Affaire Benalla : tension à son paroxysme entre l’Élysée et le Sénat

Affaire Benalla : tension à son paroxysme entre l’Élysée et le Sénat

Suite de notre série sur les relations difficiles entre l’exécutif et le Sénat, au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron. Avec la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, la tension est à son comble. Un proche d’Emmanuel Macron est visé. Le chef de l’État se retrouve affaibli. Le Sénat y gagne ses galons de contre-pouvoir.
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La politique est toujours pleine de surprises. L’affaire Benalla en est une belle. Elle a changé le cours du quinquennat. Quand Le Monde révèle, le 18 juillet 2018, qu’un chargé de mission de l’Élysée, alors totalement inconnu, a agi aux côtés de membres des forces de l’ordre le 1er mai, frappant des manifestants place de la Contrescarpe, à Paris, la première crise importante du quinquennat d’Emmanuel Macron commence.

Le Sénat, à majorité de droite, saisit l’opportunité. Une commission d’enquête parlementaire est décidée. La nécessité d’y voir clair sur cette affaire qui touche le plus haut sommet de l’État s’impose. Mais pour la Haute assemblée, c’est aussi l’occasion rêvée de redorer son blason. Le « Sénat bashing » est en effet courant. Si les attaques sont faciles, elles portent néanmoins auprès d’une opinion sensible à l’antiparlementarisme. La commission d’enquête va permettre de mettre en lumière le travail du Sénat, et d’imposer la Haute assemblée en contre-pouvoir du macronisme conquérant. La portée de la commission d’enquête est telle, qu’elle devient même populaire sur le forum Jeuxvideo.com !

Éloquence, style inimitable, mots aiguisés : le grand public découvre Philippe Bas

Alors que le 19 juillet, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire, ce sont les députés qui créent en premier une commission d’enquête. Mais elle explose vite en vol, face aux dissensions entre majorité et opposition, renforçant celle du Sénat. Le 24 juillet, c’est Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, qui annonce en séance sa création. Celle-ci ira jusqu’au bout.

Le grand public va découvrir son président, le sénateur LR de la Manche Philippe Bas. Ancien secrétaire général de l’Élysée sous Jacques Chirac, il a le verbe haut et manie l’éloquence avec brio. Ses mots et ses attaques tranchent comme une lame de rasoir. Son style IIIe République, mâtiné d’excellentes manières, sied à merveille au théâtre qui va accueillir le psychodrame : le Sénat.

« S'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent le chercher ! »

La macronie va le détester cordialement. Il sera accompagné de deux rapporteurs, le socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur et la sénatrice LR du Morbihan, Muriel Jourda. Ce trio va donner du fil à retordre aux convoqués, qui n’ont pas le choix. Ne pas se rendre devant une commission d’enquête est passible de deux ans de prison et d'une amende de 7 500 euros. Le faux témoignage est lui, un délit passible de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende.

Bruno Retailleau, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles, saura en rajouter aux micros des journalistes, qui se précipitent au Sénat, tout comme Patrick Kanner, président du groupe PS. Les attaques venues du Sénat sont multiples.

Dès juillet, le Sénat entame ses auditions, avec Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur. Au même moment, Emmanuel Macron lance, bravache : « S'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent le chercher ! » Une provocation, Emmanuel Macron sait parfaitement qu’il est protégé par sa fonction et ne peut être convoqué, au nom de la séparation des pouvoirs. Mais le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, l’est bien fin juillet. La pause estivale ne va pas détendre l’atmosphère.

Emmanuel Macron appelle Gérard Larcher pour se plaindre

Fait exceptionnel, le président de la République appelle Gérard Larcher pour se plaindre de la tournure que prend la commission d’enquête, dénonçant un « déséquilibre institutionnel ». Un appel passé la veille de la reprise des auditions, en septembre. Un coup de pression qui sonne comme une crise au cœur des institutions de la République. Emmanuel Macron n’aurait pas apprécié une déclaration de Philippe Bas, qui aurait affirmé que « le Parlement contrôle l’exécutif ». Alexandre Benalla qualifie Philipe Bas de « petit marquis ».

