Alors que le gouvernement s’apprête à tomber, chacun réfléchit à la suite. A droite, « le nom de François Baroin recircule », glisse le sénateur LR Roger Karoutchi. Au PS, on tend la main. « Nous sommes à la disposition du président de la République », avance Patrick Kanner, à la tête du groupe PS du Sénat. Pour le centriste Hervé Marseille, il faut « trouver une plateforme d’action, comme disent les socialistes, de non censurabilité, pour essayer de trouver un accord ». Les grandes manœuvres ont commencé.
Agriculteurs en colère : une nouvelle mobilisation sur fond de rivalités syndicales
Par Simon Barbarit
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En 10 mois, le terreau de la grogne paysanne est toujours fertile : revenus insuffisants, normes jugées trop complexes et considérées comme responsables d’une concurrence déloyale avec les pays de l’UE et en dehors, sentiment d’agri bashing. Des maux que les engagements du gouvernement Attal n’ont pas atténués. La dissolution a ralenti leur concrétisation. Ce lundi et mardi, la tenue d’un sommet du G20 au Brésil sert de rampe de lancement d’un mouvement qui ne cesse de fustiger les conditions du projet de traité de libre-échange UE-Amérique latine, Mercosur.
Ce sont des actions « symboliques » que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et son allié Jeunes agriculteurs (JA) vont privilégier pour relancer la mobilisation agricole, presque un an après la dernière. Des « feux de la colère » seront allumés à partir de lundi soir sur des ronds-points ou dans des champs et des barrages filtrants.
Pour le moment, le mouvement n’a pas encore pris la forme des actions coup de poing de janvier dernier, représentées par des convois impressionnant de tracteurs ou encore le déversement de fruits et légumes pourris, des litres de vin devant certaines préfectures, destinées à illustrer la déconnexion des pouvoirs publics face aux difficultés du monde agricole.
Si l’exécutif a pris du retard dans la mise en œuvre de ses propositions, le projet de budget contient quand même près de « 300 millions d’allègements sociaux et fiscaux », comme l’a précisé la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, et le projet de loi d’orientation agricole va reprendre son examen au Sénat en début 2025. Reconnaissant des avancées comme les prêts garantis par l’Etat, la FNSEA a d’ailleurs fixé une date de fin des mobilisations à la mi-décembre. « Si d’autres ont d’autres modes d’action, veulent utiliser la violence ou, comme je l’ai entendu, veulent […] affamer Toulouse, ça n’est pas notre mode d’action », a prévenu le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau dimanche sur BFMTV, se démarquant de certains responsables de la Coordination rurale (CR, deuxième syndicat agricole, 21,1 % des sièges). La Coordination rurale a choisi d’attendre la tenue de son congrès (mardi et mercredi) pour amplifier sa mobilisation. Elle promet « une révolte agricole » avec un « blocage du fret alimentaire » dès mercredi dans le Sud-Ouest si « aucune avancée » n’est constatée sur le dossier Mercosur.
« La FNSEA veut se présenter comme seule et unique force de propositions »
« La Coordination rurale se définit comme indépendant, mais est assez proche du RN. Surtout depuis les dernières élections législatives où Jordan Bardella a carrément repris leur programme. De fait, ils sont devenus très proches idéologiquement », note Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech. « La FNSEA comme la CR sont traversées par des contradictions internes. La FNSEA est historiquement proeuropéen car elle sait bien que l’argent vient de l’Europe ce qui ne l’empêche pas de taper sur l’UE quand il est question de normes environnementales. La CR défend des propositions difficiles à défendre économiquement comme des prix garantis ou des exportations sans les importations », ajoute-t-il.
A l’approche des élections des chambres de l’Agriculture le 31 janvier 2025, la FNSEA, majoritaire avec 54,7 % des sièges va vouloir « étouffer la concurrence de la Coordination rurale ». En janvier, les premiers blocages étaient l’œuvre des agriculteurs les plus radicaux de la Coordination mais la FNSEA était parvenue à encadrer le mouvement par la suite. La FNSEA veut se présenter comme seule et unique force de proposition. Idéologiquement les JA et la FNSEA sont proches du gouvernement, donc il est important pour eux de donner des gages de bonne tenue notamment en donnant une date de fin du mouvement. Le risque, c’est que la base ne suive pas », analyse Edouard Lynch, historien, auteur d’« Insurrections paysannes : de la terre à la rue : usages de la violence au XXe siècle » (aux éditions Vendémiaire).
Sur le fond, les deux syndicats concurrents défendent le même modèle agricole. « Les deux, par exemple, veulent maintenir le système selon lequel les aides européennes sont réparties selon le volume de la surface exploitée. Contrairement à la Confédération paysanne qui demande à ce que les aides soient calculées par travailleurs. C’est pourquoi, il y a une forme d’hypocrisie à entendre les deux premiers syndicats dénoncer la disparition des exploitations alors que le système actuel favorise les plus grosse à racheter les plus petites », relève Jean-Christophe Bureau.
« La dénonciation du Mercosur est une cause unitaire bien moins clivante que la question du revenu »
Edouard Lynch observe également que « la dénonciation du Mercosur est une cause unitaire bien moins clivante que la question du revenu qui, selon les filières, obéit à des modalités diverses. Par exemple, la décision de Lactalis de réduire sa collecte de 9 % en France d’ici à 2030 pourrait mobiliser les producteurs de lait qui étaient restés en retrait au début d’année. Le concept de souveraineté alimentaire est un concept attrape tout. Il n’a pas le même sens employé par la FNSEA ou la Confédération paysanne pour qui le modèle productiviste agit contre l’environnement et contre les agriculteurs des pays plus pauvres car il empêche le développement de leur activité ».
A trois mois des élections à la chambre de l’Agriculture, dont le scrutin majoritaire favorise une surreprésentation du syndicat qui arrive en tête, l’enjeu pour la FNSEA est de conserver la quasi-totalité des chambres des départements et régions et ainsi garder sa place d’interlocuteur privilégié de l’exécutif. « Les chambres de l’agriculture ne sont pas des lieux de pouvoir à proprement parler mais permettent aux syndicats de mesurer leurs poids politiques. On l’a vu au printemps dernier, la Confédération paysanne, troisième syndicat (19,3 % des sièges) n’était même pas invitée à participer aux négociations avec le gouvernement », conclut Jean-Christophe Bureau.