C’est un « projet pilote ». Emmanuel Macron et le premier ministre britannique, Keir Starmer, ont annoncé jeudi 10 juillet un accord franco-anglais sur l’immigration. Depuis le début de l’année, plus de 21.000 migrants ont traversé la manche entre la France et l’Angleterre, dans des conditions extrêmement dangereuses, à bord de « small boats », ces embarcations gonflables surchargées, dont le nombre augmente. Au moins 15 personnes sont mortes depuis le début de l’année, en tentant la traversée de la Manche.
L’accord repose sur le principe du « un pour un ». La France accepte que les personnes ayant traversé et qui ne remplissent pas les conditions soient renvoyées sur notre territoire. En échange, Londres accepte d’accueillir le même nombre de personnes se trouvant en France, qui souhaitent venir en Grande-Bretagne et éligibles à l’asile, du fait de leur nationalité ou par regroupement familial. La demande devra être faite en ligne. François et Britanniques n’ont « pas d’autres choix que de travailler ensemble », soutient Emmanuel Macron, qui y voit un accord « pragmatique ». Pour Keir Starmer, il est même « révolutionnaire ».
L’accord va « aggraver la situation », dénonce Xavier Bertrand
Pour les sénateurs, pas vraiment. Les élus de la Haute assemblée interrogés sont pour le moins circonspects. Même à droite, l’accord ne convient pas forcément. Et encore moins chez les élus des Hauts-de-France. L’accord va « aggraver la situation », dénonce Xavier Bertrand, président LR de la région. Les Anglais vont choisir « qui va rester au Royaume-Uni » et « qui va retourner en France et en Europe », ils « auront l’immigration choisie et nous, on va avoir l’immigration subie », dénonce-t-il sur BFMTV.
Aux premières loges, la maire de Calais, Natacha Bouchart, est tout aussi critique. « Je suis très en colère et abasourdie de voir qu’il n’y a aucune considération pour la maire que je suis, pour les maires de littoral et pour les habitants du littoral », dénonce l’ex-sénatrice LR sur franceinfo, « il n’y a eu aucune concertation ».
« Le rôle de Frontex doit être renforcé. Le flux migratoire ne peut pas se gérer uniquement de la Côte d’Opale », selon Jean-François Rapin
« Bien sûr, je comprends cet émoi. C’est une situation qui dure depuis presque 20 ans, avec des hauts et des bas. Le fait de ne pas voir de lumière au bout du tunnel, c’est pour les élus de ce territoire, et de tout le littoral, difficile. La situation est lourde à supporter », confirme le sénateur LR du Pas-de-Calais, Jean-François Rapin.
Sur le fond, le président de la commission des affaires européenne du Sénat « attend les précisions sur ce que sera le « un pour un ». C’est sûr, que ce n’est pas forcément un avantage pour les Français. Si on reste sur les chiffres actuels, il faut intégrer une dizaine de milliers de migrants. La question, c’est de voir nos capacités d’accueil et la façon dont ça peut se faire côté anglais ».
Pour Jean-François Rapin, « il faut voir comment essayer d’appliquer les éléments du pacte migratoire, tel qu’il a été porté. Et l’essentiel du problème, c’est aussi dans la surveillance des frontières extérieures. Le rôle de Frontex doit être renforcé. Le flux migratoire ne peut pas se gérer uniquement de la Côte d’Opale, pour aller vers l’Angleterre ».
Ce proche de Xavier Bertrand, qui était invité durant les deux premiers jours de la visite d’Etat d’Emmanuel Macron, notamment lors de son discours devant la Chambre des Lords, explique que durant ses « échanges avec les parlementaires britanniques, ça se termine toujours par ces questions migratoires », qui préoccupent des deux côtés de la Manche.
