Disparu depuis le 2 octobre dernier, alors qu’il a été vu entrer dans le consulat saoudien à Istanbul, le journaliste Jamal Khashoggi est devenu, bien malgré lui, l’objet d’une macabre affaire, alors que de forts soupçons pèsent sur le pouvoir saoudien.
Les ministres des affaires étrangères du G7 ont demandé une enquête « crédible et transparente », quand de leur côté, les Américains semblent vouloir protéger les dirigeants saoudiens, même si le secrétaire américain au Trésor a annulé jeudi sa participation au forum économique de Ryad, comme de nombreuses personnalités politiques et économiques.
Interrogé sur ces multiples annulations au « Davos du désert », et notamment celle du ministre de l’économie Bruno Le Maire, Pierre Haski, le président de Reporters sans frontières, répond : « C’est incontournable. On a un prince héritier [Mohammed Ben Salman – NDLR] qui est devenu infréquentable. (…) L’Arabie Saoudite a investi trois milliards de dollars dans le capital d’Uber. Le patron d’Uber boycotte ce sommet. Christine Lagarde, la directrice générale du FMI [Fonds monétaire internationale - NDLR] a également annoncé qu’elle n’y allait pas. Je pense que ce sommet risque même d’être annulé. »
« La vraie question aujourd’hui c’est l’avenir du prince héritier. »
« C’est sans précédent parce que l’Arabie Saoudite est un pays tellement puissant. Ses réserves pétrolières, ses moyens financiers, font qu’en général, on fait très attention avant de [la] critiquer. Là, il y a un cap qui a été franchi. » analyse Pierre Haski. « Alors est-ce que ce sera durable ? Est-ce que tout le monde attend que l’orage disparaisse ? Je ne pense pas. Parce que les détails sont trop saugrenus. La vraie question aujourd’hui c’est l’avenir du prince héritier. Est-ce qu’il va y avoir un changement à Ryad ? Ce n’est pas du tout impossible. »
Et il ajoute : « Aujourd’hui, personne n’est prêt à parier un centime ou un dollar sur l’avenir de ce prince. Parce que cet évènement est symboliquement très grave (…) Il y a eu des assassinats d’opposants ou de dissidents partout dans le monde. Tous les détails qui sortent et le fait que ça se passe dans une enceinte diplomatique à l’étranger - et vraisemblablement les pistes remontent au prince lui-même - font que c’est trop. »
Une enquête internationale demandée
Le président de Reporters sans frontières réclame une enquête internationale : « Ce que demande RSF avec les autres ONG internationales (…) c’est une enquête internationale qui ne soit pas laissée, ni à la Turquie, ni évidemment à l’Arabie Saoudite elle-même. Ni même aux États-Unis, qui essaient d’arranger les choses dans cette affaire. Qu’il y ait une enquête internationale qui soit confiée, par exemple, aux Nations Unies, et qu’on aille au bout de cette affaire (…) C’est littéralement insupportable qu’un homme qui est résident aux États-Unis, qui est un réfugié qui écrit dans un journal comme le Washington Post, puisse disparaître de cette manière. S’il y avait une impunité dans cette affaire ce serait un très très mauvais précédent et ce serait un encouragement à tous les soi-disant hommes forts de cette planète (…) pour faire n’importe quoi avec la liberté de la presse. »
Vous pouvez voir et revoir l’entretien avec Pierre Haski, en intégralité :
Affaire Jamal Khashoggi : entretien avec Pierre Haski, président de Reporters sans frontières (en intégralité)