« Conservatrice ». « Sombre et confuse ». « Un rôle secondaire ». « Une chambre de vieux Messieurs ». Telles sont les expressions qui viennent spontanément à l’esprit des étudiants de l’historien David Bellamy quand on leur parle du Sénat. Les stéréotypes qui pèsent sur cette institution ont la vie dure et sont peu élogieux. Pour David Bellamy, spécialiste de l’histoire parlementaire et du Sénat, il faut en réhabiliter l’image. Ses bénéfices sur la République seraient largement sous-estimés. Mal connue notre deuxième chambre parlementaire ?
« Le Sénat est une cheville ouvrière de la Troisième République qui prend vie »
L’histoire du Sénat commence en 1875, dans le sillage de la Troisième République. Soutenu par les monarchistes, le Sénat s’impose à sa création comme la chambre du conservatisme, de l’ordre et de l’équilibre. Mais côté Républicain, le père de la Troisième République, Léon Gambetta la juge tout aussi nécessaire et prédit son ralliement à la République. « Il voit cette chambre comme la chambre des territoires, un grand conseil des communes » explique le sénateur socialiste Jean-Marc Vayssouze-Faure du Lot. « L’idée c’est que la démocratie locale peut diffuser la République ».
S’il fait la part belle aux communes, le Sénat joue aussi un rôle majeur pour asseoir le pouvoir de la Troisième République naissante. La loi de 1881 sur la liberté de la presse, la loi 1901 sur la liberté d’association ou encore la loi 1905, instaurant la séparation de l’Eglise et de l’Etat… « Le Sénat est une cheville ouvrière de la République qui prend vie » explique la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina « C’est la période où la chambre haute a le plus de pouvoir. Elle peut faire tomber les ministres. Les sénateurs ont autant de pouvoir que les députés. Il a les mêmes pouvoir que la chambre des députés, c’est l’âge d’or du Sénat » souligne le professeur de droit Julien Jeanneney. »
« La Seconde guerre mondiale est une tâche noire dans l’histoire du Sénat »
Un développement qui connaît un coup d’arrêt brutal avec la Seconde guerre mondiale. En pleine débâcle, les sénateurs et les députés réunis en assemblée nationale à Vichy, votent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940. Seuls 23 sénateurs s’y opposent. Par cette décision, les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires passent aux mains du Maréchal. Exit le rôle des sénateurs, qui ne siégeront pas pendant quatre ans. A Paris, la Luftewaffe prend possession du Palais du Luxembourg, qui emploiera jusqu’à 1500 personnes. A la Libération, les troupes allemandes abandonnent un palais saccagé. Tout est à reconstruire.
De la quatrième à la cinquième république
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la reconstruction est d’abord envisagée avec un rôle minoré du Sénat. La quatrième République lui préfère l’appellation « Conseil de la République ». Réduite à seconder l’Assemblée nationale. « Il y a une sénatophobie héritée des années 1930 » précise l’historien David Bellamy. « On se souvient que le Sénat avait renversé le gouvernement du front populaire de Blum, en 1937 et en 1938 ».
Il faut attendre 1958 pour que le Sénat retrouve son nom et la plupart de ses prérogatives. « Pour le général De Gaulle, qui déteste le régime des partis, le Sénat, c’est le régime des territoires » affirme Anne-Charlène Bezzina. S’il vote la loi et contrôle l’action gouvernementale, l’Assemblée nationale garde désormais le dernier mot.
La chambre de l’avenir ?
Opposé au suffrage universel direct en 1962, de centre droit à partir de 1969 puis majoritairement gaulliste à partir de 1986, le Sénat est parfois accusé d’être à la traîne, voire à contre-courant des aspirations des citoyens. Sous la cinquième république, le Sénat vote pourtant plusieurs lois majeures pour la société française : la loi Veil en 1974 autorisant l’interruption volontaire de grossesse, l’abolition de la peine de mort en 1981 ou le mariage pour tous en 2013. Preuve que » la majorité pour certains textes ne correspond pas à la majorité politique » souligne le sénateur centriste des Hauts-de-Seine, Hervé Marseille.
« Chacun conserve ses marqueurs mais on arrive à avoir des discussions de fond » reconnaît Christine Lavarde, sénatrice républicaine des Hauts-de Seine. Arrivée au Sénat à 32 ans, la vice-présidente de la commission des finances, est peut-être à l’image des évolutions à l’œuvre au sein de la haute-institution. Féminisation, abaissement de la durée de mandat ou de l’âge pour devenir sénateur. La chambre s’autoréforme depuis 2003. Tout en assumant un certain décalage. « L’âge n’est pas un critère » selon la présidente du groupe communiste Cécile Cukierman. « On peut avoir une moyenne d’âge élevée mais progressiste. » À l’aune de la dissolution et de l’instabilité politique actuelle, le Sénat s’affiche plus que jamais comme une chambre de la stabilité. « Demain, il pourrait devenir un rempart contre les atteintes à la république » déclare le sénateur Jean-Marc Vayssouze-Faure.
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