » pourrait aussi être changé.