La vidéo tourne en boucle. À l’époque ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas est invité à un congrès d’avocats, et y défend le secret de l’instruction. « Je crois que ce secret n’est pas un confort. C’est une obligation qui est justifiée par l’intérêt général (…) Ce secret a une place considérable dans l’exercice, le fonctionnement, voire dans la réalisation de la Justice ». Des propos plein de bon sens mais qui prennent une allure différente à la lumière des révélations du Canard enchaîné.
« Amitiés, Jean-Jacques Urvoas »
Selon l’hebdomadaire satirique, entre les deux tours de la présidentielle, le député (encore) LR, Thierry Solère, était pressenti pour intégrer la place Beauvau. Mais visé par une enquête préliminaire pour fraude fiscale le parlementaire aurait demandé au ministre ce qu’il en était. Jean-Jacques Urvoas aurait alors demandé à la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) une note sur cette enquête, puis l’aurait transmise à Thierry Solère via la messagerie cryptée Télégramme. Le document confidentiel aurait été retrouvé dans le portable du député au cours d’une perquisition, suivi de la mention « Amitiés, Jean-Jacques Urvoas ».
« À quoi ça sert ces remontées d’informations ? À savoir qui est ce qu’on va nommer à l’avenir »
Hasard du calendrier, ces révélations interviennent quelques jours après une décision du Conseil Constitutionnel qui juge «conforme à la Constitution » la subordination hiérarchique des magistrats du parquet au garde des Sceaux. Sur le plateau de Public Sénat, Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature a mis en évidence les possibles conséquences de « ces remontées d’informations ». « C’est par le biais de ces remontées d’informations, de ces affaires dites sensibles que se produit cette immixtion de l’exécutif dans le cours de la Justice. À quoi ça sert ces remontées d’informations ? À savoir qui est ce qu’on va nommer à l’avenir. Est-ce que tel ou tel procureur a bien géré telle ou telle affaire » (voir ses explications). Actuellement les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux. Leurs nominations ne font l’objet que d’un simple avis du conseil supérieur de la magistrature.
Pour Laurence Blisson, les remontées d'informations menacent l'indépendance de la justice
Pour François-Noël Buffet, sénateur LR et membre de la commission des lois, « le problème n’est pas celui de l’indépendance du parquet mais celui d’un garde des Sceaux tenant une information importante sur un élu, et alors qu’il est tenu par le secret, transmet cette information à cet élu » (voir la vidéo). L’ancienne ministre et vice-présidente PS du Sénat, Marie-Noëlle Lienemann est sur la même longueur d’onde. « Qu'un garde Sceaux se voit transmettre une information par un magistrat, c’est une chose. Mais qu’un ministre de la Justice donne ensuite cette information à la personne concernée, alors là ce serait inacceptable ».
Urvoas fervent défenseur de la réforme du statut du parquet
Jean-Jacques Urvoas a lui-même régulièrement fait part de sa volonté de mettre en œuvre cette réforme du statut du parquet. Comme en en mars 2016, où le garde des Sceaux de l’époque fustigeait certains parlementaires Républicains qui souhaitaient conserver « une influence politique » dans le choix des juges (voir la vidéo).
Jean-Jacques Urvoas souhaite une réforme constitutionnelle sur l'indépendance de la Justice
La Cour de justice de la République saisie pour avis
Suite à l’article du Canard Enchaîné, la Cour de justice de la République a été saisie pour avis. Une instance compétente pour juger des membres du gouvernement ou d’anciens ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions et dans laquelle, les parlementaires sont largement majoritaires.
La procureure de Nanterre a confirmé que des « éléments susceptibles d'engager la responsabilité pénale » de Jean-Jacques Urvoas étaient apparus dans le cadre de l’enquête préliminaire. Les faits reprochés remontent à l’exercice de ses fonctions de ministre, c’est donc la cour de justice de la République qui serait compétente. La suppression de la cour de Justice de la République et la réforme du statut des magistrats du parquet sont deux points au cœur de la révision constitutionnelle qu’Emmanuel Macron souhaite voir adoptée en 2018. Ces deux points font d’ailleurs consensus parmi les différents groupes politiques du Sénat comme nous l’expliquions le mois dernier.