Accès aux archives : les sénateurs dénoncent « un recul historique »
Le Sénat a voté hier un article réformant le régime d’accès aux archives secret-défense dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement. Cinq groupes parlementaires s’y sont opposés, contre le gouvernement, la droite sénatoriale et la majorité présidentielle.

Accès aux archives : les sénateurs dénoncent « un recul historique »

Le Sénat a voté hier un article réformant le régime d’accès aux archives secret-défense dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement. Cinq groupes parlementaires s’y sont opposés, contre le gouvernement, la droite sénatoriale et la majorité présidentielle.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Dans la nuit de mardi à mercredi, le Sénat a adopté un article modifiant le régime d’accès aux archives secret-défense dans le cadre de l’examen de la loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement. Cinq groupes s’y sont opposés dénonçant « un recul historique ». L’émoi s’est aussi fait entendre dans la communauté des chercheurs et des archivistes au lendemain de ce vote, ces derniers évoquant « une nuit noire pour les archives ».

L’article dont il est question généralise l’accès aux archives classées secret-défense au bout de cinquante ans, mais élargit le champ des exceptions. « Cette loi ne ménage pas une conciliation équilibrée entre le droit d’accès aux archives et la nécessité constitutionnelle de protéger les intérêts fondamentaux de la nation », a soutenu la ministre des Armées, Florence Parly. Comme elle le précise, l’article 19 établit « quatre nouvelles catégories pour lesquelles il n’est pas possible de fixer par avance un délai au-delà duquel toute sensibilité aurait disparu ».

Ces catégories concernent les documents relatifs à certaines infrastructures militaires ou civiles, dont la diffusion des plans, tant qu’elles sont en service, affecterait significativement la sécurité nationale ; ceux sur l’emploi des matériels de guerre, jusqu’à la fin de leur usage ; ceux concernant les procédures opérationnelles et les capacités techniques des services de renseignement, tant qu’elles sont en vigueur, et ceux sur la mise en œuvre et les moyens de la dissuasion nucléaire.

Les documents sensibles ne pourront être accessibles au public qu’après leur « perte de valeur opérationnelle ». Une notion excessivement floue pour le sénateur socialiste, Jean-Pierre Sueur. Par ailleurs, seules les autorités administratives seront en mesure de mettre fin à la classification, ce qui induirait de fait « un allongement inédit des délais de communication », dénonce l’ancien président de la commission des Lois.

« Ce qui est en cause, c’est le droit des historiens à faire l’histoire »

« Ce qui est en cause, c’est le droit des historiens à faire l’histoire », tempête le sénateur socialiste qui dénonce une remise en cause de la loi de 2008 qui permettait jusqu'à présent la communication de tous documents protégés par le secret-défense au-delà de 50 ans, sauf dans le cas où leur publicité constituait une grave menace pour la sécurité du pays.

Le cadre de la loi 2008 sur la communication des archives publiques n’était pas en tout point parfait, rappelle la sénatrice écologiste, Esther Benbassa. « L’administration empêchait déjà l’accès aux archives dites sensibles, ce n’est pas nouveau, mais là c’est pérennisé ». La sénatrice renvoie aux conclusions du rapporteur du Conseil d’Etat, rendues le 17 juin dernier suite à la saisine d’un collectif d’historiens et d’archivistes.

Ce collectif dénonçait « une entrave à la liberté des chercheurs de documenter le passé de la France et d’exercer leur activité ». Une entrave rendue possible par l’application du texte règlementaire IGI 1300 qui empêche la déclassification automatique des archives de plus de 50 ans. Dans ses conclusions, le rapporteur a jugé « illégale » l’application faite de ce texte réglementaire.

Le rapporteur public a également estimé que la nécessité de cette déclassification n’existait « que dans l’esprit du secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale », qu’elle avait été « inventée pour les besoins de la cause » au moment même où s’ouvraient les archives de la guerre d’Algérie. Dans ses conclusions, il fait référence à l’article 19 en proposant un cadre d’exception plus étroit et borné aux cas de « menace grave pour les intérêts fondamentaux de la nation ». Une position qui n’aura pas influé sur l’examen du texte au Parlement.

« Si on veut une histoire avec ces pages sombres et ces pages glorieuses, on ne peut pas faire ça ! »

« Lors de la remise du rapport de Benjamin Stora (historien de la guerre d’Algérie), le président de la République avait dit qu’il ferait tout pour ouvrir les archives, ce n’est pas le cas », soulève la sénatrice écologiste, Esther Benbassa. Universitaire de formation, elle s’inquiète des effets qu’aura ce texte : « Si on veut une histoire avec ces pages sombres et ces pages glorieuses, on ne peut pas faire ça ! Comment écrire l’histoire sans avoir accès aux archives des renseignements ? »

Cinq groupes parlementaires (le Rassemblement démocratique et social européen, l’union centriste, les socialistes, le groupe communiste et le groupe écologiste), à l’exception de la majorité présidentielle et des Républicains, ont déposé des amendements identiques pour revenir sur ce texte. La sénatrice centriste, Catherine Morin-Desailly, a dénoncé « un recul historique dans le principe de libre communicabilité des archives ».

