150 ans du Sénat : « Demain, il pourrait devenir un rempart contre les atteintes à la république » affirme le sénateur Jean-Marc Vayssouze-Faure. 

En 2025, le Sénat célèbre ses 150 ans. Après avoir traversé trois républiques, deux guerres mondiales et de multiples crises politiques, cette institution centrale de notre démocratie demeure méconnue. Pourtant dans un monde en crises, l’institution souvent critiquée pour son inertie prouve plus que jamais son utilité. C’est en tous cas ce que nous montre le réalisateur Pierre Bonte-Joseph dans « Le Sénat une chambre à part », un documentaire inédit, à voir cette semaine, sur Public Sénat.
Agathe Alabouvette

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

« Conservatrice ». « Sombre et confuse ».  « Un rôle secondaire ». « Une chambre de vieux Messieurs ». Telles sont les expressions qui viennent spontanément à l’esprit des étudiants de l’historien David Bellamy  quand on leur parle du Sénat. Les stéréotypes qui pèsent sur cette institution ont la vie dure et sont peu élogieux. Pour David Bellamy, spécialiste de l’histoire parlementaire et du Sénat, il faut en réhabiliter l’image. Ses bénéfices sur la République seraient largement sous-estimés. Mal connue notre deuxième chambre parlementaire ?

« Le Sénat est une cheville ouvrière de la Troisième République qui prend vie »

L’histoire du Sénat commence en 1875, dans le sillage de la Troisième République. Soutenu par les monarchistes, le Sénat s’impose à sa création comme la chambre du conservatisme, de l’ordre et de l’équilibre. Mais côté Républicain, le père de la Troisième République, Léon Gambetta la juge tout aussi nécessaire et prédit son ralliement à la République. « Il voit cette chambre comme la chambre des territoires, un grand conseil des communes » explique le sénateur socialiste Jean-Marc Vayssouze-Faure du Lot. « L’idée c’est que la démocratie locale peut diffuser la République ».

S’il fait la part belle aux communes, le Sénat joue aussi un rôle majeur pour asseoir le pouvoir de la Troisième République naissante. La loi de 1881 sur la liberté de la presse, la loi 1901 sur la liberté d’association ou encore la loi 1905, instaurant la séparation de l’Eglise et de l’Etat… « Le Sénat est une cheville ouvrière de la République qui prend vie » explique la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina « C’est la période où la chambre haute a le plus de pouvoir. Elle peut faire tomber les ministres. Les sénateurs ont autant de pouvoir que les députés. Il a les mêmes pouvoir que la chambre des députés, c’est l’âge d’or du Sénat » souligne le professeur de droit Julien Jeanneney. »

« La Seconde guerre mondiale est une tâche noire dans l’histoire du Sénat »

Un développement qui connaît un coup d’arrêt brutal avec la Seconde guerre mondiale.  En pleine débâcle, les sénateurs et les députés réunis en assemblée nationale à Vichy, votent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Seuls 23 sénateurs s’y opposent. Par cette décision, les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires passent aux mains du Maréchal. Exit le rôle des sénateurs, qui ne siégeront pas pendant quatre ans. A Paris, la Luftewaffe prend possession du Palais du Luxembourg, qui emploiera jusqu’à 1500 personnes. A la Libération, les troupes allemandes abandonnent un palais saccagé. Tout est à reconstruire.

De la quatrième à la cinquième république

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la reconstruction est d’abord envisagée avec un rôle minoré du Sénat. La quatrième République lui préfère l’appellation « Conseil de la République ». Réduite à seconder l’Assemblée nationale. « Il y a une sénatophobie héritée des années 1930 » précise l’historien David Bellamy. « On se souvient que le Sénat avait renversé le gouvernement du front populaire de Blum, en 1937 et en 1938 ».

Il faut attendre 1958 pour que le Sénat retrouve son nom et la plupart de ses prérogatives. « Pour le général De Gaulle, qui déteste le régime des partis, le Sénat, c’est le régime des territoires » affirme Anne-Charlène Bezzina. S’il vote la loi et contrôle l’action gouvernementale, l’Assemblée nationale garde désormais le dernier mot.

La chambre de l’avenir ?