Ce sera l’angle d’attaque les mois qui suivent : les sénateurs dépassent leur rôle, « empiètent » sur le travail de la justice, comme l’écrit la ministre de la Justice dans une tribune, et mettent à mal in fine les institutions et la séparation des pouvoirs. Un compliment que les sénateurs retournent au chef de l’État. Dans la tempête, Gérard Larcher apporte son soutien à Philippe Bas : « On peut lui faire confiance, il n'a pas débordé. Il gère ça comme un jardin à la française ! » L’ensemble des sénateurs, de gauche ou de droite, font corps. « Quelle pression un Président peut-il exercer sur des sénateurs qui n’ont aucun compte à lui rendre ? » demande, plus concrètement, l’ancien ministre et sénateur LR, Gérard Longuet.

Christophe Castaner accuse les sénateurs de vouloir « faire tomber un président de la République »

Quelques jours après, la tension est à son comble quand Christophe Castaner, alors à la tête du parti La République En Marche et interrogé par publicsenat.fr, accuse les sénateurs de « faute constitutionnelle » en voulant « faire tomber un président de la République ». Christophe Castaner va plus loin :

Si certains pensent qu’ils peuvent s’arroger un pouvoir de destitution du président de la République, ils sont eux-mêmes des menaces pour la République (Christophe Castaner, le 14 septembre 2018).

Au Sénat, le président du groupe LREM, François Patriat, annonce que son groupe séchera les auditions de la commission. Ce qui n’empêchera pas, bien entendu, la commission d’enquête de poursuivre ses travaux.

Le 19 septembre, l’audition d’Alexandre Benalla est le point d’orgue de cette tension entre Sénat et exécutif. L’homme au cœur de la controverse arrive salle Clemenceau, dans les sous-sols du Sénat et sous l’œil des caméras. Pendant deux heures trente, Alexandre Benalla répond aux sénateurs. On découvre un jeune homme visiblement très bien préparé, sûr de lui, qui ne se démonte pas et sait botter en touche quand il le faut.

Les auditions terminées, les sénateurs travaillent méticuleusement à leur rapport, notamment sur les contradictions ou zones de flou. Pendant ce temps-là, la crise des gilets jaunes éclate.

« C’est X-Files, la vérité est ailleurs »

Fin décembre, de nouvelles révélations sur les passeports diplomatiques et sur des contrats russes relancent l´affaire Benalla. Les sénateurs lancent une nouvelle série d´auditions. Le bras de fer avec l’exécutif continue.

Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président de la République, revient à nouveau devant les sénateurs. Lors de son audition, il multiplie les révélations. Alexandre Benalla est de nouveau convoqué à son tour. L’ex-chargé de mission est auditionné début janvier 2019. Une audition compliquée, marquée par le refus d’Alexandre Benalla de répondre à plusieurs reprises.

« On a eu deux versions totalement contradictoires entre Patrick Strzoda et Alexandre Benalla » note alors la co-rapporteure Muriel Jourda. « Il nous a pris quand même pour des imbéciles » ne peut que constater la sénatrice EELV Esther Benbassa. « C’est X-Files, la vérité est ailleurs », raille le sénateur socialiste Rachid Temal.

Début février, alors que l’affaire Benalla se concentre sur les contrats passés avec des oligarques russes, proches de Poutine, certains sénateurs y voient maintenant « une affaire d’État ». 

Rapport de la commission d’enquête accablant

Le 20 février, les sénateurs présentent le rapport de la commission d’enquête. Il est accablant. Il pointe des « dysfonctionnements majeurs » au sommet de l’État. Les sénateurs font une série de préconisations pour garantir la meilleure organisation possible de la sécurité du Président, ainsi qu’une plus grande transparence sur les collaborateurs.