Pourtant en majorité ce soir-là dans l’hémicycle, ces amendements ont été rejetés l’un après l’autre dans une ambiance électrique. « Il y a eu huit scrutins publics successifs, c’est assez triste comme procédure », regrette Jean-Pierre Sueur. Des scrutins publics qui ont « compensé l’absence de la majorité sénatoriale » au Sénat, « c’était un fiasco », déplore Esther Benbassa. Reste désormais une dernière voie : la saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires.

Partager cet article

Dans la même thématique

capture Le Luron
3min

Politique

Les « films de l’été » 1/8 : Thierry Le Luron, un pionnier de l’humour politique ? 

« C’était un petit surdoué, une sale gosse d’une impertinence rare » se souvient Michel Drucker… Chanteur lyrique de formation, devenu imitateur et comique, Thierry Le Luron a marqué par sa brève carrière le paysage culturel et médiatique des années 70 et 80. Tissé d'interviews de ceux qui l’ont connu ou admiré et de larges extraits de sketchs, le documentaire de Jacques Pessis « Le Luron en campagne » diffusé cet été sur Public Sénat montre combien Thierry Le Luron était insolent à une époque où l'humour n’était pas aussi libre qu’on pourrait le penser aujourd’hui.

Le

Restos du Coeur depot departemental des Alpes-Maritimes
7min

Politique

Les associations seront-elles sacrifiées par le serrage de vis budgétaire ?