« Je conçois difficilement en quoi cet accord va permettre une baisse massive des migrants », pointe le sénateur LR Stéphane Le Rudulier
Pour le sénateur LR Stéphane Le Rudulier, « il faut surtout une politique migratoire européenne, clairement. Car cet accord n’interrompt pas le flux. C’est juste un accord entre deux pays qui sont sujets aux mêmes pressions migratoires. A partir du moment où nous n’avons pas de stratégie migratoire avec les pays sources, notamment du Maghreb, je conçois difficilement en quoi cet accord va permettre une baisse massive des migrants en France et en Angleterre. Si c’est pour se renvoyer les migrants d’un pays à l’autre pays européen, je ne vois pas trop l’utilité. Mais il y a peut-être des subtilités qui m’échappent », réagit le sénateur LR de la commission des lois. Il voit cependant une utilité à l’accord : s’il limite les filières des passeurs. « Si c’est pour sauver des vies, je suis favorable à cet accord », affirme Stéphane Le Rudulier.
Mais plutôt que cet accord, il aurait « préféré un accord franco-algérien, marocain ou tunisien, ou entre l’Europe et ces pays, pour dire qu’on essaie de réguler l’immigration et faire du codéveloppement. Ces personnes viennent car ils fuient la misère dans leur pays ».
« J’ai du mal à comprendre en quoi ce nouvel accord constitue une véritable amélioration » affirme Corinne Narassiguin
La socialiste Corinne Narassiguin est encore plus critique. « Ça me semble assez déconnecté des réalités, de ce que j’ai pu constater en travaillant sur la mission d’information sur les accords migratoires passés par la France, même si je me suis retiré du rapport comme rapporteure. Sur les accords qui existent, il est clair que ça ne fonctionne pas. Il faut une amélioration. Mais j’ai du mal à comprendre en quoi ce nouvel accord constitue une véritable amélioration », soutient la sénatrice PS de Seine-Saint-Denis. « On a pu constater la créativité sans fin des passeurs. A partir du moment où on a une approche purement sécuritaire, on pense avoir trouvé une solution pour régler un problème de passage, mais ils en trouvent un autre ». Elle ajoute :
Corinne Narassiguin remarque aussi « la détermination des personnes. Elles savent qu’elles risquent leur vie et essaient de passer. Il y a une attractivité du Royaume-Uni », si bien qu’« on les refoule mais ils restent là ». Mais elle souligne qu’« en réalité, le Royaume-Uni absorbe une bonne partie de cette immigration illégale pour raisons économiques. Mais ils ne veulent pas l’admettre ».
« Il faut arrêter l’hypocrisie et admettre qu’il faut des voies de passage légales », demande la socialiste, sans oublier la question des mineurs isolés, « qui seront régularisés s’ils traversent. Autant éviter qu’ils risquent leur vie ». « Si on ne prend pas le problème dans son entièreté, il ne peut y avoir que des améliorations à la marge », conclut la sénatrice PS.
« On peut parfois s’interroger sur un racisme d’Etat », pointe Guillaume Gontard
Le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, se dit lui « choqué par la manière d’aborder la question. On ne met pas les vrais mots. On parle de question migratoire, d’un problème à résoudre. On parle de un pour un, sans jamais parler d’hommes, de femmes, d’enfants, qui sont des exilés. Derrière, il y a une détresse humaine », pointe le sénateur de l’Isère, qui dénonce : « On dit un pour un, comme si c’étaient des paquets, des marchandises. On a l’impression que c’est un accord commercial, qui vient d’être passé. Ça me choque profondément ».
Il craint que « comme en Italie, on va se renvoyer à la frontière les migrants, dans un jeu de ping-pong. On va faire pareil en France et en Angleterre, entre les bons migrants qui pourraient rester et d’autres qu’on leur donne ». Pour Guillaume Gontard, il faut « travailler la question de l’accueil, comment avoir la capacité d’accueillir ces exilés. Quand je vois ce qu’on a mis en place pour les Ukrainiens, sur l’ensemble du territoire, avec la protection temporaire, qui leur permet de travailler et donc d’avoir accès à un logement, et être accompagné, ça fonctionne très bien ». Il continue : « Pourquoi on aurait un double discours sur les migrants ? Je ne veux pas mettre ça derrière des questions raciales, mais on peut parfois s’interroger sur un racisme d’Etat », dénonce le président du groupe écologiste. Pour Guillaume Gontard, « on oublie notre humanité ».