2023, année d’accrochages à répétition entre les sénateurs LR et leurs alliés centristes

2023, année d’accrochages à répétition entre les sénateurs LR et leurs alliés centristes

Les sénateurs du groupe Les Républicains et ceux de l’Union centriste n’ont pas toujours été sur la même longueur d’onde au cours de l’année écoulée pendant les débats parlementaires. Public Sénat récapitule les grands moments de divergence au sein de la majorité sénatoriale au cours de l’année écoulée.
Guillaume Jacquot

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C’était le 19 décembre, dans un hémicycle sénatorial un peu survolté, à quelques minutes de son dernier vote sur le projet de loi immigration. Satisfait du compromis arraché avec les députés du camp présidentiel, qui fait la part belle à la version sénatoriale, le centriste Philippe Bonnecarrère refait avec satisfaction le fil du parcours législatif. Car avant que la commission mixte paritaire entre sénateurs et députés n’aboutisse, le texte a d’abord fait tanguer le bloc LR-centriste durant plusieurs semaines dans la Haute assemblée. « C’est un texte qui exprime la solidité de la majorité sénatoriale. Le travail en commission nous a permis de dégager un premier compromis, non acquis, sur l’article 4 bis », se remémore à la tribune Philippe Bonnecarrère, l’une des corapporteurs du texte.

De longues semaines de négociations sur le projet de loi immigration

Cet article que, « chacun s’est approprié au sein de la majorité » selon lui, c’est celui relatif à la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. Le projet de loi, dans sa première version, prévoyait d’émettre pour ces personnes un titre de séjour, de plein droit. Un véritable repoussoir pour la droite sénatoriale, et notamment son président Bruno Retailleau, qui qualifiait la mesure de « pompe aspirante ». À l’inverse, leurs alliés centristes défendaient le « pragmatisme » d’une telle mesure, à même de lutter contre le travail clandestin et de répondre aux difficultés de recrutement de certains secteurs. Les deux composantes de la majorité sénatoriale se sont finalement accordées sur une régularisation, sous conditions et au cas par cas, à la main des préfets.

Une proposition de loi constitutionnelle « dénaturée » en commission

L’année s’achève donc dans la cohésion pour les deux groupes de la majorité sénatoriale, qui arrivent à rapprocher leurs positions la plupart du temps. Mais cet épisode est toutefois révélateur des divergences qui se sont manifestées à plusieurs reprises entre le collectif de Bruno Retailleau et celui d’Hervé Marseille cette année.

Deux semaines avant l’adoption de la loi immigration, c’est même un « désaccord majeur » qui a opposé frontalement les deux groupes. Le sujet est d’autant plus important qu’il s’agissait d’une proposition emblématique du groupe LR, à savoir sa proposition de loi constitutionnelle pour déroger au droit européen en matière d’immigration et élargir le champ du référendum à cette question. Lors de l’examen en commission des lois, les centristes ont fait pencher la balance vers le retrait de ces deux dispositions. Le rapporteur LR n’avait pas perdu espoir d’aboutir à un compromis en séance. Le texte a finalement été retiré de l’agenda, le soir de l’adoption surprise de la motion de rejet sur le projet de loi immigration à l’Assemblée nationale.

Durant les débats budgétaires, la droite a également été prise de court plus d’une fois par son allié centriste. La séance la plus imprévisible s’est jouée sur les crédits de l’audiovisuel, la même semaine que le coup d’arrêt de la proposition de loi constitutionnelle en commission des lois. Mécontent de l’absence d’orientation stratégique pour l’audiovisuel public, le rapporteur (LR) Jean-Raymond Hugonet souhaitait geler le budget affecté aux médias du service public pour pallier une « perpétuelle fuite en avant financière ». Les centristes ont refusé de s’engager dans cette direction, sous la baguette du président de la culture et de l’éducation, Laurent Lafon, issu de leurs rangs.

