Un quinquennat qui a débuté avec une déclaration d’amour au Sénat
Le 6 juillet dernier, lors de son discours de politique générale au Sénat, Elisabeth Borne est gagnée par des envolées lyriques qui reflètent bien la nouvelle donne politique : « Je n’imagine pas la République sans le Sénat », assure la nouvelle Première ministre avant de détailler : « Nous devons nous inspirer de l’expérience et des pratiques du Sénat […] Le Sénat pourra pleinement agir comme force de co-construction au service des territoires et des Français. »
Une co-construction dès le mois de juillet
De fait, il ne va pas falloir attendre longtemps pour que le gouvernement commence à s’appuyer sur le Sénat : projet de loi sur la situation sanitaire, projet de loi de finances rectificative… Alors que les débats sont houleux à l’Assemblée nationale sur des textes pourtant peu clivants (avec notamment des mesures en faveur du pouvoir d’achat), les négociations s’avèrent plus simples avec la chambre haute.
Le deuxième projet de loi de finances rectificative, au mois de novembre, est aussi adopté avec l’assentiment de la majorité sénatoriale. La droite approuve enfin la réforme de l’assurance-chômage, qui ouvre la voie à de nouvelles règles d’indemnisation en fonction du contexte économique. Emmanuel Macron l’avait résumé simplement : « Quand ça va bien, on durcit les règles, quand ça va mal on les assouplit ». Une maxime que le MEDEF et la droite auraient pu aussi écrire.
Des textes aussi approuvés par la gauche
Mais la gauche sénatoriale a aussi approuvé plusieurs textes. On le comprend facilement pour certains textes très consensuels comme la proposition de loi qui vise à lutter contre la précarité des AESH, les accompagnants d’élèves en situation de handicap. Difficile d’être contre ! Même chose pour le texte qui interdit le démarchage commercial d’un titulaire de CPF.
Mais la gauche, plus surprenant, a aussi voté la loi LOPMI, loi sur les moyens du ministère de l’Intérieur : la droite et le centre ont voté le texte, mais aussi quasiment tout le groupe socialiste. Elle a aussi voté le projet de loi pour l’accélération des énergies renouvelables, qui a fait l’objet d’une bataille rangée à l’Assemblée. Au Sénat, le texte a atterri dans le consensus avec des écologistes et des socialistes, qui ont mêlé leurs voix à la droite et au centre après un compromis avec le gouvernement sur le sujet brûlant des éoliennes.
Opposition sur les textes budgétaires
Bien sûr, impossible pour la droite comme pour la gauche sénatoriale de voter les deux textes majeurs de l’automne. Le budget et le budget de la sécurité sociale 2023, deux textes qui agissent comme des marqueurs d’un point de vue politique. Les voter signifie appartenir à la majorité. Malgré la mise en place des Dialogues de Bercy au mois de septembre, censés préparer cette séquence avec tous les groupes politiques, les habitudes sont vite revenues. Sur le budget 2023, la droite sénatoriale a, par exemple, vite dénoncé les mesures visant les collectivités locales (CVAE ou encore contrats de confiance). Sur le budget de la Sécurité sociale, elle a, comme les trois dernières années, déposé un amendement pour reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, une réforme qu’elle veut voir couplée à une hausse de la durée de cotisation. Cela a beau être l’une des hypothèses désormais envisagées par le gouvernement pour la réforme de l’année prochaine, la mesure n’était pas à l’ordre du jour lors de l’examen du Projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Jeudi 15 décembre, à l’issue des discussions, le ministre du Budget Gabriel Attal a néanmoins eu de douces paroles pour les sénateurs. Après avoir égrainé les apports du Sénat retenus dans le budget, il s’est exclamé : « Passer du temps au Sénat, ça vous forge un homme, ça vous fait évoluer ». Reste que seulement 10 % des amendements du Sénat ont été retenus dans le PLF2023. L’exécutif et la droite ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur la prochaine loi de programmation des finances publiques : les milliards d’économies auxquels le gouvernement était prêt, restaient insuffisants aux yeux de LR.
Et sur certains sujets, le Sénat a continué à jouer les poils à gratter : sa commission d’enquête sur le rôle des cabinets de conseil dans les politiques publiques a abouti à un rapport au vitriol puis une proposition de loi pour mieux encadrer les prestations de conseil privées réalisées pour l’Etat, des autorités administratives ou encore des hôpitaux.
De nouvelles relations avec le gouvernement
Mais le climat a bel et bien changé : depuis cet été, le gouvernement a trouvé les numéros de téléphone des sénateurs de la majorité, qu’il s’agisse de la droite ou du centre. Un proche de Bruno Retailleau l’avoue : « On nous cajole », comprendre « on nous écoute et parfois on reprend nos amendements ». Le président du groupe Union centriste et nouveau président de l’UDI, Hervé Marseille, s’est longtemps plaint du manque de considération du gouvernement pour les sénateurs lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. Désormais, il est régulièrement reçu à Matignon. Dernièrement reçu sur la réforme des retraites (comme les autres présidents de groupe parlementaire), il a senti Elisabeth Borne intéressée par la proposition de la majorité sénatoriale.
« Il n’est pas impossible que la proposition du gouvernement ressemble furieusement à ce que nous faisons ici au Sénat » a-t-il expliqué à Public Sénat. Les liens vont-ils encore se resserrer en 2023 ? Il faudra attendre encore quelques mois, la réforme des retraites, celle de l’immigration ou encore le projet de loi sur le nucléaire, pour voir si le gouvernement peut s’appuyer, dans la durée, sur la majorité sénatoriale.