À Reims, Marine Le Pen met en scène son duel avec Emmanuel Macron

À Reims, Marine Le Pen met en scène son duel avec Emmanuel Macron

Dans une salle remplie, mais pas à ras bord, Marine Le Pen a essayé de construire son duel avec Emmanuel Macron. Une stratégie de 2ème tour, mais surtout un moyen de renvoyer Éric Zemmour à sa stratégie d’union des droites et à un parti LR poreux avec la macronie depuis le début du quinquennat.
Louis Mollier-Sabet

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À Reims, « berceau de notre histoire millénaire » et de la (con) fusion des pouvoirs politiques et religieux dans le couronnement des rois de France, « Marine » joue devant ses militants une carte un peu mystique : « Il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. Moi j’y crois. […] Je suis tombée, je me suis toujours relevée, je suis prête. » La référence conjuguée au « berceau » des rois de France et à Louis Aragon, écrivain communiste et Résistant est ambitieuse. Les deux vers célèbres de La Rose et le Réséda (« Celui qui croyait au ciel / celui qui n’y croyait pas ») rendent hommage aux communistes Gabriel Péri et Guy Môquet ainsi qu'aux chrétiens Gilbert Dru et Honoré d'Estienne d'Orves, unis dans la Résistance par-delà les clivages religieux. Marine Le Pen, elle, décide de choisir.

Ce n’est pas la première référence un peu disruptive de la journée côté RN. Andrea Kotarac, transfuge de la France Insoumise, a ainsi déclaré un peu plutôt dans la matinée que si Jaurès était encore en vie, il voterait Marine Le Pen en 2022. Depuis Nicolas Sarkozy en 2007, Jean Jaurès est habitué aux « héritiers » inattendus. Mais ici, plus qu’un coup de com' d'un cadre du RN venu de la gauche de la gauche – tentant peut-être aussi de résoudre certaines dissonances cognitives – on est face à une stratégie bien ficelée du Rassemblement national conçue pour instaurer un nouveau « clivage » politique et refaire le match de 2017 entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

« L’union des droites est un clivage passéiste »

Jordan Bardella, qui est intervenu juste avant Marine Le Pen, a profité de sa prise de parole pour théoriser ce clivage entre « un bloc élitaire » et un « bloc populaire », dont le RN aurait « pris la tête. » Ce n’était probablement pas le meilleur moyen de chauffer la salle après une longue après-midi de tables rondes et de très nombreuses prises de parole des cadres du parti, mais au niveau de la stratégie politique du RN, l’intervention de son président était riche d’enseignements. Jordan Bardella en appelle au « Nouveau monde » en rappelant que le « clivage gauche-droite » a bien vécu. Au-delà d’une polarisation du champ politique entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen qui ferait d’elle la seule alternative, sorte de « TINA » populiste, ce dépassement d’un clivage « passéiste » permet à Jordan Bardella de ringardiser – sans le dire – Éric Zemmour : « J’entends certains depuis quelques semaines parler de l’Union des droites. Mais c’est un clivage passéiste. Le 10 avril, vous ne choisirez pas entre la droite et la gauche, vous voterez pour un enjeu de civilisation : les patriotes contre les mondialistes, le peuple éternel contre l’arrogance des élites qui n’ont que le souci d’elles-mêmes et pas de la France et des Français. »

D’une pierre, deux – voire trois – coups, le RN éclipse Valérie Pécresse et Éric Zemmour, ses concurrents de droite, en renvoyant Valérie Pécresse, une « Hidalgo de droite » à Emmanuel Macron. De même, Éric Zemmour se retrouve associé à Valérie Pécresse : « Êtes-vous tentés par un gouvernement avec Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou Renaud Muselier comme ministres ? » lance Jordan Bardella, profitant de la fusion des listes LREM et LR aux élections régionales en PACA pour discréditer la stratégie d’union des droites d’Éric Zemmour. Ainsi, les autres concurrents de Marine Le Pen ont le droit à quelques phrases dans son discours, alors que toutes les premières minutes sont consacrées à l’attaque du bilan d’Emmanuel Macron, tant au niveau économique qu’au niveau sécuritaire. Marine Le Pen dépeint un quinquennat ayant laissé « un sentiment d’abandon et de dépossession », « une morosité » et une « dépression sociale et psychologique. » « Emmanuel Macron n’est pas seulement méprisant, il est déprimant » conclut Marine Le Pen, en faisant huer une « France orange macronique. »

« Ce projet est en totale opposition avec celui d’Emmanuel Macron et de son clone Valérie Pécresse. » Et Éric Zemmour ?

Là aussi, la candidate du RN tente un retournement sémantique. Le Rassemblement national étant souvent qualifié par ses adversaires de camp du repli, Marine Le Pen a souvent tenté dans son discours de jouer sur l’espoir, en réaffirmant sa détermination face à « aux élites qui empoisonnent la belle et ardente âme française. La France n’est pas condamnée au déclin », martèle-t-elle. Et pour ce faire, elle a décliné une large partie de son programme, l’empêchant ainsi d’aller vraiment au fond des choses, en évoquant tour à tour l’immigration, le pouvoir d’achat, la santé, la fraude, la défense, l’agriculture et les jeunes.

De toute façon, le programme du RN est presque défini par la négative : « Vous l’avez compris, ce projet est en totale opposition avec celui d’Emmanuel Macron et de son clone Valérie Pécresse. Quand le premier ruine la France, la seconde trompe ses électeurs. » Pas de mot de conclusion, en revanche, pour celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. En même temps, Jordan Bardella a martelé toute la journée que « [son] adversaire n’était pas Éric Zemmour, mais Emmanuel Macron. » On a bien compris que dans la primaire sauvage qui se déroule en ce moment à l’extrême droite, le RN la jouait défensif face à un concurrent particulièrement clivant. La question étant : à force de jouer le 2ème tour face à Emmanuel Macron, Marine Le Pen ne risque-t-elle pas de ne jamais pouvoir refaire le match de 2017 ?

>> Lire aussi : À Reims, le RN tente de se retrouver, alors que Zemmour est sur toutes les lèvres

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