Divergences sur l’opportunité de créer de nouvelles recettes fiscales

Toujours sur le projet de loi de finances, l’Union centriste a tenu à exprimer ses marqueurs en faveur d’une « justice sociale » sur le volet recettes. Les centristes sont parvenus à faire adopter, contre l’avis de la commission des finances, une augmentation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ou encore la suppression d’avantages fiscaux sur les intérêts des plans d’épargne logement (PEL) ou encore l’assurance-vie. Constant depuis le débat sur le « paquet pouvoir d’achat » de l’été 2022, le groupe UC est revenu à la charge pour introduire une taxe sur les superprofits. L’amendement a été rejeté d’un cheveu puisqu’une seule voix aurait pu faire basculer le scrutin. Sur les précédents, LR s’est fait dépasser sur sa gauche. Ces différences majeures, sur le temps fort parlementaire de l’automne, font le bonheur des sénateurs Renaissance, heureux de voir que les majorités ne sont pas fluctuantes seulement à l’Assemblée nationale. « Vous êtes victimes de votre majorité relative ; eh oui, vous aussi ! » s’amuse le sénateur Didier Rambaud. « On ne compte plus les taxes nouvelles votées à votre corps défendant par vos amis centristes, sans compter les nombreuses créations de niches fiscales. »

Quelques jours après, un sénateur centriste préfère renvoyer dos à dos les Républicains et les parlementaires macronistes, sur l’objectif de stabilité fiscale. « La ligne de LR sur le budget, c’est pas d’impôts. Mais le gouvernement a quand même flingué 35 milliards d’euros de recettes. La partie sociale, ils ne connaissent pas », maugrée notre interlocuteur. C’est d’ailleurs dans la même veine que centristes et LR ont constaté là aussi quelques divergences lors du débat sur les retraites en mars dernier. Des désaccords profonds se sont fait jour sur le rythme d’extinction des régimes spéciaux et surtout, sur les pistes de financement complémentaires pour réduire le déficit du régime général de retraite.

Les éoliennes de la discorde

L’anicroche la plus spectaculaire s’est probablement jouée à l’hiver dernier. La loi d’accélération sur les énergies renouvelables, définitivement adoptée en mars 2023, a fait l’effet d’un grain de sable dans la mécanique pourtant bien huilée de la majorité sénatoriale. Le sujet est sensible, puisqu’il y est question des zones d’implantation des éoliennes. LR voulait un droit de veto pour les maires. Au cours d’une séance, rocambolesque, en novembre 2022, la majorité sénatoriale s’est divisée, les Républicains ont été mis en minorité, et le droit de veto a finalement été abandonné, à la faveur d’un compromis trouvé avec le gouvernement.

Cette nuit a laissé des traces, au point où certains sénateurs LR se sont demandé quelle était la signification de la majorité sénatoriale, et si cette dernière était solide. « Il y a un moment où Jean-François Longeot (président centriste de la commission du développement durable, ndlr) doit dire s’il est dans la majorité sénatoriale ou dans la majorité présidentielle », lâchait à l’époque un sénateur LR furieux.

« LR aiment les centristes, à condition qu’ils aient une laisse » – un sénateur centriste

Groupe charnière au Sénat, l’Union centriste a la particularité de compter des sénateurs de diverses tendances, y compris quelques membres favorables à l’action du président de la République. Faut-il voir dans différents accrocs que nous avons listés l’expression de sensibilités politiques ou celle de divergences de fond plus profondes ? Lors des dernières élections sénatoriales, le poids du groupe dans la majorité sénatoriale s’est d’ailleurs légèrement renforcé, en raison de pertes du côté LR. Cette évolution numérique n’a évidemment pas échappé à ses membres, qui souhaitent davantage peser dans les débats, au nom de leur ligne. Selon leur déclaration politique, l’UC se caractérise par « une ligne de conduite indépendante, hors de toute approche dogmatique ». Les divisions de l’année au sein de la majorité sénatoriale interviennent aussi dans le contexte de la première année d’Éric Ciotti à la tête du parti LR, une ligne qui met mal à l’aise plusieurs centristes. « Les LR se sont mis dans un corner, ils dérivent à droite », relève un cadre centriste. « Ils aiment les centristes, à condition qu’ils aient une laisse. »

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