Affaire Benalla : des sénateurs de la commission s’indignent du « procès » fait au Sénat
Le classement sans suite du signalement visant le directeur de cabinet du président de la République, le secrétaire général de l'Élysée ou encore l'ancien chef du GSPR, dans le cadre des auditions sur l’affaire Benalla, ne doit pas servir de revanche politique, selon plusieurs sénateurs. Ils soulignent le manque d’indépendance du parquet.

Affaire Benalla : des sénateurs de la commission s’indignent du « procès » fait au Sénat

Le classement sans suite du signalement visant le directeur de cabinet du président de la République, le secrétaire général de l'Élysée ou encore l'ancien chef du GSPR, dans le cadre des auditions sur l’affaire Benalla, ne doit pas servir de revanche politique, selon plusieurs sénateurs. Ils soulignent le manque d’indépendance du parquet.
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Le directeur du cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, ne sera pas poursuivi pour les soupçons de « faux témoignages », devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla. Le choix du parquet, de classer sans suite le signalement de la Haute assemblée, ne surprend pas les sénateurs. Mais ces derniers mettent en garde contre l’instrumentalisation de ce choix. Dans son communiqué, le procureur de la République souligne que la description des missions d’Alexandre Benalla à l’Élysée par Patrick Strzoda, ainsi que la fiche de poste transmise, ne permettent « pas de caractériser une altération de la vérité destinée à tromper la mission d'information ».

« Aucune infraction susceptible d’être imputée aux autres personnes citées dans le signalement n’a par ailleurs été mise en évidence par l’enquête conduite par les services de la police judiciaire » indique également le parquet au sujet d’Alexis Kholer, le secrétaire général de la présidence de la République, et de l’ancien chef du groupe de sécurité de la présidence de la République, le général Lionel Lavergne.

Les deux rapporteurs, Jean-Pierre Sueur (PS) et Muriel Jourda (LR), refusent de s’exprimer sur cette décision. Mais pour ce qui est des autres sénateurs à avoir pris part activement aux auditions, les langues se délient, pour défendre le travail de ces derniers mois. « Je ne suis pas très surpris, parce qu’un procureur juge en opportunité. Je pense que si les personnes entendues s’étaient exprimées de la même façon devant des magistrats, dans le cadre d’une instruction, ils auraient été poursuivis », réagit le sénateur (LR) François Grosdidier. « Dès lors que ce n’était pas tout blanc, ou tout noir – mais malgré tout gris foncé, on pouvait s’attendre à une absence de poursuite. »

La majorité présidentielle « ferait bien de calmer le jeu »

L’éventuelle perspective d’un retour de bâton vers le Sénat, sonne comme une provocation. Le sénateur de Moselle rappelle que la commission d’enquête n’a jamais emprunté de chemins tortueux. « Le pouvoir en place devrait se garder de faire le procès du Sénat […] Le Sénat a fait ce qu’il devait faire, il a saisi la Justice quand il devait le faire, comme l’a fait dans ces cas précédents. Il ne s’est jamais prononcé sur la culpabilité. Que le procureur classe, c’est son affaire. Que la majorité présidentielle en profite pour polémiquer en retour est parfaitement injustifié. Elle ferait mieux de calmer le jeu », s’agace-t-il.

Car selon des informations de Paris Match, provenant de l’entourage de Patrick Strzoda, le directeur de cabinet du président de la République aurait l’intention de « demander des excuses à Philippe Bas à titre personnel ». La même source, qui se réjouit de la décision de justice, y voit la preuve que les auditions sénatoriales n’étaient qu’une « opération politique ». Ce matin, sur Twitter, le député LREM Bruno Questel évoque un « premier désaveu judiciaire », et même des « errements politiciens ».

Si Patrick Strzoda « va jusqu’à demander des excuses, cela relèverait de l’inconscience »

Cette « arrogance » et cette « surenchère » reste en travers de la gorge du sénateur François Grosdidier. « À vouloir s’engager sur ce terrain, cela pourrait nous pousser à porter plainte et à nous constituer partie civile ! » Mais cette option d’un dépôt de plainte pour faux témoignage s’avère risquée, et donc quasiment inenvisageable. Elle aurait même peu de chances d’aboutir. « On pourrait reprocher au Sénat de s’acharner. Personne ne sortirait gagnant de ce type de procès, et cela ne renforcerait pas nos institutions », reconnaît le sénateur.

L’indiscrétion de Paris Match n’est pas de nature à calmer le jeu en tout cas. « Les excuses devraient être dans l’autre sens », réplique François Grosdidier. Et d’autres partagent sa stupéfaction. Comme la sénatrice écologiste Esther Benbassa. « La contre-offensive est lancée : il s'agit désormais de discréditer le Sénat. M. Strzoda veut les excuses du président Bas. En Macronie, c'est comme ça. On attend le moment où les gilets jaunes mutilés devront présenter les leurs aux forces de l’ordre. »

Si le directeur de cabinet « va jusqu’à demander des excuses, cela relèverait de l’inconscience. Il ferait mieux de faire profil bas », estime le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte, membre lui aussi de la commission des Lois.

« Pas certain que la crédibilité du parquet en sorte renforcée » 

Comme plusieurs de ses collègues, le sénateur pointe un manque d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif pose problème. « Quelque soient les motifs, il n’est pas certain que la crédibilité du parquet en sorte renforcée », a remarqué sur Twitter, la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie.

« Sur les affaires politiquement sensibles, le parquet sait parfaitement qui l’a nommé, toutes les décisions qu’il peut prendre – bonnes ou mauvaises – sont toujours entachées de suspicion », regrette Jean-Yves Leconte. Alors que la réforme institutionnelle est à l’arrêt, cette montre justement combien elle est nécessaire, pour « assurer une réelle indépendance du parquet », insiste-t-il.

Le Bureau du Sénat avait transmis le 21 mars à la Justice le cas de Patrick Strzoda, considérant qu’il y avait une « suspicion de faux témoignage » lors de l’audition de l’été 2018. Dans un courrier adressé à Gérard Larcher, le président de la commission d’enquête Philippe, et les deux co-rapporteurs, avaient relevé « un certain nombre d’omissions, d’incohérences et de contradictions ».

Si le cas de Patrick Strzoda est classé sans suite, cela ne signifie pas pour autant que l’affaire Benalla est terminée. Le procureur de la République a rappelé que le champ des investigations de la commission sénatoriale et les procédures judiciaires en cours se recouvraient en partie. Le signalement visant Alexandre Benalla et l’ancien réserviste Vincent Crase, sur la sincérité de leurs témoignages, fera « l’objet d’un nouvel examen », à l’issue de la fin des procédures.

Une information judiciaire est en cours sur les violences commises le 1er mai et sur l’emploi contesté des passeports diplomatiques d’Alexandre Benalla. Le Parquet national financier enquête, lui, sur les activités de l’oligarque russe Iskander Makhmoudov, et sur le contrat passé entre l'entreprise de sécurité de Vincent Crase, Mars, et une éventuelle collaboration d’Alexandre Benalla.

Revoir : Affaire Benalla, le Sénat mène l'enquête

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