Affaire de l’ex-groupe UMP du Sénat : « Chacun le savait dans notre groupe » selon Jean-Claude Carle
Cinq sénateurs ou ex-sénateurs demandent la nullité de leur mise en examen dans l’enquête pour détournement de fonds présumé au sein de l’ex-groupe UMP. Il n’y avait rien d’illégal, selon leur avocat qui parle d’« une rémunération légitime ».

Affaire de l’ex-groupe UMP du Sénat : « Chacun le savait dans notre groupe » selon Jean-Claude Carle

Cinq sénateurs ou ex-sénateurs demandent la nullité de leur mise en examen dans l’enquête pour détournement de fonds présumé au sein de l’ex-groupe UMP. Il n’y avait rien d’illégal, selon leur avocat qui parle d’« une rémunération légitime ».
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Ce lundi, à 15 heures, s'est tenu une audience importante devant la cour d’appel de Paris. Importante pour l’affaire de détournement de fonds publics présumés au profit de sénateurs de l’ex-groupe UMP. Cinq sénateurs concernés par ce dossier contestent leur mise en examen devant la cour. Une décision qui pourrait être lourde de conséquence sur l’enquête. Elle sera rendue le 18 décembre.

Comme l’a démontré une enquête de Mediapart dans une série d’articles, un système avait été mis en place pour permettre de rétrocéder à certains sénateurs une partie des crédits non-utilisés destinés à rémunérer leurs collaborateurs parlementaires. L’enquête des juges s’est portée sur les années de 2009 à 2014, où le système a pris fin.

Signalement de Tracfin en 2012

Tout part à l’origine d’un signalement de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, en 2012. Il révèle notamment qu’une association, l’Union républicaine du Sénat (URS), avait reçu du groupe UMP 450.000 euros pour en remettre ensuite une partie à des sénateurs, sous forme de chèques ou d’espèces. Ce mécanisme de rétrocession pouvait porter le nom de « ristourne ».

Au total, neuf personnes, dont sept élus ou anciens élus, ont été mises en examen. Mais en juin dernier, le dossier connaît un rebondissement étonnant : la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris suspend toute investigation en attendant de pouvoir se prononcer sur le sort d’un sénateur et de quatre ex-sénateurs. Ils nient tout détournement et demandent la nullité de leur mise en examen. C’est le cas de Jean-Claude Carle, toujours sénateur LR et ex-trésorier du groupe UMP, mis en examen pour « détournement de fonds publics ». L'ancien sénateur Henri de Raincourt, ex-président du groupe et qui présidait l’URS, est poursuivi pour « recel » de ce délit. Les ex-sénateurs UMP René Garrec, André Dulait et Pierre Bordier contestent aussi leur mise en examen.

Libre administration des groupes politiques

Antoine Beauquier, avocat des cinq sénateurs, ne conteste pas la mise en place de cette pratique. En revanche, il n’y voit rien d’illégal. Il invoque « la séparation des pouvoirs législatif et judicaire » et la libre organisation des groupes politiques, ligne de défense avancée dès la révélation de l’affaire, en 2014. « Les versements effectués au profit de l’URS s’inscrivent dans le cadre de la libre administration des groupes politiques » avait affirmé un communiqué du groupe UMP, présidé alors par Jean-Claude Gaudin, qui aurait également bénéficié de chèques, selon Mediapart.

« Les partis s’administrent librement, c’est la Constitution qui le dit » souligne encore aujourd’hui Antoine Beauquier, interrogé par publicsenat.fr. L’avocat renvoie à son article 4, qui dit que « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement ».

Contacté par publicsenat.fr, Jean-Claude Carle explique aussi pourquoi, à ses yeux, il ne peut être reproché aux sénateurs d’avoir récupéré une part de ces crédits destinés à payer leurs assistants. « Il y a deux décisions du Sénat qui permettaient notamment aux sénateurs, qui n’utilisaient pas l’ensemble de ces crédits, de pouvoir les reverser au groupe. Après, quand ils sont sur les comptes du groupe, ce n’est plus de l’argent public, c’est l’argent des groupes. Et selon l’article 4 de la Constitution, les groupes s’administrent librement » explique le sénateur de Haute-Savoie.

« Le code pénal ne prévoit pas pour les sénateurs la possibilité de commettre un détournement de fonds publics »

Autre angle de défense : d’après Antoine Beauquier, la qualification pénale de détournement de fonds publics sur laquelle repose la mise en examen serait inapplicable aux cinq sénateurs. « Les sénateurs n’ont pas en main des fonds publics et ne peuvent donc détourner de fonds publics. Le code pénal ne prévoit pas pour les sénateurs la possibilité de commettre un détournement de fonds publics » souligne l’avocat.

Antoine Beauquier précise : les crédits collaborateurs « sont des fonds publics non-affectés, au même titre que la rémunération d’un fonctionnaire. On ne peut pas lui reprocher de les avoir détournés. C’est la contrepartie de son travail et personne ne peut vérifier ce qu’il en fait. Ce qui est interdit, ce sont les détournements de fonds qui ont un objet, comme des fonds publics pour faire une école. Quand un sénateur perçoit une rémunération, ce ne sont pas des fonds publics affectés ».

