Alerte à Belfort. Le site de production de turbines à gaz, racheté à Alstom par Général Electric (GE) en 2015, est à nouveau dans la tourmente et l’avenir s’assombrit. Deux jours après le déconfinement, l’heure n’était pas vraiment à la joie pour les salariés. General Electric choisit ce moment pour annoncer de nouvelles délocalisations de la réparation des turbines. L’ingénierie, le commercial et les activités de maintenance sont concernés. L’entreprise demande par ailleurs « à ses 240 sous-traitants de réduire de 20 % leur prix à partir du 1er mai, sous peine de ne plus être considérés comme partenaires de l’entreprise » explique Cédric Perrin, sénateur LR du Territoire de Belfort.
« Un rappel à l’ordre de l’Etat n’aurait-il pas été salutaire ? » demande Cédric Perrin
Face à cette situation, le sénateur a écrit au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Il lui demande d’agir. « Un rappel à l’ordre de l’Etat n’aurait-il pas été salutaire ? » demande le sénateur. La baisse de 20% demandée aux sous-traitants « n’est pas acceptable et condamne à mort un certain nombre d’entre eux » craint Cédric Perrin, qui « regrette beaucoup que le gouvernement n’interpelle pas GE ».
Quant aux délocalisations, « cela va à l’encontre des accords signés en 2019 entre les syndicats et l’entreprise », après l’annonce d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). « C’est inquiétant, car il y a eu beaucoup d’efforts pour réduire le PSE » rappelle le sénateur du Territoire de Belfort. Selon Cédric Perrin, « le gouvernement doit dire qu’il n’est pas du tout favorable à ce que l’entreprise agisse de la sorte ».
Si son courrier à Bruno Le Maire est resté pour le moment sans réponse, le sénateur a pu interpeller la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher, lors d’un débat au Sénat. « Sa réponse était stratosphérique » lâche l’élu.
Un plan de sauvegarde de l’emploi passé de 800 à 485 postes
Pour mémoire, lors du rachat d’Alstom, l’accord signé prévoyait la création de 1.000 emplois et une amende de 50.000 euros par emploi non créé. Mais le centre de décision mondiale des turbines à gaz est quand même délocalisé. Plus récemment, un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a encore marqué les salariés. GE décide de l’annoncer au lendemain des élections européennes… 800 emplois sont concernés à Belfort dans les turbines à gaz. L’intersyndicale décide de lancer un recours contre l’Etat français, pour qu’il fasse respecter l’accord de 2014.
Après des discussions avec Bercy, un compromis est trouvé. L’intersyndicale retire sa plainte contre l’Etat et accepte de rentrer en négociation sur le PSE. Il sera réduit à 485 postes, avec un projet industriel à la clef. L’entreprise obtient en contrepartie une baisse des coûts de 12 millions d’euros, via notamment le gel d’avantages sociaux pendant trois ans. 455 personnes se portent volontaires au départ.
« Le Covid a sans doute bon dos… »
« Tout se passait plutôt bien » se souvient Philippe Petitcolin, porte-parole de l’intersyndicale de l’usine, secrétaire du comité social et économique et délégué CFE-CGC. Mais « avec le Covid-19 », l’entreprise est revenue à la charge avec des intentions moins clémentes. A cause de l’épidémie, 65.000 heures de travail n’ont pas été réalisées et la direction décide de délocaliser 40.000 heures de production. « Elle a profité des nouveaux décrets mis en place par le gouvernement, qui permettent de délocaliser en urgence » selon le représentant des salariés, qui craint « la fermeture du site ». Et de dénoncer :
Avant le Covid, il y avait deux mois de discussion avec les syndicats. Avec le Covid, on peut délocaliser une usine en 11 jours !
« Il faut que les accords signés soient respectés. GE argumente avec le Covid pour délocaliser. Mais il a sans doute bon dos… » dénonce aussi Cédric Perrin. Le sénateur du Territoire de Belfort entend « alerter l’Etat sur les difficultés qu’on rencontre ».
« La direction est revenue en arrière par rapport à mercredi et a commencé en disant qu’il fallait délocaliser »
Bercy suit le sujet. Mercredi, Philippe Petitcolin a participé à une réunion en visio avec le ministère de l’Economie. Il en ressort rassuré. « On a obtenu de Bercy que la réunion prévue le lendemain avec GE se transforme en réunion de négociation pour garder des heures de travail à Belfort ». GE semble reculer en partie. Une éclaircie de courte durée. Car le lendemain, c’est la douche froide. « Ça s’est très mal passé. La direction est revenue en arrière par rapport à mercredi et a commencé en disant qu’il fallait délocaliser, en étudiant à peine nos propositions. Ils disent que 23.000 heures ne sont pas discutables » annonce à publicsenat.fr Philippe Petitcolin.
Globalement, il dénonce « constamment un double langage de GE. Depuis des mois, il n’y a pas de dialogique social, on nous impose toutes les décisions et il faut donner son avis très rapidement. Et devant le gouvernement, ils tiennent un discours très différent. Ils étaient ouverts à la discussion et là, plus du tout… »
« Ce qui se passe, c’est le début de la délocalisation de l’usine de Belfort mais avec des arguments fallacieux »
Le porte-parole de l’intersyndicale appelle aujourd’hui l’Etat à taper du poing sur la table. Depuis la loi Pacte, dans le domaine de l’énergie, « si un accord n’est pas respecté, le ministre de l’Economie a un pouvoir de police et peut infliger jusqu’au double du montant de l’acquisition, sans passer par un juge ». Soit une amende de 24 milliards d’euros, pour un rachat d’Alstom de 12 milliards d’euros. « Or Bruno Le Maire n’a pas menacé de le faire » regrette Philippe Petitcolin. Il ajoute :
On demande au gouvernement d’intervenir, sinon on va devoir redéposer un recours contre l’Etat pour qu’il intervienne.
Les délocalisations de la réparation des rotors des turbines se feraient aux Etats-Unis et en Arabie Saoudite. En réalité, cette volonté forcenée de délocaliser s’explique, selon Philippe Petitcolin, par le souhait de GE de concentrer ses efforts sur son usine américaine, en difficulté. « Il y a une baisse de marché de la turbine à gaz. Et le site des Etats-Unis est en baisse de charge. Pour nous, ce qui se passe, c’est le début de la délocalisation de l’usine de Belfort. Mais avec des arguments fallacieux. Un coup c’est le marché, un coup c’est le Covid, un coup on n’est pas assez compétitif » d’indigne le porte-parole de l’intersyndical, qui attend que Bercy turbine vite, pour rappeler General Electric à ses engagements.