Il l’a annoncé mardi, François Bayrou veut faire 43,8 milliards d’euros d’économies. Tous les ministères sont priés de contribuer à l’effort, sauf la défense, la sécurité, la santé et l’écologie. Une des missions qui voit ses crédits diminuer, c’est la mission Sport, jeunesse et vie associative. Cette baisse, conjuguée à la baisse des crédits alloués à la mission Aide publique au développement est un mauvais signal pour les associations françaises, qui sont déjà dans une mauvaise passe. En France, le 1,27 million d’associations sont financées de trois manières : par les subventions de l’Etat, des collectivités locales et par les dons, qui permettent de bénéficier de réduction d’impôts. L’inspection générale des finances chiffre à 53 milliards d’euros le financement public alloué aux associations en 2023. -17,6 % sur la mission Sport, jeunesse et vie associative La mission Sport, jeunesse et vie associative finance de très nombreux dispositifs : la politique en faveur du sport, des Jeux olympiques de 2030, de la politique en faveur de la jeunesse mais aussi de la vie associative. D’autres missions budgétaires participent à ce financement, comme l’Aide publique au développement. Or, ces deux missions voient leurs crédits diminuer dans le projet de budget pour 2026. Dans le tiré à part, le document qui liste les dépenses prévues pour chaque mission budgétaire, présenté le 15 juillet, les crédits de la première sont prévus à 1,2 milliard d’euros pour 2026, contre 1,5 milliard en 2025, soit une baisse de 300 millions d’euros. Pour l’APD, c’est une baisse de 700 millions d’euros. Pour Éric Jeansannetas, sénateur PS de la Creuse et rapporteur des crédits de la mission Sport, jeunesse et vie associative au Sénat, cette baisse est « extrêmement inquiétante ». « C’est une baisse de 300 millions d’euros sur un budget de 1 700 millions, la plus petite mission du budget. On la sacrifie, c’est elle qui perd le plus de crédits en proportion », juge-t-il. Cela inquiète les associations. « 300 millions d’euros, c’est -17,6 % », s’inquiète Pauline Hery, chargée de plaidoyer à France Générosités, « cela montre un recul du financement de la solidarité ». Mais à ce stade, il est difficile pour elle de savoir à quoi s’attendre, le budget n’en est qu’au début de son parcours. Elle n’est pas très optimiste : « On s’attend à des baisses, on sait qu’il y aura des efforts à faire partout ». Lors de son audition devant le Sénat le 16 juillet dernier, Amélie de Montchalin l’a pourtant sous-entendu : ces 300 millions d’euros de baisse ne toucheront pas directement les associations. « 100 millions concerneront l’unification des guichets d’aides aux collectivités territoriales en matière d’équipements sportifs », a-t-elle expliqué. Elle a également assuré que le Service national universel ne serait « pas pérennisé dans sa forme actuelle ». Une explication qui n’a pas convaincu Éric Jeansannetas. « L’année dernière, nous étions tous d’accord au Sénat pour maintenir les crédits de la mission, l’engagement associatif, ce n’est ni de droite ni de gauche », justifie-t-il. 6 % du financement des associations provient d’une niche fiscale Le point d’attention principal du secteur associatif se trouve sur la niche fiscale dont il bénéficie. Pour toutes les associations reconnues d’utilité publique en France, les dons ouvrent le droit à une réduction d’impôts de 66 % du montant donné, dans la limite de 20 % du revenu imposable. Une autre disposition existe pour les associations d’aide aux personnes en difficulté ou victimes de violences, la niche « Coluche » : la réduction d’impôt s’élève alors jusqu’à 75 % du montant, dans la limite de 1 000 €, après quoi le dispositif à 66 % s’applique. Ces deux dispositifs fiscaux représentent 6 % du financement des associations françaises. L’inspection générale des finances a publié, le 16 juillet dernier, un rapport de revue des dépenses publiques en direction des associations. Il pointe une forte augmentation de celles-ci, de 44 % entre 2019 et 2023. S’il reconnaît que « les associations du secteur social, […] paraissent fragilisées par l’inflation et l’augmentation de leur masse salariale », il propose néanmoins de faire un à trois milliards d’euros d’économies. Parmi les pistes de réforme, l’IGF émet l’idée de supprimer la niche « Coluche » et d’abaisser le plafond d’exonération d’impôt de 20 % du revenu à 2000€. Il propose aussi de réformer le crédit d’impôt mécénat, qui s’adresse aux entreprises, en passant d’un système de réduction d’impôt à un système de déduction (c’est l’assiette initiale qui est déduite du montant). Devant ce texte, les associations ont fait part de leur vive inquiétude. « Nous avons été particulièrement alertés par ce rapport. La mise en place des mesures concernant la niche fiscale et le mécénat d’entreprise engendreraient une diminution de 19 à 26 % de la générosité déclarée dans le pays », explique Pauline Hery. Devant l’inquiétude du secteur, François Bayrou a assuré que les dispositifs fiscaux n’étaient pas en danger. « Nous allons y rester attentifs », assure-t-elle. Plus de subventions des collectivités locales ? Autre source d’inquiétude pour les associations : les économies demandées aux collectivités locales, à hauteur de 5,3 milliards d’euros. Elles sont elles aussi pourvoyeuses de financement, et la contrainte sur leur budget risque également de diminuer les subventions. D’après le rapport de l’IGF, en 2023, 49 % des financements publics des associations provenaient des communes, départements et régions. Au sein des collectivités territoriales, ce sont les départements qui pèsent le plus dans les budgets des associations, car ils sont en charge de la politique sociale, et délèguent leurs missions à de nombreuses associations. « Les cinq milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales vont mettre un frein aux subventions aux associations », prédit le sénateur socialiste, « les premières victimes de ces réductions budgétaires, ce sont les associations culturelles, sportives ». « Cela nous inquiète depuis l’année dernière », explique Pauline Hery. Les subventions des collectivités, fortement contraintes budgétairement depuis l’augmentation rapide de l’inflation, ont déjà été coupées dans certains cas. « Nous avons beaucoup d’exemples de collectivités qui ont drastiquement coupé les financements des associations dans le secteur de la culture, par exemple. Quand on demande de l’effort aux collectivités territoriales, les associations sont en première ligne sur ces coupes », raconte-t-elle. « Si les financements de la vie associative baissent, cela se répercutera sur les missions d’intérêt général qu’elles mènent » La morosité budgétaire ambiante inquiète. Les coupes budgétaires, combinées à l’année blanche annoncée par le Premier ministre font craindre une augmentation de la pauvreté et des besoins d’aide, par exemple alimentaire. « Si les financements de la vie associative baissent, cela se répercutera sur les missions d’intérêt général qu’elles mènent, et elles devront être remplies par l’Etat, ce qui coûtera plus cher et risque de détruire le tissu social », regrette Pauline Hery, « on a du mal à comprendre que les associations soient mises en première ligne des économies ». Éric Jeansannetas abonde : « Il y aura un retrait des collectivités territoriales des associations d’insertion sociale. Les politiques en direction des jeunes vont être sacrifiées dans ce budget qui va nous être présenté. Cela met en péril nos politiques publiques ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, tout reste encore ouvert. La version finale du budget, s’il est voté en temps et en heure, a rarement été aussi imprévisible.

Le

PARIS, Conseil constitutionnel, Constitutional Council, Palais Royal
7min

Politique

Municipales : après le dépôt de plusieurs recours, l’avenir de la loi « Paris-Lyon-Marseille » entre les mains du Conseil constitutionnel

Adoptée le 10 juillet, la proposition de loi visant à « réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille » doit désormais passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Au moins deux recours ont été déposés sur ce texte, dont l’un porté par la droite sénatoriale. Passage en revue des points litigieux.

Le

Paris: Les Jeunes Republicains au Parc Floral de Paris avec Valerie Pecresse
11min

Politique

Entre House of Cards et Kill Bill : les dessous de la législative partielle qui pourrait opposer Rachida Dati à Michel Barnier à Paris

Rien ne va plus dans la 2e circonscription de Paris, où les prétendants de marque se bousculent pour la législative partielle prévue à la rentrée. L’ancien premier ministre LR, Michel Barnier, vise cette circonscription en or pour « revenir dans l’arène », tout comme la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui pourrait en faire un « lancement de campagne » pour les municipales, sans oublier sa collègue du gouvernement, Clara Chappaz, pour Renaissance…

Le