« Dans une démocratie, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » selon l’avocat des sénateurs 

Reste que l’argent public destiné à rémunérer les assistants parlementaires n’est pas un élément de rémunérations des sénateurs… L’avocat des cinq sénateurs y voit plutôt de « l’argent affecté aux sénateurs » et à ce titre, « ils en font ce qu’ils veulent ».

Le règlement du Sénat ne disait pourtant pas que ce type de rétrocession de crédits était autorisé. « Il n’y a que ce qui est interdit expressément, qui l’est de fait. Heureusement, dans une démocratie, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » répond l’avocat. Les sénateurs ont-ils bénéficié d’une sorte de zone grise ? « En matière pénale, il n’y a pas de zone grise. Soit c’est interdit, soit ce n’est pas interdit » répond Antoine Beauquier.

Il souligne qu’une décision du Sénat l’avait certes bien interdit. Mais pas pour longtemps. « Le bureau du Sénat, en 1988, avait décidé que ces crédits seraient affectés uniquement au traitement des collaborateurs. Puis en 1989, une nouvelle décision du bureau du Sénat a décidé de supprimer cette obligation ». « On peut considérer que la loi était mal faite », ajoute-t-il, « mais on veut appliquer aujourd’hui des textes qui existent depuis 2014, où le Sénat a pris des dispositions pour que les fonds affectés aux collaborateurs le soient exclusivement à cela ».

En mars 2015, une autre décision du bureau du Sénat vient reconnaître en creux les pratiques passées : « La possibilité dont disposent les sénateurs de transférer au groupe politique auquel ils appartiennent une fraction des crédits mis à leur disposition pour rémunérer leurs collaborateurs fera l’objet d’une traçabilité garantissant la stricte affectation de ces crédits transférés aux dépenses salariales des groupes politiques » affirme le bureau, où tous les groupes politiques sont représentés.

Comme Henri de Raincourt l’avait affirmé dès 2014 à Public Sénat (voir la vidéo), l’avocat des sénateurs affirme que l’argent reçu « servait à financer l’activité politique des sénateurs. Un sénateur ça voyage, ça invite à déjeuner, ça finance des activités locales. Il fait plein de choses, surtout en période électorale ». D’autant que le financement des campagnes électorales des sénatoriales n’est encadré que depuis le scrutin de 2014.

« A l’époque, il n’y avait pas de doute. Il y aurait eu un, on ne l’aurait pas fait »

Reste la question que tout le monde se pose : cet argent pouvait-il être utilisé à des fins personnelles ? « Quand vous avez de l’argent sur votre compte et que vous allez déjeuner, que vous réglez 35 euros, est-ce l’argent de votre salaire ou un autre argent ? » demande l’avocat. Autrement dit, « il n’y a pas de contrôle possible » fait valoir l’avocat. Jean-Claude Carle met pour sa part ces sommes sur le même plan que l’IRFM, dont l’usage n’était pas contrôlé : « Là, il n’y avait aucune justification à fournir pour ces sommes ou l’IRFM ». Conformément au souhait d’Emmanuel Macron, l’usage de l’IRFM sera prochainement plus encadré, avec un système de notes de frais.

Les sénateurs et leur défense font donc valoir que les choses étaient permises sur le plan légal. Et qu’en était-il d’un point de vue moral ? « On peut s’interroger. Est-ce que c’est moral ? Chacun peut avoir son interprétation. Aujourd’hui, ça ne se passerait plus. Les groupes sont constitués en association. A l’époque, il n’y avait pas de doute. Il y aurait eu un doute, on ne l’aurait pas fait » soutient Jean-Claude Carle, qui assure de sa bonne foi. « Dès qu’on a su que l’enquête préliminaire était prolongée, avec le président de groupe Jean-Claude Gaudin (président du groupe de 2011 à 2014, ndlr), par principe de précaution, on a suspendu ces versements » ajoute le sénateur LR de Haute-Savoie.

« Tout le monde » était au courant

Si seuls cinq sénateurs sont mis en examen, le système a pu bénéficier a davantage d’entre eux. Dans un numéro d’Envoyé spécial, diffusé en octobre sur France 2, Michel Talgorn, ancien collaborateur du groupe UMP, lui aussi poursuivi, a affirmé avoir distribué des chèques à 117 sénateurs au total.

Un chiffre qui semble à Antoine Beauquier tout à fait juste, et même sous-estimé :

« Dans l’enquête qu’ils ont faite, ils disent que plus de 100 parlementaires ont perçu une rémunération, une rémunération légitime. Je pense que c’est beaucoup plus. Les groupes soutiennent l’ensemble de leurs parlementaires » affirme l’avocat à publicsenat.fr.

Qui était au courant, de cette pratique ? Selon Antoine Beauquier, « tout le monde. Ce n’était pas une pratique occulte ». « A l’intérieur du groupe, bien sûr, ce n’était pas fait en catimini, en cachette. Chacun le savait dans notre groupe » affirme aussi Jean-Claude Carle, « ce n’était pas un secret ». Selon le sénateur, l’affaire « dépasse le seul cas du groupe UMP. Je pense qu’il y a d’autres affaires, entre guillemets, qui sont à peu près dans la même situation ».

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