Affaire Bayou : cette sénatrice quitte Les Ecologistes, profondément choquée de voir son parti incapable de reconnaître une décision de justice Ghislaine Senée

Affaire Bayou : cette sénatrice quitte Les Ecologistes, « profondément choquée de voir son parti incapable de reconnaître une décision de justice »

INTERVIEW - Auprès de Public Sénat, la sénatrice Ghislaine Senée revient sur sa décision de quitter Les Ecologistes. Elle se dit « profondément choquée » par la manière dont la direction a réagi à la décision de justice qui blanchit l’ex-secrétaire national Julien Bayou, poursuivi pour harcèlement moral et abus de faiblesse. L’élue dénonce également le poids grandissant des « ultra-féministes » au détriment du discours écologiste.
Romain David

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C’est une affaire qui agite Les Ecologistes (ex-EELV) et bouscule la direction du parti depuis trois ans. Le 20 février, les deux plaintes déposées contre Julien Bayou, ex-secrétaire national, par son ex-compagne pour harcèlement moral et abus de faiblesse ont été classées sans suite pour « absence d’infraction » par la justice. L’affaire avait été révélée à l’été 2022, d’abord par un article du Figaro, puis par des déclarations de la députée EELV de Paris, Sandrine Rousseau, quelques mois plus tard sur le plateau de C à vous, dénonçant des « comportements de nature à briser la santé morale des femmes ».

Depuis, la gestion par la direction des Ecologistes de cette crise, qui a mis fin à la carrière politique de l’une des figures de proue du parti, a été largement pointée du doigt ; deux enquêtes internes ont été successivement lancées, dont l’une doublée d’un appel à témoignage adressé à quelque 12 000 personnes. Une « procédure dégueulasse, détestable », selon Julien Bayou.

Dans un communiqué publié le 22 février, le parti indique « regretter que cette affaire, amplifiée par sa médiatisation, ait pu occasionner des souffrances et des conséquences négatives sur la vie de Julien Bayou ». Une réaction tardive et laconique pour certains adhérents, à l’image de la sénatrice Ghislaine Senée, ancienne présidente du groupe écologiste au conseil régional d’Ile-de-France, qui a claqué la porte du parti cette semaine.

Vous avez choisi de quitter les Ecologistes, envisagez-vous de rejoindre une autre formation politique ?

« J’ai effectivement décidé de quitter Les Ecologistes, même si certains le déplorent. Mon but n’est pas de rejoindre un autre parti, je continue de siéger au sein du groupe écologiste au Sénat, car mon combat reste avant tout l’écologie. J’ai attendu plusieurs jours avant de m’exprimer car je voulais être certaine de ma décision, mais plus j’avance et plus je pense qu’il faut dire les choses sur certains dysfonctionnements.

Vous liez votre décision à la réaction du parti après le classement sans suite de l’enquête visant Julien Bayou. Que reprochez-vous aux instances dirigeantes des Ecologistes ?

J’attendais beaucoup de la réaction du parti face à une décision de justice qui est très claire. D’autant que la veille, un comité politique avec été convoqué en urgence et nous avions été nombreux à prendre la parole pour dire qu’il fallait, le cas échéant, présenter des excuses officielles sur la manière dont Julien Bayou avait été traité. Finalement, le communiqué a mis plusieurs jours à sortir, et quand il est arrivé, j’ai estimé qu’il n’était pas du tout à la hauteur, sans doute parce qu’il y a eu certaines pressions.

 On n’attaque pas un homme qui a été innocenté 

Mon engagement a toujours été motivé par des valeurs et je suis profondément choquée de voir que le collectif n’est pas capable de reconnaître une décision de justice. On n’attaque pas un homme qui a été innocenté. Je précise que Julien Bayou n’est pas un ami, mais un simple collègue. [Ghislaine Senée a présidé le groupe de Julien Bayou au Conseil régional d’Ile-de-France de 2021 à 2023, ndlr].

Avez-vous parlé de votre décision à Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Ecologistes ? A-t-elle essayé de vous retenir ?