Opposé au suffrage universel direct en 1962, de centre droit à partir de 1969 puis majoritairement gaulliste à partir de 1986, le Sénat est parfois accusé d’être à la traîne, voire à contre-courant des aspirations des citoyens. Sous la cinquième république, le Sénat vote pourtant plusieurs lois majeures pour la société française : la loi Veil en 1974 autorisant l’interruption volontaire de grossesse, l’abolition de la peine de mort en 1981 ou le mariage pour tous en 2013. Preuve que » la majorité pour certains textes ne correspond pas à la majorité politique » souligne le sénateur centriste des Hauts-de-Seine, Hervé Marseille.

« Chacun conserve ses marqueurs mais on arrive à avoir des discussions de fond » reconnaît Christine Lavarde, sénatrice républicaine des Hauts-de Seine. Arrivée au Sénat à 32 ans, la vice-présidente de la commission des finances, est peut-être à l’image des évolutions à l’œuvre au sein de la haute-institution. Féminisation, abaissement de la durée de mandat ou de l’âge pour devenir sénateur. La chambre s’autoréforme depuis 2003. Tout en assumant un certain décalage. « L’âge n’est pas un critère » selon la présidente du groupe communiste Cécile Cukierman. « On peut avoir une moyenne d’âge élevée mais progressiste. »  À l’aune de la dissolution et de l’instabilité politique actuelle, le Sénat s’affiche plus que jamais comme une chambre de la stabilité. « Demain, il pourrait devenir un rempart contre les atteintes à la république » déclare le sénateur Jean-Marc Vayssouze-Faure.

Retrouvez l’intégralité du documentaire ici. 

Partager cet article

Dans la même thématique

Paris: French Prime Minister Sebastien Lecornu  delivers his policy speech
8min

Politique

Budget de la Sécu : le PS devra-t-il rejeter le texte, malgré la suspension de la réforme des retraites ?

La suspension de la réforme des retraites passera par un amendement au budget de la Sécu. Mais le texte comporte de nombreuses mesures dénoncées au PS. « On va se battre pied à pied pour sortir toutes les saloperies qui existent », prévient le patron des sénateurs PS, Patrick Kanner. En interne, certains dénoncent aujourd’hui « l’erreur » d’Olivier Faure, qui a exigé le non-recours au 49-3, au risque de donner « un budget invotable ». « Si la copie est trop injuste, nous voterons contre », prévient la porte-parole du PS, Dieynaba Diop.

Le

150 ans du Sénat : « Demain, il pourrait devenir un rempart contre les atteintes à la république » affirme le sénateur Jean-Marc Vayssouze-Faure. 
4min

Politique

Suspension de la réforme des retraites : « La censure n’aurait pas été une position totalement stupide », pour les Républicains, avance Muriel Jourda

Le gouvernement Lecornu II est parvenu à se négocier un sursis, en acceptant de suspendre la réforme des retraites jusqu’au 1er janvier 2028, ardemment réclamée par les socialistes. Une ligne rouge des Républicains, qui ont toutefois décidé de ne pas censurer. Un choix que n’aurait pas fait la sénatrice Muriel Jourda.

Le

Paris: no-confidence debate in French parliament
6min

Politique

Inéligibilité : pourquoi le Conseil d’Etat a rejeté le recours de Marine Le Pen ?

C’était attendu, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de Marine Le Pen. La triple candidate à l’élection présidentielle avait promis d’utiliser « toutes les voies de recours possibles » pour contester l’exécution provisoire de sa peine de 5 ans d’inéligibilité prononcée en première instance dans l’affaire des emplois fictifs d’assistants parlementaires RN. Mais elle va devoir attendre la décision de son procès en appel pour savoir si elle pourra se présenter devant les électeurs. Explications.

Le

Vote results displayed after no-confidence motion against French Prime Minister
4min

Politique

Rejet de la motion de censure LFI : découvrez les détails du vote

La motion de censure de La France Insoumise, examinée ce matin par les députés, a été rejetée. 271 voix ont été récoltées contre les 289 nécessaires. Sept élus socialistes lui ont apporté leur vote. Celle déposée par le RN a également échoué avec 144 voix pour.

Le