2016: la Loi travail, une longue guerre des nerfs
Dernière réforme sociale du quinquennat Hollande, la loi travail est née au forceps en août 2016 au terme du plus long conflit social jamais vu...

2016: la Loi travail, une longue guerre des nerfs

Dernière réforme sociale du quinquennat Hollande, la loi travail est née au forceps en août 2016 au terme du plus long conflit social jamais vu...
Public Sénat

Par Bertille OSSEY-WOISARD, Juliette COLLEN

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Dernière réforme sociale du quinquennat Hollande, la loi travail est née au forceps en août 2016 au terme du plus long conflit social jamais vu sous un gouvernement de gauche et d'affrontements politiques qui ont déchiré la majorité.

Jugée trop libérale par ses détracteurs, la réforme du Code du travail a connu un parcours tumultueux, avec 13 journées de mobilisation marquées par des violences, l'émergence de "Nuit debout" et les recours à l'article 49-3 pour la faire adopter sans vote au Parlement.

Le feuilleton commence le 17 février lorsque la ministre du Travail, Myriam El Khomri, dévoile dans la presse les grandes lignes de l'avant-projet de loi, présenté comme un moyen d'améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser l'emploi.

Parmi les mesures phares: la primauté des accords d'entreprise sur les conventions de branche pour le temps de travail, le plafonnement des indemnités prud'homales, le référendum dans les entreprises, la modulation du temps de travail dans les PME sans accord collectif et la clarification des motifs de licenciements économiques, rajoutée à la dernière minute.

Myriam El Khomri et Manuel Valls le 30 mars 2016 à l'Assemblée nationale à Paris
Myriam El Khomri et Manuel Valls le 30 mars 2016 à l'Assemblée nationale à Paris
AFP/Archives

Le Medef applaudit. Mais le PS, déjà déchiré par le débat sur la déchéance de nationalité, est embarrassé et les syndicats sont très hostiles à un texte qui risque, selon eux, d'augmenter les licenciements et la précarité.

Même la CFDT, qui a jusque là soutenu les réformes du quinquennat, proteste.

La riposte s'organise. Le 23 février, dix syndicats et organisations de jeunesse se réunissent au siège de la CGT pour "faire bouger le texte". Un appel à grèves et manifestations est lancé pour le 9 mars dans toute la France, le premier d'une longue série. Une pétition recueille plus d'un million de signatures, un record.

Matignon fait un geste: il reporte la présentation du projet en conseil des ministres, le temps d'une concertation. Le 14 mars, Manuel Valls recule sur le plafonnement des indemnités prud'homales, le temps de travail des apprentis mineurs, et atténue la réforme du licenciement économique.

- 'Dumping social' -

Ces amendements douchent les espoirs du patronat, qui demandera en vain le retour à la première version. Mais la CFDT est rassurée, et n'aura dès lors de cesse de soutenir un projet porteur de "progrès".

En revanche, sept organisations, dont la CGT, FO et l'Unef, réclament le retrait du texte.

Manifestation contre la loi travail le 12 mai 2016 à Rennes
Manifestation contre la loi travail le 12 mai 2016 à Rennes
AFP

Le 31 mars, la mobilisation atteint son apogée, réunissant entre 1,2 million (syndicats) et 390.000 personnes (police) dans les rues du pays, et donne naissance à un mouvement populaire éphémère, "Nuit debout".

Le marathon parlementaire démarre début avril. Dans la majorité, la philosophie même du texte divise, mettant en lumière deux gauches "irréconciliables": la primauté de l'accord d'entreprise est dénoncée comme une "inversion de la hiérarchie des normes", porteuse de "dumping social". Manuel Valls reste inflexible et doit dégainer le 10 mai le 49-3 en première lecture, échappant, à deux voix près, à une motion de censure déposée par des frondeurs.

La contestation monte alors d'un cran avec des grèves de routiers, cheminots, centres de déchets, raffineries... juste avant l'Euro de football début juin. Le pays n'est pas pour autant bloqué et, à coup de concessions sectorielles, le gouvernement parvient à éteindre les grèves.

La guerre des nerfs se concentre dans la rue mais les cortèges sont parasités par des violences, avec des manifestants et policiers blessés, et des dizaines d'interpellations. Le 14 juin, les dégradations contre l'hôpital parisien Necker-Enfants malades marquent les esprits.

Invoquant ces violences, le gouvernement menace d'interdire une nouvelle manifestation dans la capitale fin juin, avant de faire volte-face devant le tollé.

Manifestation contre la loi travail le 2 juin 2016 à Pierre-Bénite dans le centre de la France
Manifestation contre la loi travail le 2 juin 2016 à Pierre-Bénite dans le centre de la France
AFP

Tout au long du printemps, le climat reste tendu. Des locaux de la CFDT, du PS et de la CGT sont vandalisés.

Le texte est promulgué pendant la trêve estivale, après deux nouveaux recours au 49-3 et une nouvelle menace de motion de censure.

La plupart des décrets, dont ceux sur le temps de travail, sont publiés, la réforme du licenciement économique est en vigueur. Les syndicats ont promis de poursuivre la bataille sur le front juridique, après une dernière manifestation en septembre.

Partager cet article

Dans la même thématique

2016: la Loi travail, une longue guerre des nerfs
3min

Politique

Industrie : « Il y a une logique presque stratégique de la part de la Chine de vouloir attaquer des pans entiers de notre économie », prévient Sébastien Martin 

Invité de la matinale de Public Sénat, le ministre de l’Industrie, Sébastien Martin alerte sur la menace que fait peser la Chine sur l’industrie française. Le ministre plaide notamment pour un renforcement de la protection des entreprises européennes afin de développer les filières industrielles.

Le

SIPA_01221444_000001
4min

Politique

Otages français en Iran : Cécile Kohler et Jacques Paris sont sortis de prison, mais « ils ne sont pas libres », précise l'avocate des familles

Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis mai 2022 en Iran suite à des accusations d’espionnage, « sont sortis de la prison d'Evin et sont en route pour l'ambassade de France à Téhéran », a annoncé Emmanuel Macron sur X. Les avocats des familles précisent qu'ils ne sont pas libres et toujours empêchés de regagner la France

Le

Paris : session of questions to the government at the Senate
10min

Politique

« Vexations », échanges « pas fluides », négos avec le PS : pourquoi la relation entre le Sénat et le gouvernement Lecornu s’est détériorée

Depuis « un mauvais départ », le courant passe mal entre la majorité LR-centriste du Sénat et le gouvernement. Discussions avec le PS au détriment des LR, députés invités à Matignon sans les sénateurs, qui aimeraient « être dans la boucle »… Les causes de fâcheries se multiplient. Pour tenter de retisser des liens dégradés, Sébastien Lecornu invite les présidents de groupe du Sénat à Matignon ce mercredi, avant de se rendre en conférence des présidents.

Le

2016: la Loi travail, une longue guerre des nerfs
5min

Politique

« C’est à la fin de la partie qu’on comptera les choses » : sur le budget, les socialistes veulent encore laisser du temps au gouvernement

Les députés mettent en pause l’examen du projet de loi de finances pour étudier le budget de la Sécurité sociale. S’ils ne sont pas allés au bout de la partie recettes, ils ont néanmoins pu adopter un certain nombre de mesures absentes du projet initial. Certaines sont vues par le gouvernement comme des gains concédés aux socialistes, bien que ces derniers se montrent toujours insatisfaits. Pas suffisamment, pourtant, pour interrompre les négociations et l’examen budgétaire.

Le