J’ai eu une discussion avec elle. Marine m’a proposé d’attendre encore quelques jours avant d’en reparler, mais ma décision était déjà prise. J’étais adhérente depuis 2010, et je peux vous dire que c’est une sensation particulière après toutes ces années de se réveiller, un matin, sans parti. C’est une structure, un accompagnement, une manière de travailler…

Sur franceinfo, Marine Tondelier a exprimé des « regrets » sur cette affaire, expliquant ne « pas en avoir dormi pendant des nuits ». Mais elle estime aussi avoir agi selon la marge de manœuvre qui était la sienne, prise entre une plainte de l’ex-compagne de Julien Bayou pour non-assistance à personne en danger et une plainte de Julien Bayou pour harcèlement. Que pensez-vous de sa réaction ?

Nous avons un fonctionnement particulier chez Les Ecologistes. Derrière Marine Tondelier, il y a un bureau exécutif qui travaille avec elle, de nombreuses décisions sont prises de manière collective. Je tiens donc à dire, à propos des attaques dont elle est la cible, qu’il faut arrêter de tout personnifier.

Pourtant, cette affaire vient aussi fragiliser sa position à la tête du parti…

Être secrétaire nationale des Ecologistes, il faut le vouloir, c’est un sacerdoce. D’autant que Marine Tondelier fait face à un calendrier compliqué avec l’arrivée du congrès. Je ne remets en cause ni son engagement ni son investissement au service du parti. Il y a longtemps que nous n’avions plus eu une incarnation aussi médiatique à la tête des Ecologistes.

Marine est dans son rôle de rassembleuse mais à force d’essayer de mettre tout le monde d’accord, je pense que nous sommes en train de perdre une ligne claire. Je lui ai dit : ‘Ta situation à l’intérieur du parti est la même qu’à l’extérieur. Dehors, tu es coincée entre les insoumis et les socialistes, et ici entre les ultra-féministes et les anciens militants… Et tu essayes de retenir tout le monde.’

Vous parlez des « pressions » qui peuvent s’exercer au sein de la direction et du poids des « ultra-féministes ». De son côté, Julien Bayou a estimé sur France Inter que « les Ecologistes, [étaient] sous l’emprise de Sandrine Rousseau ».

Le combat féministe est juste, mais il y a peut-être une forme de disproportion aujourd’hui au sein des Ecologistes. Beaucoup d’ultra-féministes montent dans l’appareil du parti face à ceux qui estiment que le discours écologique doit continuer d’être mis en avant, et aujourd’hui, dénoncer ce déséquilibre, c’est passer pour antiféministe !

 Je ne me reconnais plus dans l’écoféminisme que porte Sandrine Rousseau et d’autres autour d’elle. [...] Je déplore que l’on puisse utiliser les pressions, l’intimidation et même, dans certains cas, la manipulation pour faire bouger les lignes.  

Dans un long texte, Sandrine Rousseau estime que la résolution judiciaire de l’affaire Bayou ne doit pas éclipser la dimension politique du problème. Elle continue de dénoncer des comportements « qui relèvent du mécanisme caractéristique de la domination sexiste ». Que pensez-vous de son analyse ?

Je suis d’accord avec elle quand elle dit que c’est un sujet éminemment politique, pourtant je ne me reconnais plus dans l’écoféminisme que porte Sandrine Rousseau et d’autres autour d’elle. Il y a eu des évolutions ces dernières années, même si l’on peut estimer que les choses ne bougent pas assez rapidement. Il y a une bataille culturelle à mener, je suis bien placée pour le savoir en tant que femme qui évolue dans l’univers très masculin de la politique, mais je déplore que l’on puisse utiliser les pressions, l’intimidation et même, dans certains cas, la manipulation pour faire bouger les lignes. Finalement, ce sont les mêmes méthodes patriarcales que celles dénoncées dans son communiqué. Cette espèce de chasse vengeresse aux sorciers me laisse perplexe…

Votre décision de quitter les Ecologistes est-elle définitive ou pensez-vous pouvoir un jour regagner les rangs de votre famille politique ? Le congrès qui se tiendra en avril pourrait amener la clarification que vous appelez de vos vœux ?

Je ne crois pas, malheureusement, que le congrès suffise à remettre les choses en place, sinon je serais restée. »

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