Dans une lettre adressée à Gérard Larcher, les membres de la commission d’enquête saisissent le bureau du Sénat des cas d’Alexandre Benalla et Vincent Crase, pour possibles faux témoignages, mais aussi, dans une moindre mesure, pour Alexis Kohler et Patrick Strzoda, qui « ont retenu une part significative de la vérité lors de leur audition ». Les sénateurs ont en effet constaté une série « d’incohérences » et de « contradictions » (voir le cas du port d'arme d’Alexandre Benalla dans la vidéo ci-dessous).

Affaire Benalla: pourquoi parle-t-on de parjures en ce qui concerne le port d'arme ?
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L’heure des « grandes manœuvres »

En mars, la tension, déjà à son apogée, explose tous les compteurs. Le bureau du Sénat, présidé par Gérard Larcher, se réunit pour examiner le rapport de la commission d’enquête et décider de saisir ou non la justice. Tous les regards se tournent vers ces 26 sénateurs, de tous bords politiques, chargés de dire s’il faut transmettre au parquet ou pas. C’est l’heure des « grandes manœuvres » et des « pressions » confient des sénateurs. Le sujet enfonce un cran au sein de la majorité sénatoriale. Bruno Retailleau pousse de tout son poids pour transmettre au parquet, quand l’UDI Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, freine. Après la décision du bureau, il ne cache pas sa désapprobation publiquement.

Le bureau accouche finalement d’une position alambiquée. Il décide de transmettre à la justice les cas d’Alexandre Benalla, de Vincent Crase, pour qui le faux témoignage fait peu de doute, tout comme pour Patrick Strzoda. Concernant Alexis Kohler, le bureau estime qu’il n’y a pas « suffisamment d’éléments pour le suspecter, à ce stade, de faux témoignage », mais décide quand même de saisir la justice.

À elle de se prononcer. Une position habile qui ménage la chèvre et le chou. Elle permet à Gérard Larcher ne pas se mettre à mal avec le groupe LR et le travail de la commission, tout en évitant de charger la barque concernant le plus proche collaborateur du chef de l’État. « C’est de la diplomatie » explique alors un des membres du bureau. « Gérard Larcher a été pacificateur sur la commission d’enquête » confie aujourd’hui un membre du gouvernement.

Onde de choc

Dans l’immédiat, l’onde de choc se fait sentir. Le premier ministre Édouard Philippe laisse son siège vide pour les questions d’actualité au gouvernement du Sénat. Richard Ferrand annule un déplacement avec Gérard Larcher, pour marquer le coup. C’est une vraie crise politique entre l’exécutif et le Sénat.

Mais dès le lendemain, le président du Sénat envoie un message d’apaisement. « Je ne doute pas qu’on se retrouvera dans d’autres débats ensemble » dit-il à Public Sénat. « Les crispations c’est une chose. Sortir de la crise dans laquelle est notre pays nécessite qu’on soit en capacité, dans le respect de nos différences, de nos missions, d’essayer de tracer, à un moment, un cap ensemble » ajoute le sénateur, prouvant qu’il n’était pas le plus va-t-en-guerre dans cette affaire. Le vent tourne vite d’un jour à l’autre.

Malgré les soupçons de faux témoignage qui concernaient Patrick Strozda, il est finalement blanchi par le parquet en juin 2019, qui ne retient rien contre lui. Même chose pour Alexis Kholer. Reste qu’après des mois d’auditions, la commission d’enquête du Sénat a sérieusement compliqué la tâche de l’exécutif. Emmanuel Macron n’a pas pu rapidement tourner la page de l’affaire Benalla, comme il l’aurait voulu, créant un climat peu propice pour le gouvernement. Le Sénat, lui, est gagnant. Son rôle et son image de contre-pouvoir à Emmanuel Macron en sortent renforcés.

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